la plupart de ses compatriotes, est dans l'impossibilité de contribuer en quoi que ce soit aux frais que nécessite l'entreprise, mais Mme Atkyns est là, prête à tous les sacrifices; c'est à elle que l'on aura recours. En terminant, Peltier revenait sur les difficultés d'une évasion générale. « Sur toutes « choses, n'oubliez pas, Madame, que j'entre« vois toujours une très grande difficulté à « faire sortir les trois principaux membres de « la famille. Peut-être croiront-ils être plus en « sûreté au Temple que sur les grands che<< mins? Les risques personnels que vous cou« rez me font frémir. Votre courage est digne « del'admiration de toute l'Europe et s'il vous « arrivait un malheur, à la suite d'une entre« prise aussi héroïque, je serais un de ceux à « qui il inspirerait le regret le plus vif1. Trois jours plus tard, une nouvelle lettre arrivait à Ketteringham, annonçant la bonne marche de la tentative. Peltier allait faire partir son domestique pour Amiens, où s'était rendu le baron d'Auerweck; ce dernier recevrait par cette voie ses instructions". )) Lettre de Peltier du 3 décembre 1792. * Lettre de Peltier à Mme Atkyns, datée de Londres du 6 décembre 1792 et publiée par V. Delaporte, Centenaire de la mort de Mais il n'y avait pas de temps à perdre. L'orage grondait à Paris. Pressée par les partis avancés, effrayée par le redoublement des insurrections, la Convention était mise en demeure de procéder au jugement du Roi. « Les circonstances deviennent si urgentes, << mandait Peltier, que nous n'avons pas un << instant à perdre; il est question de faire « juger le Roi, pour calmer les insurrections << qui s'élèvent de toutes parts. » Il importait en effet de se håter. A la suite de la découverte des papiers de la fameuse armoire de fer des Tuileries, la Convention venait de décréter que le Roi comparaîtrait devant elle. Le 10 décembre, Robert Lindet faisait son rapport et le lendemain, Barbaroux présentait « l'acte énonciatif des crimes de Louis Capet. » Ce même jour, le Roi s'avançait à la barre de la Convention, pour y répondre aux trente-une questions qui lui étaient posées. Aussi rapides que l'éclair ces terrifiantes nouvelles traversaient la Manche et parvenaient à Londres en quelques heures. Le salon de Peltier se remplissait de gens consternés, « qui en firent toute la journée un Marie-Antoinette, Études religieuses, philosophiques..., publiées par des Pères de la Compagnie de Jésus, octobre, 1893, p. 252. rendez-vous de larmes et de désespoir1. >>> « Je ne peux vous dissimuler, Madame, « écrivait Peltier à son amie, dans la soirée, « que les dangers de la famille royale sont « bien grands dans le moment actuel. Je n'ai « en vérité aucune espérance qu'ils existent « encore quinze jours. Cela me navre. Vous « aurez vu aussi, vous, les papiers anglais. « Vous aurez lu le discours atroce de Robes« pierre, les applaudissements qu'il reçut des << tribunes et surtout les nouvelles pièces « dont on fait un crime à ce malheureux Roi, « parce qu'on ne veut pas voir que toutes les « démarches qu'il faisait pour reprendre son « autorité étaient calculées sur le bonheur de « son peuple et que son seul objet était de << l'arracher au malheur qui le ronge, depuis « qu'il est privé de son Roi2. » On ne perdait point courage malgré tout. Si l'on arrivait trop tard pour sauver le Roi, ne restait-il pas le dauphin, « sur lequel devaient se porter tous les regards? >> Dans quelques jours le baron d'Auerweck serait à Paris, et l'on saurait alors exactement ce qu'on pouvait encore espérer. 'Lettre de Peltier du 11 décembre 1792. Delaporte, article cité, 252, * Idem. << Gentilhomme transylvain », avait écrit Peltier, en donnant le signalement de ce nouveau collaborateur1. L'épithète, tout harmonieuse qu'elle fût, - elle suggérait la pensée de ces pays de grands bois, sauvages, mystérieux, n'était pas complètement exacte. La famille Auerweck, originaire peut-être de Hongrie, était venue se fixer à Vienne, où le père de notre personnage mourut en qualité de capitaine au service de l'Autriche. De sa femme, une demoiselle Scheltheim, il avait eu quatre enfants, deux garçons et deux filles. Ces dernières s'étaient mariées et fixées en Autriche. L'aîné des fils, qui naquit à Vienne vers 1766, répondait aux prénoms de Louis (Aloys) Gonzague; il ajoutait à son nom de famille celui d'une terre, Steilenfels, et le titre de baron, de telle façon que l'ensemble, débité avec la pompe voulue, était de nature à produire son effet. << Par une grâce particulière de Marie-Thérèse », Louis d'Auerweck entra jeune encore à l'Académie militaire de Neustadt, près de 1 « Au cas que M. Goguelat fût caché, j'ai jeté les yeux sur un « homme très essentiel que je connais depuis beaucoup d'années « et qui était même mon collaborateur dans quelques-uns de mes « ouvrages politiques, c'est le baron d'Auerweck, gentilhomme transylvain, royaliste comme vous et moi, d'un caractère ferme << et rempli d'adresse. » Lettre de Peltier du 3 décembre 1792. Vienne; il en sortit pour passer quatre ans dans un régiment hongrois, celui de Renforsary, mais la vie de garnison lui pesait et ce caractère indépendant d'allures, ambitieux, désirait secouer le joug militaire qui entravait ses projets. 1 Nous n'avons, malheureusement, pour connaître sa jeunesse que ses seuls renseignements et l'on regrette de ne pouvoir puiser à une source d'informations un peu plus sûre. Elle est en effet curieuse la vie de cet aventurier intelligent, habile, mais intrigant, hàbleur, vantard, possédant admirablement le français, posant pour le diplomate accompli, avec des prétentions de philosophe et de littérateur, très rempli de sa propre valeur, incessamment poussé et dirigé par le besoin de jouer un role. Quelques citations de sa prose permettent de le juger mieux que toute description. A peine a-t-il quitté l'Autriche, et il va nous apprendre pourquoi, - il entreprend un voyage d'études, d'abord à Constantinople, puis dans la Méditerranée. Il visite successi Dans deux mémoires autobiographiques rédigés, l'un à Hambourg, le 16 juin 1796 et annexé à une dépèche du ministre français dans cette ville, Reinhard, Archives du ministère des Affaires étrangères, Hambourg, vol. 109, fol. 367, l'autre à Paris, le 25 juillet 1807, Archives nationales, F' 6445. Tous deux sont naturellement écrits dans le but de présenter l'auteur sous le jour le plus favorable. |