La première remonte au temps de Rurick, qui imposa des corvées d'abord passagères et, bientôt perpétuelles. Le service dégénéra en servitude. Dans l'origine, il y avait des paysans sans propriété et sans maître : ils s'engageaient volontairement, et pour un temps, aux propriétaires; insensiblement, dans des années de famine ou de troubles, la misère les obligea de se vendre, ou bien la violence les fit esclaves. La seconde époque de la servitude des Russes date de la conquête des royaumes de Kasan et d'Astrakhan. La bonté du sol, l'abondance des productions de toute espèce et la douceur du climat, firent regarder ce pays comme une terre de promission. Les rapports avantageux que les conquérans en firent à leur retour, déterminèrent une multitude de paysans à abandonner un climat rude, et des terres glacées huit mois de l'année, pour s'établir dans des contrées plus heureuses (1). Mais Iwan IV, craignant de voir dépeupler le nord de ses états, attacha tous les paysans à la glèbe par une loi rigoureuse, peut-être alors nécessaire (2). Ils avaient un jour par semaine pour cultiver le champ qui devait les nourrir (3); ils ne pouvaient le quitter sans le congé (1) Ibid. pag. 217. L'Antidote dit que jusqu'au temps de Fœdor Iwanowitz il n'y avait point de serfs en Russie; mais que ce prince attacha le laboureur à la glèbe, parce que beaucoup de paysans aimaient mieux voler sur les grandes routes que de travailler à la terre, &c. (Antidote, pag. 196.) (2) Ibid. (3) Rerum Moscovitic. Commentarii, aut. B. Herberstein. Justice. Impôts. de leur maître: ils ne payaient pas encore de capitation; à cela près, ils étaient alors ce qu'ils sont aujourd'hui. Dans un tel état de société, le gouvernement ne peat être compliqué... La justice se rendait d'une manière expéditive, mais non sans frais, par des juges commis au nom du prince, et appelés Okolnitchi (1). Dans tous les procès, où chacun plaidait sa cause en personne, on commençait généralement par faire administrer le knout à l'accusé (2) des amendes ou des supplices divers et souvent le duel terminaient les affaires civiles et criminelles, où la corruption des juges donnait presque toujours tort au plus misérable (3). La théorie des impôts était simple comme l'administration de la justice. Les revenus des tzars ne consistaient alors que dans le produit de leurs domaines particuliers, dans quelques tributs payés en denrées, en fourrures, par des peuplades assujetties, ou dans des droits établis sur l'entrée et la sortie des marchandises (4), mais sur (1) Rerum Moscoviticarum Commentarii, pag. 39. (2) De là vient sans doute le vieux proverbe russe : Le knout n'est pas un ange, mais il apprend à dire la vérité. (3) Rerum Moscoviticarum Commentarii, pag. 40. Le baron d'Herberstein attribue l'extrême corruption des juges à l'indigence dans la-` quelle le tzar les faissait, et à l'impunité de leurs forfaitures. (The state of Russia by capt. John Swey, p. 189, 190; London, 1716. On trouve dans le même chapitre des détails curieux sur l'instruction de la procédure, mais trop longs pour trouver place dans cet ouvrage. (4) Un géographe contemporain évalue ces droits à 600,000 escus de notre monnaie.... Herberstein dit que ces droits allaient à sept dengas (petite monnaie tartare), pour la valeur d'un rouble. Il est difficile tout dans des vexations nombreuses, faites pour le tzar, ou du moins en son nom (1): au reste, la dépense du souverain se bornait à l'entretien de sa cour; le clergé avait ses dîmes et ses immenses propriétés, et l'armée ne coûtait presque rien au trésor du prince. On va le voir par sa constitution. Quelques régimens de Strelitz ou Streltsis (2) formés Armée; à la tactique européenne, et destinés à la garde du tzar, ne pouvaient être d'un grand secours dans les guerres que les Russes avaient toujours à soutenir: aussi le tzar faisait faire, tous les deux ou trois ans, le dénombrement des familles de nobles, pour avoir en tout temps un corps prêt à prendre les armes au premier signal (3); et depuis long-temps, du côté de la Crimée seulement, il n'y avait pas moins de vingt mille hommes employés d'estimer d'après cela la quotité de l'impôt; car le denga a varié dans son titre et dans son poids, de manière qu'il en fallait de quatre-vingts à deux cents pour un rouble, suivant le temps et la volonté du tzar. Rerum Moscov. Comm. pag. 44.) Voltaire évalue le revenu des tzars, avant Pierre I.er, à 5,000,000 roubles. (Hist. de Pierre-le-Grand, pag. 67.) (1) Herberstein, Oderborn, Hedestein, rapportent plusieurs traits qui ne peuvent trouver place ici. Quand le tzar avait besoin d'ar gent, il envoyait donner le knout à ceux qu'il supposait en avoir, et qui se rachetaient ainsi d'un châtiment qu'ils n'avaient pas mérité. (Guagnini, Descriptio Moschovia, pag. 179.) (2) « Ce mot veut dire tireurs. Ils ont été érigés lorsque les armes » à feu furent connues, et ils furent long-temps les seules troupes qui en firent usage.» (Antidote, 1770, pag. 135.) (3) Rerum Moscoviticarum Commentarii, pag. 36.— Guagnini, Desiptio Aloschovia, pag. 78. à la défense des frontières (1). Quand il s'agissait d'une guerre plus importante, un ordre particulier rassemblait un certain nombre de serfs sous les bannières de leurs kniaz et de leurs voievodes [officiers généraux], ou golovy [colonels]. Ces soldats étaient armés, équipés, entretenus et nourris aux dépens de leurs propriétaires ou de l'ennemi... Adam Clément dit qu'Iwan IV avait une armée de neuf cent mille hommes, dont trois cent mille le suivaient dans ses expéditions, et six cent mille restaient pour la garde de l'État (2). C'est une exagération dont les marchands anglais voulaient flatter l'orgueil d'Iwan... Le jésuite Antoine Possevin porte l'armée russe à deux ou trois cent mille hommes (3), et sa qualité de médiateur doit le faire supposer mieux instruit. Quoi qu'il en soit, la force principale de cette armée consistait en cavalerie. Ses armes défensives étaient un casque de cuir, fait en forme de bonnet, un bouclier, quelquefois une cuirasse ou cotte de maillés; ses armes offensives, l'arc, la lance, la hache, une espèce de poignard, et souvent un bâton (4). Les pièces d'artillerie, fondues par des Allemands et des Italiens, n'étaient pas encore fréquemment en usage: les Russes ne savaient, ni les fondre, ni s'en servir utilement (5). D'ailleurs le luxe asiatique du tzar, sa (1) Rerum Moscoviticarum Commentarii, pag. 36. (2) Anglorum Navigatio ad Moscovitas, &c. pag. 149. (3) Antonii Possevini Moscovia, pag. 14. (4) Rerum Moscoviticarum Commentarii, (5) Ibid. pag. 37.. pag. 36. tente doréé, sôn armure enrichie de perles et de diamans, contrastaient étrangement avec la misère de ses soldats (1). Redoutables par leur patience à supporter la faim (2) et les fatigues, et sur-tout par leur fureur dévastatrice, ils ne savaient que dresser une embuscade, envelopper l'ennemi, se précipiter sans ordre sur ses rangs; et dans cette attaque impétueuse, mais mal soutenue, ils semblaient lui dire : « Fuyez, ou nous fuirons (3)». Une fois en fuite, ils ne pensaient qu'à s'éloigner du champ de bataille: poursuivis ou pris, ils ne savaient ni se défendre, ni demander grâce, tandis qu'un Tartare, renversé de son cheval, dépouillé de ses armes, et sous le fer du vainqueur, se défendait des mains, des pieds et des dents, jusqu'au dernier soupir (4). On a vu, dans les guerres de Livonie, les boyards jaloux des étrangers que le tzar avait appelés dans son armée: cette jalousie produisait souvent les mêmes effets (5), mais elle ne les éclairait pas dans l'art qu'ils ignoraient. En passant chez les Russes, la religion grecque, déjà Religion? si chargée de superstitions, était devenue une véritable idolâtrie.... Les signes de croix, les prosternations continuelles, les jeûnes rigoureux, leur tenaient lieu de (1) Anglorum Navigatio, &c. (2) Ils ne se nourrissaient guère que d'un peu de farine d'avoine délayée dans de l'eau ou de la neige. (Anglor. Navig.). (3) Rerum Moscoviticarum Commentarii, pag. 36. |