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(Samedi 22 mars 1817.)

(No. 273.)

Sur la mission de Cayenne, et sur les moyens qu'offre la religion pour faire prospérer cette colonie.

Le moment où l'on espère que la France va rentrer en possession de Cayenne et de la Guyane françoise, invite à s'occuper de donner à cette colonie plus d'importance et de solidité. Plus nous avons fait de pertes en ce genre, plus il est à désirer qu'on prenne des moyens pour tirer parti de ce qui nous reste. C'est à cela que tendent deux Mémoires que nous avons sous les yeux, et qui ont été composés par deux habitans de Cayenne. L'un est M. le Grand, préfet apostolique des missions de Cayenne, et l'autre est un propriétaire sage et expérimenté. Nous n'extrairons de leurs Mémoires que ce qui a un rapport plus direct avec notre objet.

Le premier Mémoire roule sur deux points, 1°. la nécessité d'instruire les nègres dans la religion, et de les former à la pratique des devoirs qu'elle impose; 2°. les moyens qu'il y auroit à prendre pour procurer aux colonies de bons prêtres. Tous ceux qui habitent les colonies se sont aperçus de la dé→ pravation qui y règne, et chacun propose des moyens pour y remédier. On parle de force armée pour maintenir l'ordre, de châtimens contre les coupables. Il faut le dire, les colonies sont perdues si l'on n'a recours qu'à la rigueur. Ce remède aigrira le mal, loin de l'adoucir. Les negres se portent aisément au désespoir, et le désespoir les pousse aux dernières extrémités. Deux fléaux terribles menacent incessamment les colons, le poison et le marronage, c'est-à-dire, la désertion. Le poison est une arme terrible dans la main des nègres, une arme qu'on ne peut leur arracher, et contre laquelle il est difficile de se garantir. Ont-ils entr'eux une querelle? il faut que tôt ou tard un des deux périsse. Mais si c'est à leurs maîtres qu'ils en veulent, il leur faut bien d'autres victimes, et les hommes, les enfans et les bestiaux sont tour à tour frappés avant qu'on ait pu reconnoître le coupable. Dans plusieurs colonies, les maîtres se rendoient justice eux-mêmes, et le gouvernement fermoit les yeux sur cet abus. Assez Tome XI. L'Ami de la Religion et du Ror. M

souvent, ils recouroient à des sorciers et à des devineresses, auxquels l'ignorance faisoit ajouter foi. La religion. est le meilleur préservatif contre ces crines ct ces abus; malheureusement elle a été trop négligée jusqu'ici On se contentoit dans les colonies de baptiser les negres, et on ne s'occupoit pas de les instruire, et d'en faire de bons chrétiens. Un prêtre qui seroit allé sur les habitations catéchiser les nègres, se seroit attiré les moqueries des blancs, et le maître n'auroit pas manqué de le prier de ne pas revenir. La religion cependant n'est-elle pas aussi pour eux, et parce qu'ils sont esclaves, faut-il les réduire à la condition des brutes, et leur interdire les moyens de salut? Aujourd'hui que l'on voit la source du mal, on voudroit avoir des nègres qui eussent de la religion. Que fait-on pour y parvenir? Les Espagnols et les Portugais sont plus sages. Ils instruisent leurs negres, et leur inculquent des sentimens de vertu. Aussi on n'entend point parler parmi eux des désordres dont nous nous plaignons. Il en étoit autrefois ainsi à Cayenne, lorsque la colonie étoit suffisamment pourvue de pasteurs. Nos premiers missionnaires furent les Jésuites, et on sait quel étoit leur talent pour inspirer l'amour des vérités chrétiennes. Après quel que intervalle, ils furent remplacés, sous le ministère de M. de Sartine, par les prêtres du Saint-Esprit, qui continuèrent leur bonne œuvre. Les nègres étoient alors assez instruits, et il étoit rare d'eutendre parler parmi eux de désordres.

Le marronage est surtout redoutable à Cayenne, à cause des forêts qui nous environment, et des retraites inaccessibles que les nègres peuvent s'y faire, et d'où ils reviennent piller les habitations. Surinam et la Jamaïque en sont des exemples. Autrefois, quand des nègres désertoient, nos prêtres s'y rendoient, accompagnés de quelques negres fidèles, et parvenoient à ramener les fugitifs. Un d'eux en fit rentrer ainsi une troupe entière en 1787. Sous M. d'Orvilliers, beaucoup de nègres s'étoient retirés sur une montagne. On voya un corps de soldats et d'habitans réunis pour les envelopper. Les nègres eurent l'adresse d'enlever à ce corps tous ses vivres, et l'expédition revint sans avoir rien fait. Cẽ mauvais succès mit la désolation dans la colonie, et les nègres restés dans les habitations commençoient à s'agiter d'une ma niere inquiétante, lorsqu'un bon Jésuite, nommé le P. Foque, entreprit de vaincre les fugitifs à lui tout seul. Il se rendit

y en

à leur camp, passa plusieurs jours avec eux, et les ramena aux pieds du gouverneur, qui leur accorda aisément leur pardon. Voilà quelle est l'influence d'un prêtre vertueux et estimé!

Lors de la révolution, on demanda aux ecclésiastiques le serment; ils le refusèrent, et furent renvoyés. Peu après, parut le décret de liberté générale. S'il n'entraîna pas tant de maux à Cayenne qu'ailleurs, c'est que les sentimens de religion ne s'effacerent pas tout-à-fait. Pour achever de la leur faire perdre, on disoit aux nègres que les prêtres étoient ennemis de leur liberté. En 1804, on abolit le décret de la liberté des noirs, et alors plusieurs s'enfuirent dans les bois, d'où ils répandirentl'alarme dans les habitations voisines. Qu'on nous donne des prêtres, ils arrêteront ces désertions funestes. Les prêtres étoient les confidens des nègres, leurs consolateurs, leurs arbitres dans les différends. Les jours de fêtes étoient pour les nègres des jours de délasseinent. Les cérémonies de l'Eglise leur plaisoient; ils y chantoient volontiers; ils écoutoient les instructions avec d'autant plus de plaisir qu'elles s'adressoient à eux. Qu'on nous rende donc des prêtres, qu'on rétablisse les prétres; c'est le cri général; c'est un bienfait que nous attendons de la sagesse comme de la piété du Roi.

Mais ce qui est surtout important, c'est d'avoir de bons prêtres. Que l'on se garde bien de nous envoyer indistinctement les premiers qui se présenteroient. C'est ce qu'on fit immédiatement après la destruction des Jésuites, et on eut bientôt lieu de s'en repentir. On recourut alors au séminaire du Saint-Esprit. C'est aussi le meilleur moyen à prendre en ce moment. Que l'on rétablisse ce séminaire, qu'on le dote suffisamment, et nous en verrons sortir une jeunesse zélée, et remplie de l'esprit ecclésiastique, qui se répandra ensuite dans les colonies. Ce séminaire sera en même temps un lieu de retraite pour les missionnaires âgés et infirmes. Il faut donc que la maison soit spacieuse, et qu'elle ait un fonds assuré. Ne pourroit-on pas y affecter les biens ecclésiastiques non aliénés qui se trouvent dans les colonies? II a à la Martinique la belle habitation Saint-Jacques, qui appartenoit anx religieux Hospitaliers de Saint-Jean de Dieu. Dans la ville Saint-Pierre, même île, les Dominicains avoient plusieurs maisons. A la Guadeloupe, ils possédoient une habitation dont on peut disposer; il doit y avoir aussi à la Basse

Terre des maisons qui appartenoient aux Capucins. A Cayeune, le gouvernement a entre les mains des biens qui seroient suffisans, non-seulement pour remplir l'intention des donateurs, mais encore pour contribuer à l'entretien du séminaire.

S'il y a encore quelques prêtres à la Martinique et à la Guadeloupe, grâce à la Providence qui y fit parvenir trentedeux des prêtres qui avoient été déportés ici. Ils paroissoient devoir périr en mer; mais ils gagnèrent Surinam, et de là là Martinique ou la Guadeloupe, où ils furent places. Leur nombre diminue chaque année, et personne ne se présente pour les remplacer. Plus de la moitié des paroisses sont sans pasteurs. Je suis le seul prêtre à Cayenne, où j'ai été rappelé après une longue absence. Je fais ce que je puis en ville; quant aux campagnes, elles sont entièrement abandonnées. D'ailleurs mon âge et mes infirmités m'annoncent que le terme de ma carrière n'est pas fort éloigné. J'ai vu le rétablissement du trône légitime; puissé-je voir arriver des coopérateurs qui continuent l'œuvre à laquelle je suis consacré depuis trente

deux ans !

S'il est nécessaire de s'occuper d'inspirer la religion aux nègres, il ne l'est pas moins de songer à l'instruction des blancs. Avant la révolution, il avoit été fait des donations pour l'éducation des enfans des blancs, objet fort négligé ordinairement dans les colonies; le gouvernement s'empressera sans doute de remplir les intentions respectables des donateurs. Les Sœurs Hospitalières étoient alors chargées de l'éducation des filles, et s'en acquittoient fort bien. Elles étoient au nombre de neuf; il faudroit qu'on nous en renvoyât assez pour vaquer au double objet de l'institut, le soin des malades et l'éducation des enfans. Nos prêtres s'étoient chargés autrefois de l'éducation des garçons. Le pourroient-ils aujourd'hui qu'ils seroient toujours en si petit nombre? Je propose de les remplacer par des Frères des Ecoles chrétiennes, qui enseignent tout ce qu'on apprend ordinairement en ce pays. Ceux qui veulent donner à leurs enfans une éducation plus brillante, les envoient en France. Les Frères avoient autrefois une maison à la Martinique, où l'on étoit fort content d'eux. Trois nous suffiroient en ce moment, deux pour les blancs, et un pour les enfans de couleur. Une négresse a fait, en faveur de ces derniers, une donation assez considérable, destinée à l'établissement d'une maison d'éducation. Il çon

viendroit que le préfet apostolique eut droit d'inspection sur les écoles. Surtout qu'on ne nous envoie pas de laïques qui ne viendroient que pour faire fortune, et qui négligeroient leur devoir. En ce moment, l'éducation est nulle à Cayenne; les parens ne trouvent pas à faire apprendre à lire à leurs enfans. Le gouvernement jouit des legs pieux faits à cette fin, et doit en remplir l'objet. Il y en a quatre principaux. 1°. Celui de la négresse qui étoit riche, et qui donna tout ce qu'elle possédoit; on s'en est servi pour bâtir le collége, et pour former à Eprouagne une habitation détruite par la révolution. 2°. M. de la Motte-Aigron donna, vers 1785, la moitié de sa sucrerie pour l'éducation des filles. 3°. M. de Fiedmont, gouverneur, laissa une ménagerie, soixante negres et une maison en ville pour fournir des secours aux enfans des officiers canadiens : les biens étoient administrés par un bureau ; l'assemblée coloniale s'en empara en 1790. 4°. Une donation faite à l'hôpital pour quatre lits; on ignore en quel temps.

A la suite du Mémoire de M. le préfet apostolique, sont des réflexions sur la conduite que les maitres doivent tenir envers leurs esclaves. 11 représente combien, indépendamment des motifs d'un ordre supérieur, il est impolitique de mal parler de la religion et de ses ministres, d'affecter du mépris pour les pratiques de piété, et de ne jamais paroître à l'église. Il est difficile que les negres aient de la religion quand les maîtres leur donnent des exemples contraires. M. le Grand s'élève aussi contre un systême de sévérité outrée à l'égard des negres. Ce systême a eu de fàcheux effets à la Barbade, à Surinam, à la Jamaïque. Les Jésuites à Cayenne, les Dominicains à la Martinique et à la Guadeloupe, ont donné des exemples dont il faudroit profiter. Ils n'achetoient point de negres, et néanmoins leurs habitations étoient devenues fort importantes, parce qu'ils traitoient bien leurs nègres, qu'ils ne les accabloient pas de travail, et qu'ils donnoient des soins particuliers aux enfans et aux vieillards. Une population nombreuse leur assuroit des bras; et l'ordre, la tranquillité et l'aisance régnoient sur leurs habitations.

Le second Mémoire est d'un ancien propriétaire, qui réside à Cayeme depuis quarante-quatre ans, et qui a été honoré de la confiance de MM. de Préfontaine, de Franqueville, de Villebois et Lescalier, gouverneurs et ordonnateur à Cayenne.

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