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MADAME ATKYNS

CHAPITRE PREMIER

LE CHEVALIER DE FROTTÉ

Une agitation singulière se remarquait dans les rues de Lille, le 7 avril 1790, à l'aube. Dans les quartiers du nord, non loin de la citadelle, des troupes de soldats sillonnaient les avenues, occupaient les carrefours, fouillaient les cours des maisons. A chaque instant retentissaient des coups de feu et, chose extraordinaire, ceux à qui s'adressait cette fusillade étaient aussi des soldats. Au milieu de la fumée, d'un tapage assourdissant, aux cris des habitants réveillés dans leur sommeil, on distinguait les uniformes bleus, aux parements bleu de ciel, du régiment de la Couronne, l'un des quatre corps de la garnison'.

Des décharges successives accueillaient tout cavalier qui se montrait; la lutte semblait engagée à outrance entre les chasseurs de Normandie, chargeant sur les pavés ou combattant à pied de leurs mousquets, et les grenadiers de la Couronne et du Royal-Vais

seaux.

Aucun ordre, d'ailleurs, dans cette bataille de rues. De l'un et l'autre côté les officiers semblaient absents, et s'en fût-il, par hasard, trouvé quelques-uns, l'excitation et la colère empreintes sur les visages des assaillants auraient rendu, à coup sûr, inutile leur intervention.

L'émeute régnait donc dans la cité de Lille, la capitale de la province, et, cette fois, l'ordre était troublé par ceux qui avaient la tâche de le faire respecter. Depuis plusieurs mois, cependant, la ville avec ses quatre

• Victor Derode. Histoire de Lille et de la Flandre wallonne. Lille, 1848, in-89, t. III, p. 26. Pour le récit de ces troubles militaires à Lille, nous avons aussi utilisé une relation manuscrite du chevalier de Frotté, Archives nationales, D XXIX, 36 et un exposé, adressé au roi par le marquis de Livarot, sur sa conduite, dont un exemplaire imprimé se trouve à la Bibliothèque nationale, L'k 4008.

vingt mille habitants1, assistait énervée, inquiète à une succession d'événements des moins rassurants. La convocation des États généraux, la formation de la garde nationale, la création de la municipalité, deux mois auparavant, en février, le bouleversement administratif qui remuait la province, s'ajoutant à la détresse du royaume, à la misère générale, aux prix exagérés des denrées, à la ruine du commerce, avaient produit à plusieurs reprises de l'effervescence dans cette ville industrielle, enrichie par son commerce. Et, au moment où de Paris parvenaient les nouvelles les plus alarmantes, le 29 avril 1789, coïncidant presque jour pour jour avec le sac de la fabrique Réveillon, au faubourg Saint-Antoine, le pillage faisait son apparition à Lille3, les boulangeries étaient envahies; trois mois plus tard, quatre maisons étaient attaquées par la populace et livrées à l'incendie.

Des troupes composant alors la garnison de Lille, une partie avait pris ses cantonnements en ville; c'étaient les régiments de la Couronne et du Royal-Vaisseaux. L'autre, chasseurs de Normandie et fantassins de ColonelGénéral, le premier régiment de France, logeaient à la citadelle, l'imposante forteresse, le chef-d'œuvre de Vauban. Certains signes d'indiscipline avaient déjà percé au sein des deux premiers corps; l'esprit révolutionnaire travaillait activement la troupe, favorisé par le contact permanent avec la population au milieu de laquelle vivaient ces deux régiments. Plus à l'écart de cette influence, dans la citadelle, Colonel-Général nourrissait des sentiments d'entier dévouement au Roi; il avait d'ailleurs à sa tête un corps d'officiers, dont le royalisme le plus pur allait se manifester dans les événements que nous essayons d'esquisser.

'Derode. Ouvrage cité, t. III, p. 3.

Que fallut-il pour déchaîner l'un contre l'autre ces deux éléments de la garnison? Un rien, une rixe, qui éclata le 8 avril au soir, entre quelques chasseurs de Normandie et des grenadiers'; d'aucuns disent un duel. Le fait est que deux soldats restèrent sur le carreau. Aussitôt cavaliers et fantassins prennent fait et cause pour leurs frères d'armes. Durant la nuit, on projette une attaque générale de part et d'autre. Les officiers en ont vent, mais, par malheur, deux des colonels sont en congé. Le marquis de Livarot, commandant de la province, essaye de rétablir l'entente en réunissant des députés de chaque corps; il croit y avoir réussi, mais à peine les a-t-il quittés que la fusillade reprend sur tous les points à la fois. Colonel-Général était jusque là resté neutre; la discipline, maintenue avec soin par ses chefs, avait contenu la troupe. Mais, quand dans la soirée, l'on vit les chasseurs de Normandie se replier sur la citadelle et y chercher un refuge, leurs camarades d'infanterie leur ouvrirent les portes, les accueillirent et associèrent leur cause à la leur, sans plus écouter la voix de leurs officiers qui cherchaient encore à ramener la paix. Ils poussèrent même les choses plus loin. MM. de Livarotet de Montrosier, ce dernier lieutenant du Roi, ayant franchi la porte qui donnait accès dans la place, se virent entourés par un groupe de mutins dont l'attitude était menaçante. Malgré les efforts du peu d'officiers qui se trouvaient présents1, on les entraîna dans une casemate où leur situation était tout simplement celle de prisonniers.

* Moniteur universel du 12 avril 1790.

Moniteur du 12 avril 1790.

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