sa fortune, sinon son bonheur, et qui ne semble pas avoir compté pour beaucoup dans sa vie, Mme Atkyns s'était prise pour Marie-Antoinette d'une admiration passionnée; elle était parvenue à se faire présenter à Versailles, chez la Reine, et, quand celle-ci se trouva détenue au Temple, l'Anglaise reconnaissante chercha, par tous les moyens, à pénétrer dans la prison royale. Elle y parvint, à coup de guinées, qu'en dépit de la haine vouée à Pitt et Cobourg, certains patriotes préférèrent encore au papier monnaie de la République. Mme Atkyns proposa à la Reine de changer de costume avec elle. Elle s'offrait à prendre au Temple la place de la prisonnière qui refusa, ne voulant pas abandonner ses enfants. Il est même de tradition qu'en repoussant les offres de son enthousiaste amie, elle lui avait recommandé son fils, le jeune dauphin, en la mettant en garde contre les intrigues du comte de Provence et du comte d'Artois. Encore la plupart de ces faits étaient-ils mal établis, ne reposant que sur des racontars assez vagues, des allusions pleines de réticences, de fugitifs « on-dit, » recueillis çà et là, sans preuves historiques, quand un jour, Lenotre, qui est un grand fureteur de vieux papiers, m'apporta, tout ému, la copie d'une pièce qu'il avait découverte, la veille, dans un carton des Archives de la police. C'était une lettre, datée de mai 1821 et adressée au ministre par le directeur de la maison pénitentiaire de Gaillon. Ce fonctionnaire s'inquiétait des démarches d'une certaine « Madame Hakins ou Aquins. » Depuis que la prison renfermait le faux dauphin, Mathurin Bruneau, condamné par la cour de Rouen à dix ans de détention, cette étrangère s'était installée à Gaillon et cherchait à entrer en communication avec le prisonnier. Elle semblait même s'efforcer de lui fournir des moyens d'évasion. J'en conclus ce qui était flagrant - que si, en 1821, Mme Atkyns, car, à n'en point douter, c'était bien elle, conservait quelque velléité de croire à l'identité possible de Mathurin Bruneau avec le fils de Louis XVI, c'est qu'elle avait de bonnes raisons d'être persuadée que le dauphin s'était évadé du Temple. Et sa conviction prenait une importance considérable du rôle assez mal défini, il est vrai, qu'elle-même avait joué dans l'histoire de la captivité royale. Il était bien évident, en effet, qu'après la promesse faite à la reine, la fidèle Anglaise, qui ne craignait pas, on l'a vu, de se compromettre et qui n'était pas ménagère de son argent, avait dû tout au moins se tenir au courant de tous les faits relatifs à la captivité du fils de MarieAntoinette, recueillir les échos du Temple, interroger tous ceux, gardiens, commissaires, médecins, domestiques, ayant, à un titre quelconques approché le petit prisonnier. Or si, après une telle enquête, en dépit des affirmations de l'histoire officielle, et du décès constaté le juin 1795, elle en était encore, vingt-six ans plus tard, à croire que le prince pouvait étre viwant, c'est qu'elle avait la persuasion que le décédé n'était pas le dauphin. L'avait-elle fait évader? Avait-elle été seulement la complice d'un enlèvement ? Par suite de quels raisonnements en arrivait-elle à prendre pour le dauphin un aventurier tel que Mathurin Bruneau, dont l'imposture était manifeste? D'où venaient ses doutes ? Quelle suite d'incidents avait donné naissance à ses hésitations? Pourquoi, si elle croyait a l'enlèvement du prince, avait-elle si longtemps gardé le silence? Pourquoi, si elle n'y croyait pas, s'intéresser à l'un de ceux qui avaient le plus piteusement joué le rôle du dauphin évadé? Autant de questions auxquelles, Lenotre et moi, ne trouvions pas de réponses. Il aurait fallu, pour les éclaircir, entreprendre une minutieuse enquête sur la vie de Mme Atkyns, la suivre dans ses déplacements, savoir où elle avait vécu pendant la Révolution, connaitre les dates de ses séjours à Paris, se renseigner sur son existence depuis 1795, être instruit du lieu et de la date de sa mort, du nom de ses héritiers, du sort de ses papiers et de ses correspondances, travail considérable, singulièrement compliqué par la certitude que le point de départ d'une telle enquête se trouvait en Angleterre. Nous n'avions point renoncé à l'entreprendre; mais le temps manquait, - le temps manque toujours, – et nous en parlions comme d'une œuvre réservée à une année de vacances, que nous savións bien ne devoir jamais venir. Le hasard, sur lequel on devrait toujours compter, se chargea d'arranger les choses. Il ménagea une rencontre entre Lenotre et un jeune écrivain sorti de l'École des Chartes, M. Frédéric Barbey, très éclairé, par ses études antérieures, autant que par ses relations de famille, sur ce fatras de documents composant ce qu'on est convenu d'appeler « la question Louis XVII. » M. Barbey disposait du temps nécessaire; il était prêt à entreprendre les voyages les plus lointains et les plus fatigants, il s'exaltait à la perspective d'un labeur difficile et absorbant : Lenotre me l'amena et je jugeai, dès l'abord, que l'affaire était en bonnes mains. M. Barbey possède, en effet, toutes les qualités, très rares, que réclame ce genre d'investigations : une patience à toute épreuve, un flair de collectionneur, l'aplomb de l «interviewer », l'absence absolue de parti pris, la mansuétude tenace et le zèle ardent d'un apôtre. Mis au courant du point spécial qui nous occupait, il partit aussitôt pour l'Angleterre. Il en revenait quinze jours plus tard, muni déjà d'un précieux dossier concernant les débuts dans la vie de notre royaliste anglaise et rapportant cette indication précise: Mme Atkyns était morte à Paris, rue de Lille, en 1836. Une enquête au greffe de paix de l'arrondissement fournit à M. Barbey le nom du notaire chargé de l'inventaire de la succession. A l'étude de l'obligeant titulaire actuel, après nombre de formalités, de sollicitations, de difficultés administratives, dont son inlassable ténacité parvint à triompher, il fut mis enfin en possession d'une énorme liasse de papiers poussiéreux, dont la sangle n'avait pas été débouclée depuis soixante-dix ans; toute la correspondance adressée à Mme Atkyns de 1792 jusqu'à sa mort... Ah! ce fut un beau jour! Dès les premiers feuillets, il semblait que le doute ne fût plus permis: l'enfant royal avait été enlevé du Temple. A travers les réticences, les obscurités voulues, les termes convenus de la correspondance, nous pouvions suivre, de lettre en lettre, toutes les péripéties de l'évasion, les angoisses des conjurés, les précautions prises, les déboires, les tergiversations, les espérances... Enfin, le jour de la délivrance approche : dans une semaine on aura le dauphin, objet de tant d'efforts; dans trois jours... demain...! Hélas! notre déception fut |