CHAPITRE VII. Catherine I"-Pierre II.- Anne.-Élisabeth.Pierre III. EN laissant un vaste empire à ses héritiers, Pierrele-Grand leur laissait aussi tout ce qui pouvait ébranler, affaiblir et diviser leur puissance. Sa loi sur la succession, portée en haine d'Alexis, donnait à l'empereur vivant le droit de désigner son successeur, sans égard à la naissance ou à l'ordre de primogéniture. Cette loi, plausible dans la spéculation, en ce qu'elle semblait promettre le trône à celui qui s'en rendrait le plus digne, était, dans la pratique, une source de désordres et de confusion (1). Chez un peuple plus policé, elle aurait sans doute occasionné des guerres civiles: mais, dans une nation où la civilisation n'était qu'à peine ébauchée (2), où le gouvernement passait, , par momens, du despotisme à une oligarchie corrompue, cette loi n'entraîna que des révolutions de cour ou des séditions de caserne ; il suffisait de montrer un maître à ces millions d'esclaves prêts à le prendre de toutes mains. D'ailleurs, on peut observer que, par (1) Montesquieu, de l'Esprit des lois, liv. V., chap. 14. (2) Coxe's Travels, vol. II. Mirabeau, Doutes sur la liberté de l'Escaut, lettre II, une fatalité singulière, ce Pierre I., si jaloux de la conservation de son ouvrage, ne put lui-même désigner son héritier. Tout porte à croire que, dégoûté de Catherine depuis l'aventure de Moëns, il ne voulait pas la laisser régner après lui. Au moment de sa mort, et ne pouvant plus se faire entendre, il écrivit d'une main tremblante, Rendez tout à...... (1), et ne put aller plus loin. Ces mots, qui semblent être l'expression d'un remords, qui annoncent une restitution, ne pouvaient désigner l'impératrice; ils semblaient plutôt indiquer le petit-fils d'Iwan, frère, ami de Pierre I."; ou la malheureuse Eudoxie, sa première femme; ou Pierre II, issu de ce premier mariage, lequel rêgna après Catherine I. Mais, dans une pareille cour, l'intérêt des premiers courtisans devait prévaloir, et la couronne être le prix de l'audace. Mentschikow avait encore trop à craindre de la vengeance d'Eudoxie: il déclara que Pierre avait désigné Catherine, et il régna sous son nom (2). Sophie avait familiarisé les Russes au sceptre d'une femme. . re On s'aperçut bientôt que le génie de Pierre-le-Grand (1) L'histoire de cette succession est discutée dans le Voyage de Coxe, d'après les meilleures autorités (vol. I, p. 504-509). Des mémoires manuscrits de Magnan, cités par M. Castera, portent que Pierre avait fait un testament, mais que, comme il ne convenait ni à Catherine ni à Mentschikow, ils prirent le parti de le faire supprimer. (2) M. de Rulhières, Hist. de l'anarchie de Pologne, tom, I, pag. 131, n'était plus au timon des affaires. Catherine suivit le système de son époux, mais avec la faiblesse d'une femme dont la vie n'annonçait pas une longue durée. Son règne n'offre que deux choses à remarquer les : affaires de la succession de Courlande, et le traité de Vienne. La Courlande, il faut le rappeler, passée sous la suzeraineté de la Pologne par la fameuse concession de Gothard de Kettler, avait été occupée par les Russes dans les dernières guerres du Nord. Dès cette époque, Pierre 1. avait eu l'intention de la réunir, comme la Livonie, à son empire. Le dessein était encore prématuré mais, en attendant qu'il pût s'accomplir, il consentait à laisser encore ce duché dans la famille de Kettler, et il voulut en accélérer l'occupation par une alliance avec une princesse russe; dans ce dessein, il avait donné sa nièce Anne Iwanowa en mariage au jeune duc Frédéric-Guillaume ( 1 ), alors sous la régence de son oncle Ferdinand. La mort inattendue du jeune duc (2) déconcerta encore les projets de Pierre...... Comme il n'était pas issu d'enfans de ce mariage, Ferdinand, dernier prince de la race de Kettler, prit le titre de duc. Les Russes ne purent le lui contester; mais ils lui suscitèrent mille embarras, et, rentrant en Courlande sous prétexte d'assurer le douaire de la duchesse Anne, ils s'emparèrent, à ce (1) 31 octobre 1710. (2) 21 janvier 171, titre, des meilleurs bailliages du fief, annonçant ainsi le dessein de s'emparer de la province entière (1). Cependant la république de Pologne réclamait en vain ses droits. Les Courlandais, ne voulant point de Ferdinand, appelaient le célèbre comte Maurice de Saxe, fils naturel d'Auguste II et de la belle Königsmark; une régence administrait au nom du duc Ferdinand, retiré à Dantzick; et une commission consistoriale polonaise avait décidé, en 1717, que les ducs de Courlande absens seraient censés avoir abdiqué. Dans cette complication d'intérêts, Mentschikow imagina de se faire donner le duché de Courlande : les deux candidats qu'il présentait avec lui, n'étaient là que pour Ia forme (2). Enfin les États de Courlande furent forcés de casser l'élection qu'ils avaient faite du comte Maurice; mais on ne put encore les résoudre à élire Mentschikow. La mort de Catherine, et la disgrace du favori sous le règne suivant, firent ajourner de nouveau ła soumission de la Courlande aux ordres du cabinet russe. re L'autre événement mémorable du règne de Catherine I. est le traité de Vienne (3). Cette alliance entre les cours de Pétersbourg, Madrid, Vienne et (1) Mémoires manuscrits. (2) C'étaient le duc de Holstein et le landgrave de Hesse-Hombourg. (ibid.) (3) 9 août 1726. Mably, Droit public de l'Europe, Œuvres complètes, tom. VI, pag. 391. Berlin, était dirigée contre la France, la Suède et le Danemarck. L'Angleterre elle-même s'y vit compromise par la réclamation de l'Espagne, et par le projet remis sur le tapis, de rétablir le prétendant (1). Cette alliance, dont il n'est résulté, pour la Russie, que l'avantage d'une intervention plus immédiate dans les affaires du midi, ne pouvait être utile à l'Autriche que contre la Porte ottomane, et dans le temps où cette dernière puissance s'avançait vers l'Europe; mais la Russie, qui s'était annoncée avec des prétentions plus hautes et des moyens plus dangereux, était bien autrement redoutable à l'Autriche, dont elle s'approchait peu à peu par ses usurpations en Pologne. En considérant le traité du côté de la Russie, le maréchal de Munich le regardait comme désavantageux à ses intérêts, en ce que la Russie, obligée de fournir des secours à la réquisition de l'Autriche, aurait à soutenir dix querelles étrangères, au lieu d'une seule pour son propre compte; mais, par cette raison seule, on connaît assez la politique russe, pour croire que Pierre I. lui-même aurait conseillé cette alliance. er Plus heureuse que l'auteur de la loi de succession, Catherine I., jeune encore, mais avertie de sa mort (2) (1) Histoire du ministère de Walpole, tom. I, pag. 397. (2) Elle n'avait que trente-huit ans. Elle mourut, suivant quelques historiens, d'un ulcère au poumon, ou, suivant Leclerc, par l'effet d'un poison lent (Hist. mod. tom. I, pag. 21). Le fait est qu'il règne sur cette mort, comme sur celle de Pierre-le-Grand, une incertitude dont on retrouve bien d'autres exemples dans l'histoire de Russie. |