couronner Etienne Battori. La Suède avait acquis le brave Pontus de la Gardie, simple gentilhomme languedocien, qui devint gendre du roi Jean III... Les deux rois se liguent plus étroitement. Pontus est victorieux par-tout: Étienne Battori chasse les Russes de la Livonie, les poursuit jusque dans Pololsk, et leur donne des exemples de courage et de générosité (1). Les Tartares de Crimée viennent jusqu'aux portes de Moscow. Effrayé pour la première fois, Iwan voit chanceler son trône, desire la paix, n'ose la demander lui-même, cherche un médiateur et ne trouve pas dans toute l'Europe de souverain qu'il juge devoir être plus favorable à ses intérêts que le pape Grégoire XIII. C'était bien moins un effet de la bizarrerie de son caractère qu'un moyen ordinaire de sa politique. On avait déjà vu plusieurs princes russes invoquer l'appui des papes, toujours empressés de se rendre à leurs vœux, parce qu'ils se flattaient toujours de recouvrer le vaste empire que l'église romaine avait perdu presque aussitôt qu'elle l'avait conquis. Grégoire XIII n'hésita point à répondre aux vues d'Iwan : il chargea de cette double mission Antoine Possevin, le plus habile et le plus délié des jésuites d'alors. Ce médiateur avait déjà soutenu les intérêts du pontife dans plusieurs cours de l'Europe. II avait étudié la nature et les ressorts du gouvernement moscovite, les mœurs du peuple, le caractère du tzar, (1) Reinoldus Heidestenius, de bello Moscovitico, &c., Basiliæ, 1588. - Leclerc, Histoire de la Russie ancienne, tom. II, pag. 342. L l'esprit des courtisans, la religion du pays et l'état du clergé russe... Il fut reçu avec toute la pompe qu'une cour barbare pouvait offrir. D'ailleurs, toute son adresse échoua contre l'opiniâtreté des Russes en matière de religion; mais la nécessité lui procura la gloire de réussir dans la négociation politique. La paix fut conclue. Le roi de Pologne rendit les conquêtes qu'il avait faites sur les Russes. Iwan IV renonça à la Livonie et à la Courlande (1); il fit presque en même temps un 1582. accord avec le khan de Crimée et une trève de trois ans avec la Suède. Ces trois traités déterminent les bornes du territoire russe à cette époque. Pendant que le Nord était tout en feu par l'ambition d'Iwan IV, un événement moins remarqué par les historiens qu'il n'aurait dû l'être, le passage des Anglais dans la mer Blanche, leurs communications avec les provinces intérieures de la Russie, opéraient une espèce de révolution, et préparaient l'influence de leur politique et l'ascendant de leur commerce dans cet empire (2).. Sous le règne d'Édouard VI en 1553, le célèbre navigateur Sébastien Cabot avait été chargé de chercher un passage au nord-est pour aller à la Chine et aux (1) Acta in conventu legationis serenissimi Poloniæ regis Stephani et Joannis Basilidis, magni Moscovia ducis, præsenté Antonio Possevino de societate Jesu in nomine Gregorii XIII, pont. max. Antoine Possevin a aussi laissé une relation de l'état de la Moscovie, que nous serons dans le cas de citer au chapitre suivant. (2) Tooke's View of the Russian empire, vol. II, pag. 474. Indes... Il s'avança jusqu'au 72. degré de latitude septentrionale; mais des quatre vaisseaux qui composaient sa flotte, un seul, échappé à des tempêtes furieuses, entra par hasard dans la mer Blanche et jeta l'ancre à l'embouchure de la Dwina, sur une côte alors presque déserte, près du monastère de Saint-Nicolas, à la place où fut depuis Arkhangel (1). Richard Chancellor, qui commandait ce bâtiment, apprend qu'il est sur les terres de la Russie. Des voievodes viennent l'interroger sur le sujet de son voyage. Il répond qu'il est venu pour lier des relations de commerce avec la Russie (2). Le tzar, informé de l'arrivée de ces étrangers, les fait venir à Moscow : il avait à se plaindre des villes anséatiques, il en voulait à tous ses voisins, et la haine générale qu'il inspirait est la première cause de l'accueil favorable qu'il fait aux Anglais. Des négocians hollandais, alors à Moscow, voulurent traverser la négociation de Richard Chancellor : ils représentaient la nation anglaise comme une bande de pirates. Leurs efforts n'empêchèrent pas qu'il n'eût une audience solennelle du tzar (3), et qu'il n'emportât (1) Anglorum Navigatio ad Moscovitas, authore Adamo Clemente, Philippo II dicata.- Hackluyt's Principal Navigations of the English nation, c. (2) Ibid. pag. 148 et 149.. (3) Ibid. pag. 477. Anglorum Navigatio ad Moscovitas, pag. 146, 148. Adam Clément, auteur de cette relation, se répand en éloges outrés sur la magnificence de la réception que le tzar fit aux marchands anglais. Dans son admiration, il va jusqu'à trouver la majesté du visage d'Iwan IV digne de la pompe qui l'environnait : Tanto fastigio digna. Il lui prodigue le titre de César des Russes, d'Empereur &c. l'assurance que les Anglais trouveraient toute sorte d'encouragemens pour établir leur commerce en Russie. La lettre d'Iwan au roi d'Angleterre était en langue russe et accompagnée d'une traduction allemande. Cette découverte inspira une satisfaction générale en Angleterre. Les navigateurs employés dans l'expédition de Sébastien Cabot n'avaient formé qu'une association privée ; la réine Marie les institua, par une charte expresse, compagnie des marchands aventuriers pour la découverte des terres inconnues (1). Richard Chancellor fit un second voyage en 1555; il présenta au tzar une lettre de Philippe et Marie (2), et, plus heureux encore que la première fois, il obtint en faveur des Anglais une permission générale de s'établir et commercer dans toutes les parties de la domination russe, avec exemption de toute espèce de droits, taxes et impôts (3). (1) Cette charte, peu connue, même en Angleterre, est rapportée par W. Tooke, vol. II, p. 487. Elle nomme Sébastien Cabot gouverneur de la compagnie; elle est datée de West-Monasterium [Westminster], 6 février 1655. (2) Ibid. pag. 475. (3) Cette pièce nous a paru trop importante et trop curieuse pour ne pas la donner avec les retranchemens qu'il sera possible d'y faire, sans en altérer l'originalité. « Iwan Wassilievisch, par la grâce de Dieu, Empereur de Russie (a), grand-duc de Novogorod, Moscovic, à toutes personnes qui verront, firont ou entendront ces présentes, salut. D'autant que Dieu a placé dans les divers états et royaumes du monde diverses produc (a) La vieille traduction anglaise, faite dans ce temps-là même, et rapportée par Tooke, porte le titre Emperour of Russia, On peut regarder cette patente mémorable comme le tions utiles, en sorte que l'un ait besoin des produits de l'autre, et que leur amitié s'augmente en proportion de leurs relations réciproques, et qu'entre les hommes il n'y a rien de plus desirable que l'union, sans laquelle aucune créature ne peut vivre en repos..... considérant aussi combien sont nécessaires les marchandises qui procurent aux hommes tout ce qu'il faut pour leur nourriture, habillement, leurs jouissances et tout ce qui peut leur rendre la vie agréable; qu'il est bon que ces denrées, apportées de divers pays, ne manquent nulle part, et que ceux qui les apportent jouissent de notre amitié, et vivent comme dans l'âge d'or..... à ces causes et autres bonnes considérations, ayant particulièrement égard aux lettres gracieuses accordées par la très-haute, excellente et puissante reine Marie, par la grâce de Dieu, reine d'Angleterre, de France, &c., en faveur de ses sujets marchands, les gouverneurs, consuls, assesseurs et communauté des marchands aventuriers pour la découverte des terres, &c. &c., avons accordé et accordons à cette compagnie, et à leurs successeurs, les faveurs, immunités, franchises, libertés et priviléges ci-dessous exprimés. » I. Nous donnons et accordons, pour nous et nos successeurs, pleine licence, faculté, autorité et puissance aux gouverneurs, consuls et tous membres de la compagnie et à leurs successeurs, pour eux et leurs facteurs, commis, employés à gages, serviteurs, &c., d'entrer sûrement et librement avec leurs marchandises et propriétés quelconques dans nos ports, villes et terres, d'y séjourner, voyager vendre ou acheter toute espèce de marchandises, avec toute espèce de marchands et autres gens de quelque nation, condition, état ou rang qu'ils soient, et avec les mêmes ou d'autres vaisseaux, biens et marchandises, de sortir et se transporter à leur gré dans d'autres états, royaumes, ou de continuer leur commerce dans notre empire ou nos domaines, librement et tranquillement, sans qu'aucune restriction, empêchement, exaction, emprunt, droit de passage, de séjour ou de douanes, imposition ou taxe quelconque, puisse être exigée pour leurs personnes, leurs bâtimens, marchandises et propriétés; en sorte qu'ils n'aient désormais aucun besoin de sauf conduit ou de licence premier |