pour jouir de la tranquillité, ni pour en laisser jouir leurs voisins (1). Kiow, Novogorod et Wolodimer changent vingt fois de maîtres dans un demi-siècle, et la Russie, morcelée par la division des apanages, est encore appauvrie par la superstition, qui engloutit toutes les richesses. Passons donc sur ces temps d'anarchie féodale, ces guerres conduites sans art, sans prudence, et terminées par des assassinats., La mauvaise foi, la cruauté, la vengeance, l'avarice, l'ambition, aveugle dans ses moyens comme dans ses vues, y retracent toujours les mêmes tableaux (2); le désordre et la confusion sont au comble; les crimes se multiplient, les liens de la société se brisent, le joug de la servitude s'appesantit; la Russie est toute en contestations sanglantes pour l'ordre de la succession. Quand les enfans sont jeunes, le frère du prince décédé est quelquefois mis en possession de la grande principauté. C'est ainsi que Wsevolode I.cr et laropolke II, &c. règnent au préjudice de leurs neveux..... Était-ce une loi, un usage ou une usurpation? c'est ce que nous n'entreprendrons pas de décider... Lévesque dit : « Il y avait, sinon » une loi, du moins un usage plus fort même que la loi, par lequel >> les frères des souverains étaient préférés aux fils dans la succession.» (Tom. I, pag. 218.) Leclerc remarque, avec plus de raison, que, dans l'origine, les frères du grand prince étaient tuteurs naturels de l'héritier mineur, et que l'ordre de succession de père en fils se perpétua jusqu'à l'époque ou Swiatoslaw et Wsevolode intervertirent l'ordre établi. Ainsi l'on ne pourrait guère regarder les exceptions que comme des usurpations, d'ailleurs si communes dans l'histoire de Russie. (1) Histoire de Russie, par Lévesque, tom. I. (3) Histoire universelle, trad, de l'anglais, liv. XXX. armes; elle est inondée de sang; et voilà qu'une tempête affreuse s'annonce du côté de l'Orient. Arrivés à cette grande catastrophe, reportons nos regards sur la période que nous venons de parcourir, pour en tirer l'instruction la plus utile à chercher dans l'histoire. Quelle fut, dans ces quatre premiers siècles, l'étendue de l'empire Russe ! Nous en avons fait voir le noyau. Les conquêtes de Wladimir et d'Iaroslaw avaient porté les armes des Russes jusqu'aux monts Ouralls et au pied du Caucase: mais leur domination ne s'était guère affermie que du côté de l'est; encore les limites étaientelles vagues et indéterminées vers la grande Biarmie. Les Bulgares venaient à peu de distance de Moscow : le territoire de Kiow était resserré au midi par les Polovtses, à l'occident par les Polonais. En allant vers le nord, les Lettes, Lettons ou Lithuaniens, les Tschoudes (1), bornaient de très près l'état de Novogorod. Voilà des limites établies sur des monumens historiques, moins obscurs et plus authentiques que les conjectures des écrivains, panégyristes infatigables de la Russie. On a parlé de conquêtes (1) Ce mot signifie étrangers. Les anciens Russes avaient coutume de le donner à tous leurs voisins Finnois ... Ils y comprenaient surtout les Finnois propres, et les Esthoniens, qui étaient domiciliés dans les environs de Pskoff et de Revel. (Storch, Tableau de l'empire de Russie, tom. I, chap. 1, note 6.) Si les Tschoudes étaient appelés étrangers par les Russes, il est anciennes, anciennes, de la fondation d'une ville d'Iourieff, que les Livoniens appelèrent ensuite Dorpat ou Derpt..... Mais qu'est-ce que la fondation d'une ville dans un pays où quelques troncs d'arbres assemblés faisaient une maison, et quelques maisons de ce genre une cité? L'assiette d'un camp serait un titre plus plausible. D'ailleurs, des expéditions sans suite, des conquêtes sans établissement, ne constituent pas la possession: autrement, les Polonais, les Suédois, les Bulgares, pourraient aussi réclamer les mêmes droits sur la Russie; et, de tous les peuples, nul n'aurait de plus vastes prétentions à faire valoir que les descendans des Huns. Si nous examinons attentivement le gouvernement russe à cette époque, nous y retrouvons les élémens qui constituaient alors ceux des autres états de l'Europe. C'est un spectacle bien extraordinaire que l'effet du refoulement de cent peuples barbares les uns sur les autres; on leur voit, pour un temps, les mêmes lois, les mêmes usages, les mêmes idées de gouvernement, et l'on est tout surpris de trouver encore aujourd'hui les racines de l'arbre féodal jusque chez les Kirguis et difficile de considérer leur pays comme une ancienne province de la Russie. La conséquence est claire: Judica te ipsum... D'ailleurs on peut consulter sur ce point la Généalogie des grandsducs de Moscovie, Francfort, 1600; l'Histoire de la guerre de Livonie, Tilman Bredembach; les Commentaires du baron d'Herberstein, &c. &c. Tous ces anciens auteurs sont d'accord sur l'injustice des prétentions de la Russie. ( Voyez chap. III, pag. 45 ct 55.) par B sur le plateau de la grande Tartarie (1): ainsi les jugemens par épreuves sont admis auprès du Kamtschatka, comme dans l'Aquitaine; les états des souverains sont distribués à leurs enfans; les fiefs, donnés d'abord comme de simples bénéfices, puis conférés à vie, entraînent le service et la servitude (2). Les grands feudataires agissent comme les premiers vassaux du prince. Sous le règne de Swiatopolk II, on voit des assemblées des grands boyards et du clergé comme nos cours plénières : mais quelques siècles s'écoulent, et les peuples n'ont plus la moindre ressemblance. Ici le sort de l'espèce humaine s'embellit et s'améliore par degrés; là les chaînes se resserrent, la nature se détériore, et la civilisation suit une marche inverse de celle qu'elle a prise dans le reste de l'Europe. C'est un exemple unique dans l'histoire morale des peuples. Nulle nation ne paraissait mieux placée que la Russie pour devancer les autres dans les arts, les sciences, les lettres et tout ce qui fait le charme et l'honneur des sociétés humaines. Au nord, le commerce florissait d'une manière assez remarquable pour ces temps barbares, à Novogorod. Des négocians des villes anséatiques et de toute la Germanie venaient y échanger leurs marchandises contre les productions de la Russie. Depuis que (1) Histoire des peuples soumis à la domination de la Russie, par Lé vesque, tom. I. (2) Montesquieu, Esprit des lois, liv. XX. Antidote, 1770. P. 170, 171, 172, xx. · le siége de l'empire Ruse avait été transporté à Kiow, Novogorod avait recouvré une espèce d'indépendance. Au milieu des agitations qui la divisent et des guerres qu'elle a fréquemment à soutenir contre ses voisins ou contre les princes russes eux-mêmes, elle paraît plutôt choisir que recevoir ses souverains, et son commerce se soutient toujours au milieu des troubles politiques. C'est de sa richesse autant que de sa population que l'on disait dans le Nord : « Qui pourrait s'attaquer à » Dieu et à la grande Novogorod!» Cette prospérité, ce concours d'étrangers, semblaient annoncer le perfectionnement prochain de la société; mais une espèce de fatalité y repousse le bienfait ordinaire du commerce. Au midi, la Russie se trouvait dans une position encore plus favorable : dès les IX et X. siècles, elle porte ses armes à Constantinople; elle fait des traités avec les empereurs (1); elle établit des communications fréquentes avec les Grecs; elle en reçoit sa religion, la connaissance des lettres, des prêtres, des artistes dans tous les genres: le sang de Rurick se mêle plusieurs fois avec celui des Césars (2). Il semble qu'on va voir (1) Voyez ceux que rapporte Leclerc, d'après les chroniques grecques, celle de Nestor (Histoire de la Russie ancienne, tom. I, pag. 111 et 124.) (2) C'est même un préjugé que de considérer les anciens princes russes comme tout-à-fait étrangers à ceux de l'Occident, quoique des circonstances extraordinaires les aient comme mis hors du cercle des puissances européennes. Outre leurs relations et leurs alliances |