L'Angleterre avait alors fort à faire aux Indes et malgré l'intérêt très vif qu'inspirait la triste situation de la famille royale aux Tuileries, elle ne pouvait songer à se départir, pour le moment du moins, d'une certaine neutralité. Dans son manoir de Ketteringham, où elle passa l'hiver de 1791-92, Mme Atkyns n'oubliait pas ses amis de France. Les gazettes lui apportaient semaine après semaine le récit des événements de Paris, des troubles de province, des délibérations de l'Assemblée nationale. Ce qu'elle y cherchait avant tout, c'étaient des nouvelles des habitants des Tuileries, dont elle suivait avec anxiété la vie si agitée, si remplie d'angoisses. La séparation redoublait sa sympathie et son culte pour celle qu'elle avait vue et vénérée à Versailles. Aussi se figure-t-on sa douleur, quand elle apprit les détails de la journée du 20 juin, le palais envahi, le défilé interminable du peuple devant le Roi, l'attitude de Marie-Antoinette protégeant son fils contre la curiosité féroce des pétitionnaires, entourée de quelques fidèles seulement, qui lui faisaient un rempart de leur ! ! 60 Mme ATKYNS ET LA PRISON DU TEMPLE corps. Le cœur de Mme Atkyns avait frémi à la lecture de ces faits. La journée du 10 août, le massacre des Suisses, la fuite du Roi et de la Reine auprès de l'Assemblée, leur transfert et leur emprisonnement au Temple redoublèrent son désespoir. Elle faisait de fréquents voyages à Londres pour aller aux informations et elle s'en revenait triste, inquiète, dans son cher Norfolk, souffrant de son impuissance qui lui défendait de rien tenter en faveur de la Reine. Dans son amour pour la cause royaliste, on peut supposer avec quelque probabilité qu'elle s'associa aux efforts charitables de la société anglaise pour venir en aide aux émigrés. Bien des noms ne lui étaient pas inconnus et en entendant parler des d'Harcourt, des Beauvau, des Vérac, des Fitz-James, des Mortemart, elle revoyait en vision toute la vie de Versailles l'entourage de la Reine, les réceptions, les fètes... C'est dans un de ses séjours à Londres qu'elle fit la connaissance d'un homme qu'il lui tardait de rencontrer et dont elle lisait la prose avec avidité, je veux parler de Jean-Gabriel Peltier, le rédacteur des Actes des Apôtres, cette feuille d'un royalisme si outré, qui avait fait fureur dans un certain monde depuis les journées de 89. Peltier était né dans les environs d'Angers', son vrai nom était Dudoyer, -- d'une famille de négociants. Après une jeunesse aventureuse et un séjour à Saint-Domingue, où sa conduite n'aurait pas été exempte de reproches, il vint à Paris au début de la Révolution. D'après une note de police, dont l'exactitude est sujette à caution, il se serait lancé à corps perdu dans le parti révolutionnaire, pérorant aux côtés de Camille Desmoulins au Palais-Royal, arborant l'un des premiers les couleurs de la rébellion, au 14 juillet, marchant à la prise de la Bastille2. Puis, brusquement, il fait volte-face, s'enflamme pour le salut de la royauté et fonde un journal auquel il donne ce titre bizarre : Les Actes des Apôtres. Durant deux, ans il attaque avec violence, sans ménagements, tous ceux qui n'ont pas le don de partager ses idées. Le style de la feuille royaliste est sarcastique, souvent licencieux. On a reproché à l'auteur, ses insultes, ses invectives, on a taxé sa feuille « d'infâme », mais, en présence du ton qui Le 21 octobre 1765, à Gonnord, Maine-et-Loire, canton de Touarcé, arrondissement d'Angers. Archives nationales, F7, 6330. Voir Marcellin Pellet. Un journal royaliste en 1789. Les Actes des Apôtres (1789-1791). Paris 1873, in-12. C'est un réquisitoire indigné contre la feuille royaliste. régnait dans la presse de l'époque, de l'état des esprits, ne faut-il pas accorder quelque indulgence à ce quatuor de Peltier, Rivarol, Champcnetz, Sulau, qui prit en main avec tant d'enthousiasme et d'ardeur les intérêts du Roi? Le 10 août, en même temps qu'il dispersa les rédacteurs des Actes des Apôtres, arrêta la publication du journal, Peltier, ne se sentant plus en sûreté à Paris, prit la route de l'émigration. Il arrivait à Londres avec l'idée de fonder un nouveau périodique qu'il intitulait la Correspondance politique des vrais amis du Roi. Grand, maigre, les cheveux poudrés, le front chauve, toujours criant et rigolant, - ainsi le dépeint Chateaubriand', Peltier répondait en une certaine mesure au type traditionnel du journaliste d'alors, à la fois gazetier, libelliste et pamphlétaire. A ne le juger que par ses écrits, on comprend qu'il n'inspirât qu'une confiance limitée aux Anglais qu'il fréquentait, mais sous ces dehors quelque peu excentriques, Peltier cachait un dévouement très réel et profond à la cause du Roi. * Mémoires d'Outre-Tombe, édition Biré, Paris s. d. t. II, p. 114. |