bonnes actions. Dieu n'existait pas pour eux; toute leur ferveur était pour le S. Nicolas, dont on voyait l'image dans chaque maison (1); c'était l'unique objet de leurs. affections et de leur hommage (2). Ils ne connaissaient pas de plus horrible imprécation que de souhaiter à leurs ennemis de mourir dans l'église romaine (3); et le tzar lui-même, quand il avait reçu des ambassadeurs catholiques, ne manquait pas, à leur départ, de laver la main qu'il leur avait présentée, comme s'il eût contracté quelque souillure. Il y avait dans la salle de réception une cuvette d'argent, destinée à cet usage (4). Un patriarche, établi depuis 1588, a quelquefois balancé l'autorité des tzars. Les mœurs du haut clergé étaient généralement pures (5); les moines gardaient (1) Ici, nous ne faisons que traduire l'opinion de sir George Tuberville, qui fut envoyé en qualité de secrétaire de légation avec Thomas Randolphe, ambassadeur d'Elisabeth, auprès de l'empereur Iwan IV, en 1568. Ce George Tuberville, qui séjourna fong-temps à Moscow, a écrit plusieurs lettres en vers sur les mœurs et les usages de la Russie. Sa place, et sa qualité d'Anglais, nous ont paru donner plus d'intérêt à sa relation. Nous allons donc en citer quelques fragmens, d'ailleurs curieux, comme des exemples de la vieille poésie anglaise. Voici ce qu'il pense de la religion des Russes : Their idoles have their heartes, or God they never cali, (1." Letter, to. Ed. Dancie.} (2) Herberstein, Oderborn, Fossevin, Joannes Faber, Perry, &c. (3) Lévesque, Histoire de Russie, tom. III, pag. 567. (4) Ant. Possevin, pag. 17. (5) Moscovitarum Religio, autore Joanne Fabro, edita Basilia. le célibat, et ne mangeaient jamais de viande. On peut juger de la considération dont ils jouissaient, d'après la coutume suivie, par tous les tzars, de mourir dans un froc: aussi cette classe envahissait-elle tous les biens; et c'était toujours du fond d'un monastère qu'on tirait les évêques et le patriarche. Cependant les moines' croupissaient, comme le bas clergé, dans la plus crasse ignorance (1). Ils ne savaient même pas quel était l'instituteur de leur ordre (2): sous Iwan IV, il n'y en avait pas trois qui sussent le latin; et, ce qui doit surprendre chez un peuple soumis à l'église grecque, personne ne savait le grec (3). On peut juger par-là de l'état des lumières en Russie, à cette époque. Toute la littérature nationale consistait en une version de la Bible, en deux ou trois chroniques sorties de l'ombre d'un cloître, et quelques chansons dans le goût de celles qui charment aujourd'hui les Kalmoucks. Il n'y avait point de colléges, mais seulement quelques petites écoles, pour apprendre à lire et à écrire (4): ce talent même était si rare, que fe tzar (1) The state of Russia, by J. Perry, p. 209-215.- Stralhemberg, p. 338 et 339, c. I. (2) Lévesque, Histoire de la Russie, tom. III, pag. 56; Ant. Possev. Moscovia. (3) Ibid. Comme la religion grecque n'a point changé, nous renvoyons ce que nous avons à en dire, au chap. XI de cet ouvrage. (4) Antonii Possevini Moscovia, pag. 3. était supposé ne pas l'avoir (1). Il n'y avait pas vingt arith méticiens dans tout l'empire; l'usage des chiffres y était extraordinaire. On comptait dans les bureaux de l'État, à la manière des sauvages, avec des grains enfilés sur un fil d'archal, ou des noyaux de fruits qu'on jetait dans un sac (2). L'astronomie y était si peu connue, qu'un secrétaire de l'ambassade envoyée par le duc de Holstein, devint en horreur au peuple, et fut sur le point d'être brûlé comme sorcier, parce qu'il était astronome (3). La médecine était une profession de charlatan; la connaissance de quelques plantes suffisait pour s'arroger impunément l'exercice d'un art tout-à-fait ignoré (4). Dans (1) C'est Pierre I.cr qui introduisit, pour le tzar, l'usage de signer les lettres et les ratifications des traités. Ses prédécesseurs se servaient d'un cachet pour cet usage. (2) Voyage d'Oléarius, pag. 132. Histoire universelle, liv. xxx. Stralhemberg, tom. II, p. 209. (3) Oléarius raconte fui-même les dangers qu'il a courus en cette qualité, dans son Voyage, pag. 128. L'objet de cette ambassade envoyée par le duc de Holstein, en 1633, était d'obtenir du tzar Mickaïl Foederowitz la permission, pour les négocians du Holstein, de traverser la Russie en allant faire le commerce des soies dans la Perse. Le passage fut accordé, mais le commerce ne put pas se soutenir. (4) Oléarius rapporte l'histoire d'un boyard dont la femme imagina, pour se venger des coups dont il l'accablait, de le faire passer pour médecin, sous Boris Godounow. Il serait singulier que cette aventure, en tout semblable à l'anecdote sur laquelle Molière a composé son Médecin malgré lui, fût le premier patron de cette comédie. (Voyage d'Oléarius, pag. 94.) ce temps-là comme aujourd'hui, les grands ne payaient leurs médecins qu'en cadeaux (1). On a vu que, depuis plusieurs siècles, les grands princes russes faisaient venir des architectes de la Grèce, de l'Italie et de l'Allemagne. Mais leur exemple n'en avait pas formé en Russie. Toutes les fois qu'il fallait bâtir une église ou un palais de brique, on avait encore recours à l'étranger. Il en était de même dans tous les arts (2); le génie russe semblait les repousser moins par impuissance d'y réussir, que par une répugnance naturelle à les cultiver. Le palais du tzar Iwan IV était bâti solidement, mais sans avoir l'élégance qu'on donnait ailleurs à la demeure des rois. Le nécessaire s'y trouvait à peine; des fenêtres étroites y laissaient peu de passage à la lumière; on n'y trouvait guère d'autres meubles utiles que des siéges de bois attachés aux murs; en un mot, c'était plutôt une prison qu'un palais (3). Mais l'or et les diamans étincelaient sur le trône et sur les vêtemens du duc (4); il y avait une quantité prodigieuse de vases (1) Voyage d'Oléarius, page 126. Voyage de Clarke, chap. VI. (2) « Le grand-duc a des artisans étrangers, qui ont de bons gages; » ses sujets étant incapables d'apprendre un métier où il faille » de l'industrie pour réussir, quoique sous la direction d'un maître étranger. Ils ne laissent pas de bien travailler de la main, et d'imiter » ce qu'ils voient faire. (Voyage d'Oléarius, pag. 127.) (3) Anglorum Navigatio ad Moscovitas &c. (4) A la réception de l'ambassade du duc de Holstein, « le grand» duc était vêtu d'une tunique d'or enrichie de toutes sortes de précieux par leur matière (1), et des galeries remplies de robes brodées d'argent, d'or et de perles, qui servaient à parer les boyards, les bourgeois et les marchands, les jours que le tzar recevait des ambassadeurs, et qu'on montre encore avec orgueil au trésor impérial de Moscow (2). C'était le luxe et la dépense favorite du souverain (3). Ce goût, passé des Tartares chez les Russes, offrait une oppoŝition choquante avec l'état grossier des arts dans ce pays. A côté de ces palais vastes, de ces églises à flèches perles. Il avait par-dessus son bonnet de martre une couronne d'or, parsemée de gros diamans, et tenait à sa main droite le de sceptre même étoffe et richesse.... Le trone avait été fait par un Allemand, » et l'on nous dit que l'on travaillait à un autre auquel on employait » seize cents marcs d'argent et cent vingt onces d'or de ducats pour » le dorer.» (Voyage d'Oléarius, pag. 26 et 27.) Les autres réceptions d'ambassadeurs offraient la même magnificence. (Voyez Herberstein, Ant. Possevin.) (1) H est sans doute inutile de faire observer que ces vases précieux, cette vaisselle magnifique, ces robes brodées d'or et de perles, étaient des produits de l'industrie étrangère. La plupart étaient des présens envoyés par les villes anséatiques. (Herberstein, Ant. Possevin, Arsenius, Oléarius, &c.) (2) Voyage de sir Ed. Clarke, London, 1800, in-4.o (3) Lorsque Jenkinson, ambassadeur d'Élisabeth auprès d'Iwan' IV, eut vu « ces belles robes toutes garnies de perles et d'autres pierres pré»cieuses, et si lourdes, qu'un homme pouvait à peine les porter, on » l'invita particulièrement à en faire venir d'Angleterre de semblables » ou même de plus riches, attendu que l'empereur employait volontiers »son argent à l'acquisition de ces objets. » (Hackluyt's Principal Navigations of the English nation, vol. I, pag. 319.) |