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présager, le dangereux essor de ce nouvel empire, cet ouvrage, fait à l'apogée de sa puissance, sera comme un de ces monumens qui servent à marquer, sur la rive des grands fleuves, la trace de leurs inondations.

DES

DES PROGRÈS

DE LA PUISSANCE RUSSE,

DEPUIS SON ORIGINE

JUSQU'AU COMMENCEMENT DU XIX. SIÈCLE.

CHAPITRE I.er

État de l'Empire russe, depuis son origine jusqu'à

LES

l'invasion des Tartares.

ES nations ont leur vanité comme les individus : nulle ne veut se contenter d'une origine obscure. Ainsi l'un des successeurs de Rurick (Iwan III) faisait remonter la sienne jusqu'à la famille des Césars (1), et le peuple russe croit être sorti sans mélange de Rouss, fils de Japhet (2).

(1) C'est par un frère d'Auguste que ce prince, de race gothique, établissait cette illustre descendance. ( Magni Moscovia ducis Genealogia, brevis epitome ex ipsorum manuscriptis annalibus excerpta; edita Coloniæ, apud Maternum Cholinum.)

(2) Ceux qui veulent que les Russes soient de la grande famille Slavonne, contre l'opinion de Constantin Porphyrogénète, les font descendre de Saklab ou Slakab, autre fils de Japhet,

A

Sur ce point, il serait trop long de rapporter et de discuter l'opinion des savans (1): il ne reste, après la lecture de leurs volumineux écrits, qu'une notion plus vague et plus obscure de l'objet qu'on veut éclaircir. Ils ont trouvé tous des conjectures plausibles pour appuyer des raisonnemens contradictoires. Celui qui a remarqué que le nom de Russie, ou Rosseïe (comme les Russes le prononcent), signifie peuples dispersés, a peut-être donné l'idée la plus juste de leur origine (2). Inconnus aux Romains, ou du moins compris par eux sous 'la dénomination vague de Sarmates ou de Scythes, ils peuvent descendre de ces anciens Roxolans dont parlent Pline, Ptolémée et Strabon, ou bien être une race indigène ou mélangée de Huns ou de Goths, de Finnois ou de Scandinaves.... C'est une question peu impor

(i) On peut consulter la collection de Claude Marnius; la Bibliothéque orientale de d'Herbelot; l'Histoire généalogique des Turcs, par le prince Abulghasi-Bayadour; la Collection Byzantine; la Décadence de l'Empire romain, par Gibbon; Dissertation sur les anciens Russes, de Strube de Pyrmont; Mémoires de l'Académie; Histoire générale du Nord, de Schloetzer; les ouvrages de Mufler; les Histoires de Russie, de Leclerc et de Lévesque, t. I; enfin quelques géographes, tels que d'Anville, Busching, Stritter, Georgi, Storch, et M. Malte Brun dans son Précis de la Géographie universelle, tom. I, pag. 232, 344, 350, &c. &c.

(2) C'était autrefois l'opinion des Russes eux-mêmes. Le baron d'Herberstein dit, après avoir exposé divers sentimens sur leur origine Verùm eorum qui hasce asserunt opiniones, tanquam vero haud consonas, Mosci refutant, asserentes Rosseïam antiquitus appellatam quasi gentèm dispersam seu disseminatam ; id quod nomen ipsum indicat.Rosseïa etenim,

tante aujourd'hui : ce qu'il y a de plus raisonnable à supposer, c'est que, dans la grande inondation de barbares dont le flux et reflux déplaça tous les peuples, au commencement de l'ère chrétienne, depuis les frontières de la Chine jusqu'au détroit de Gibraltar, les Russes, qui se trouvaient au point du passage, doivent avoir été plus dispersés que les autres. Aussi, dit un écrivain moderne (1), <<< il n'y a pas de pays au » monde où il y ait un tel mélange, une telle variété » d'habitans, où ils diffèrent plus les uns des autres » par les mœurs, le langage, la religion, &c..... Par» tout ailleurs, on a pu observer une sorte de différence » entre le peuple conquis et le peuple conquérant : >> mais elle s'est affaiblie par degrés; ils se sont enfin » confondus (2): tandis qu'en Russie on ne voit pas

Rhutenorum linguâ, disseminatio seu dispersio interpretatur. Rerum Moscoviticarum Commentarii, Sigismundo libero Barone in Herberstein, &c. auctore, in-folio, Francofurti, 1600, pag. 1 et 2.-Description de l'empire Russien, par le baron de Stralhemberg, trad. de l'allemand; Amsterdam, Paris, 1757; tom. I, pag. 243-266.

(1) Storch, Tableau de l'empire de Russie, trad. franç. Paris, 1800, t. I.—Tooke (William), View of the Russian empire, London, 1800; vol. I, pag. 260.

(2) Voltaire observe (Vie de Pierre-le-Grand) que les autres états du monde sont ainsi composés; que la France est un assemblage de Goths, de Danois appelés Normands, de Germains septentrionaux appelés Bourguiguons, de Francs, et de quelques Romains mêlés aux anciens Celtes, &c. Mais, à l'époque où Voltaire faisait cette observation, on ne distinguait, en France, qu'une seule nation: en Russie on en compte plus de quatre-vingts de race bien

» seulement quelques nations, mais comme une mul«titude de nations, avec des variétés telles, que la plus « longue domination n'a pu les effacer. >>

Cette opinion, résultat naturel d'une suite d'observations judicieuses, montre l'absurdité des raisonnemens dont quelques écrivains ont flatté la vanité des Russes, en leur donnant une origine immémoriale, et en considérant les vastes accroissemens de leur empire comme la reprise légitime de ses anciennes possessions; tandis que c'est un immense édifice, construit pièce à pièce, ouvrage incohérent de l'ambition de ses princes et des caprices de la fortune.

D'ailleurs, ce n'est point chez les Russes qu'il faut chercher les premiers monumens de leur histoire; leur plus ancienne chronique date de la fin du XI.° siècle (1). Elle ne rapporte les faits des siècles précédens que sur la foi des récits étrangers; et voici ce qu'ils offrent de plus probable sur l'origine de la puissance russe.

Vers le temps de la grande invasion des Huns,

distincte; encore Storch ne comprend-il dans ce calcul ni les différentes branches des Russes, ni celles des Kalmoucks et des Tartares, ni les peuplades alliées des Ostiaks du Jenissei. (Tableau de la Russie, tom. I, pag. 238.)

(1) C'est celle de Nestor, moine à Kiow; elle commence à l'an 838, et finit à l'an 1113. Schloetzer la regarde comme un ouvrage unique dans son espèce, pour son exactitude et sa véracité; mais le savant Busching dit que « ce n'est point un guide certain, quant à > l'histoire ancienne de Russie. » (Introduction à la géographie de Russie, tom. I, pag. 65.)

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