à son tour, le léguait à l'heureux époux de miss Walpole. Les jeunes mariés allèrent s'installer dans cette antique demeure de Ketteringham-Hall, dont on va retrouver si souvent le nom au cours de ce récit. Pendant quelques années, ils y menèrent sans doute une vie paisible, venant tout au plus passer quelques semaines à Londres, au cœur de l'hiver. « Les peuples heureux n'ont pas d'histoire », dit un proverbe. Il en est de même des gens heureux. Aussi nous garderons-nous de leur en créer une, faute de données. Cependant, il convient de mentionner le récit d'une amie de notre héroïne, la comtesse Mac-Namara, qui semble avoir été fort au courant des différentes particularités de sa vie. Elle nous apprend que le couple Atkyns, qui, d'après elle, ne trouvait pas beaucoup de relations en Angleterre - et l'explication paraît manquer de vraisemblance - se décida à gagner le continent et à venir habiter Versailles'. Là, le charme de la jeune femme, sa jolie voix, les réceptions qu'elle ne tarda pas à donner et qu'elle pouvait rendre brillantes, 1 Diairies of lady of quality, from 1797 to 1814, edited with notes, by A. Hayward, Esq. Londres, Longman, Green, etc. 1864, pp. 216-219. grâce à la fortune de son mari, lui ouvrirent bientôt toutes les portes de la société qui formait la Cour. Dans l'entourage de la Reine, en particulier, la belle duchesse de Polignac s'éprit de cette gracieuse étrangère. Elle voulut, à son tour, que son auguste amie la connût et voilà comment Mme Atkyns fut introduite dans ce cercle d'intimes qui vivaient autour de Marie-Antoinette. Plus que ses amies encore, la nouvelle venue fut aussitôt subjuguée par le charme de la Reine. Entre ces deux femmes s'établit un courant d'ardente sympathie. Leurs regards s'étaient compris, une profonde communion de pensées les unissait. Pour qui connaissait Mme Atkyns, il était hors de doute que ces premières impressions ne s'évanouiraient point, mais qu'elles seraient au contraire le début d'une amitié inaltérable. Sur les détails de ce séjour à Versailles, l'on en est réduit à ces seuls renseignements. A quelle époque exacte les Atkyns prirent-ils cette résolution leur unique enfant, un fils, devait être né déjà - quels étaient leurs projets en venant à la Cour? Autant de questions impossibles à résoudre. Les premières manifestations révolutionnaires les trouvèrent probablement encore à Versailles. Ils assistèrent peut-être à l'ouverture des États généraux, que saluait tout le Royaume et frémirent à la nouvelle de la prise de la Bastille. Quand les journées d'octobre ramenèrent la famille royale à Paris, en un sinistre cortège, le jeune ménage n'était déjà plus là pour compatir aux inquiétudes et aux souffrances de ceux qu'ils aimaient. Une brève mention, quelques mots trouvés, après de patientes recherches dans des registres poussiéreux, en disent assez pour nous fixer sur leur sort. C'est là une des joies du chercheur que de découvrir, noyée dans la paperasse administrative amassée par les années, une faible lueur, une indication infime, isolée, mais qui lui ouvre de lointains horizons. Dans l'automne de l'année 1789, une Anglaise, que l'administration chargée de la perception d'un impôt spécial, la capitation, nomme milady Charlotte, arrivait à Lille avec un domestique1. En décembre, elle s'installait paroisse Saint-André, dans une << Milady Charlotte, Anglaise, pensionnée de France, douze livres, pour un domestique en 1789, deux livres; douze livres, deux domestiques pour 1790, quatre livres. » Registre de capitation des sept paroisses, 1790, Paroisse Saint-André, rue Princesse, no 337, p. 46. Archives municipales de Lille. maison de la rue Princesse1, portant alors le n° 337 et appartenant au sieur De Druez. De son mari, nulle mention, non plus que de son nom de famille. Il est probable qu'elle avait demeuré un certain temps à l'auberge avant de se fixer définitivement rue Princesse, mais que conclure de cette appellation si vague, milady Charlotte? Pourquoi taire la moitié de son nom? L'ona pourtant à Lille quelques renseignements sur elle. L'on sait qu'elle jouit d'une pension sur le trésor royal, puisqu'on la qualifie de pensionnée de France. L'année suivante, on la voit augmenter son train de maison, prendre un domestique de plus; sa capitation qui était de 14 livres s'élève à 16 livres. Or, pour satis La maison est vérifiée vacante à la Saint-Pierre, puis à la Saint-Rémy, 1789. Registres de police, Archives de Lille. 2 Registre no 3196 aux impositions de la paroisse Saint-André pour 1788. Quartier E., rue Princessc. Archives de Lille. Cette maison appartint successivement aux familles Smet, de Longin, de Rochefort, de Madre de Norguet, Denis du Péage. Elle porta ensuite le n° 63 et depuis l'année 1903 le no 61. 3 << Aujourd'hui vingt-huit octobre 1790, en l'Assemblée du « Conseil général de la ville de Lille... ouï le procureur de la << commune, il a été procédé à la continuation du travail des « surtaxes et des taxes, pour la contribution patriotique... Après « quoi, il a été procédé à la taxe des contribuables ayant plus « de quatre cents livres de rente, comme il suit: Paroisse de « Saint-André... rue Princesse, Milady Charlotte, à cause de sa <<< pension sur le trésor royal..., 300 livres ». Registre no 1 des « Delibérations de la municipalité de Lille. Archives de Lille. faire notre curiosité, nous avons vainement compulsé les listes des pensionnaires du trésor, à cette époque; la mention de Milady Charlotte ou de Mme Atkyns n'apparaît nulle part, pas même sur les registres relatifs à la maison de la Reine1. A quel titre jouit-elle de cette pension ? Au même probablement que tant d'autres favorisés, dont les noms remplissent les fameux livres rouges, ces livres dont la publication va déchaîner la fureur de la moitié des Français sur la Cour et la noblesse, lorsqu'on constatera combien de richesses vont s'engloutir dans ce gouffre. Nous l'avons dit, sur la présence d'Édouard Atkyns à Lille les documents sont muets, à une exception près, qu'on ne peut passer sous silence, quelque délicate qu'elle soit. La désunion s'était-elle déjà introduite dans le ménage, la jolie miss de Drury Lane s'était-elle rendu compte trop tard que celui à qui elle avait voué son cœur et sa vie n'en était plus entièrement digne? Peut-être. Toujours est-il que le 20 mars 1791, le vicaire de la paroisse de Sainte-Catherine à Lille, baptisait un enfant Archives nationales, série O'. |