à revenir ils franchissaient sans hésiter les cataractes du Borysthène, que les plus hardis mariniers n'osent maintenant affronter. A ces incursions répétées, on voit que la lâcheté des peuples méridionaux et la douceur du climat faisaient dès lors entrevoir aux Russes l'espoir de s'établir sur les ruines de l'empire de Byzance. Ainsi leurs prétentions datent de loin: mais leurs invasions étaient moins des expéditions régulières que des courses de pirates. Ils étaient mal armés, dénués de tous les moyens qui pouvaient rendre leur domination stable; ils laissaient en arrière une race de peuples ennemis (1) aussi, toujours obligés. de (1) Tels étaient les Khosars, les Petschenegues, les Polovtses, Polouses ou Polovitsi, qu'il est bon d'annoncer, puisqu'on les voit si souvent figurer dans l'histoire russe. Ces trois nations, et quelques autres moins connues, étaient de cette race turque ou tartare devenue plus célèbre par les invasions postérieures : elles parurent vers le VIII. siècle, se disputèrent et occupèrent successivement cette vaste étendue de pays comprise entre le Caucase, le Volga et le Dnieper. Les Khosars, chassés les premiers, se confondirent avec les Russes; c'est, suivant quelques écrivains, la première souche des Cosaques. Les Petschenegues disparurent peu de temps après. Les Polovtses ou Polovitsi, vainqueurs des uns et des autres, s'étendirent depuis le Caucase jusqu'au-delà du Borysthène : ils descendaient des anciens Comanes; et Guillaume de Rubruquis, envoyé du pape Innocent IV en Tartarie, vers 1246, les a encore trouvés en possession de ce vaste territoire. Voici ce qu'il en dit dans son Itinéraire: Ibamus autem per terram Comanorum, quæ tota est plana, et flumina quatuor habet magna: primum appellatur Nieper [Borysthenes]; secundum revenir sur leurs pas, ils abandonnaient bientôt lé théâtre où leur cupidité les avait attirés. Les récits que font nos anciennes chroniques des dévastations commises par les Normands dans nos provinces, sont affreux ; mais ils n'approchent pas des tableaux que les Grecs nous ont laissés de la férocité des Russes. Ce peuple prend, dès le moment qu'il paraît sur la scène du monde, un caractère particulier. L'expédition qu'Igor fit en 913, était de quatre cent mille hommes (1). Il ne rencontrait aucun obstacle; toutes les troupes grecques étaient alors dispersées. Il semble que le défaut de résistance excite la fureur des Russes; ils n'épargnent aucun des malheureux qui tombent entre leurs mains: les uns sont mis en croix; d'autres sont empalés, mutilés, enterrés vivans, percés à coups de flèche ; les prêtres ont la tête clouée contre des poteaux, les enfans sont arrachés des entrailles de leurs mères; enfin les flammes et de longues traces de sang marquent le passage des soldats d'Igor dans le pays même où sa rage n'a pas trouvé d'ennemi (2). On croit, en lisant ces vieilles chroniques, appellatur Tanaïs [Don]; tertium dicitur Volga [Rha]; quartum nominatur Jaëc [Rhymnus. ]. (Itinerarium Guill. de Rubruquis, anno 1253.) D'ailleurs on nous permettra de nous borner à cette indication. Les historiens les plus diffus ont peine à suivre les traces et la fortune de ces barbares vagabonds. (1) Leclerc, Histoire de la Russie ancienne, tom. I, pag. 109. (3) Lévesque, d'après lès Annales de Zonare, les Chroniques de Cedrenus et de Néstor. entendre le récit de quelque expédition de Caraïbes, et malheureusement l'histoire moderne de Russie en reproduira souvent d'autres exemples. De ces communications si funestes aux Grecs, résulta pour la Russie l'établissement de la religion chrétienne; mais on verra qu'elle n'en recueillit pas les mêmes fruits que les autres nations. Plusieurs écrivains ont déjà remarqué que la plupart des états de l'Europe doivent ce bienfait à des femmes. La reine Olga voulut aller sé faire baptiser à 955. Constantinople...; l'église russe l'a mise au nombre de ses saints. Elle est nommée dans les chroniques le soleil, parce que, la premièré, elle éclaira son pays des lumières de l'évangile; cependant son exemple fut perdu pour son peuple et même pour son fils. Swiatosław, soldat féroce, vivant à la manière des Kalmoucks, ne respira que la guerre. Après bien des exploits heureux, il fut vaincu par les Petschenegues, et leur chef fit de son crâne une coupe dont il se servait pour boire dans lés festins. Il était réservé à Wladimir I. d'achever l'ouvrage de son aïeule: son règne est une époque fameuse dans 980. les fastes de la Russie. Il fit détruire une armée de Varaigues qui l'avaient bien servi; il vainquit les grands Bulgares, du côté de Kasan; il porta la terreur jusqu'au fond de la Chersonèse, et du champ de sa victoire, il envoya demander à Constantinople le baptême et la sœur de l'empereur en mariage. Il obtint l'un et l'autre : il rendit ses conquêtes, et ramena par échange dans la Russie, des vases sacrés, des reliques, des popes et des archimandrites. L'ancienne religion slave fut abolie; les idoles furent renversées: mais il resta pourtant de ce culte scandinave des débris impurs, qui, mêlés aux pratiques superstitieuses des chrétiens d'Orient, font encore de la religion russe une espèce d'idolâtrie (1). D'ailleurs, le changement de croyance ne changea ni les mœurs des Russes, ni celles de leur prince. Wladimir poursuivit le cours de ses cruautés et de ses débauches; il entretenait huit cents concubines; il avait eu plusieurs femmes ; il avait égorgé son frère; sa bellesœur ne fut pas à l'abri de ses violences; il fit couler des torrens de sang: mais il fonda Wolodimer; on lui. attribue les réglemens ecclésiastiques et l'établissement des dîmes (2). Il a été mis au nombre des saints, et c'est le 15 juillet que l'église russe célèbre sa fète.. La division de ses états entre ses douze fils amena des guerres et des dévastations. Swiatoslaw avait donné le premier exemple de cette coutume si funeste à la tranquillité des peuples: de là viennent ces discussions éternelles qui vont désoler la Russie; à partir de cette époque, on n'y voit que des fils et des frères dénaturés se poursuivre la flamme et le fer à la main, se disputer des dépouilles ensanglantées et déchirer leurs (1) Voyez chap. XI de cet ouvrage, S. Religion. (2) Rerum Moscoviticarum Comment, à B. Herberstein, pag. 33. voisins quand ils ne peuvent plus se déchirer euxmêmes (1) c'est le spectacle qu'offrira long-temps leur histoire. Ainsi les enfans de Wladimir sont armés les uns contre les autres; Boris et Gleb sont assassinés par leur frère Swiatopolk, événement trop commun dans cette histoire pour être désormais remarquable : mais il n'est pas inutile de rappeler que ce Swiatopolk avait imploré le secours des Polonais contre ses frères ; qu'il devait sa victoire à leur valeur, et que, par une trahison infame, il fit massacrer leur armée. Boleslas, alors roi de Pologne, vengea ses sujets par la conquête de la Russie rouge ou petite Russie; mais il ne la garda que dix ans: ainsi commença une querelle de huit siècles. Le règne d'Iaroslaw est peut-être l'époque de la plus 1036, grande puissance de l'ancienne Russie. Législateur (2) 1054. et conquérant, il fonda des villes; il porta ses armes jusqu'aux portes de Fer, au pied des monts Ouralls: mais sa mort replongea l'État dans le désordre, d'où ses exploits semblaient devoir le tirer. on Dans les démêlés cruels de ses successeurs voit toujours intervenir la Pologne. Novogorod veut en vain disputer la prééminence sur la nouvelle capitale; Kiow conserve la souveraineté, jusqu'à ce qu'après un siècle de dissensions civiles ou de (1) Histoire de Russie, par Lévesque, tom. I, pag. 254.-Tooke's View of the Russian empire, vol. I, pag. 274. (2) Antidote, pag. 125, 177.-Les premières lois russes datent de l'année 1016. |