si Gustave-Adolphe (1). Enfin il n'est pas douteux que Charles XII eût saisi cette occasion de se rapprocher de la France, il eût mieux soutenu l'honneur de ses armes, assuré le fruit de ses victoires, et peut-être eût-il terminé la querelle qui embrasait alors l'Occident (2). Charles XII, vainqueur du Danemarck, de la Pologne et de la Russie, était regardé comme le premier homme de guerre de l'Europe, comme un héros, dans un âge où les autres n'osent encore prétendre à la renommée. Mais il pensait plus à vaincre qu'à recueillir le fruit de ses victoires. Le détrônement d'Auguste, l'élection de Stanislas, étaient moins, dans son esprit, une affaire de calcul politique qu'une idée de vengeance personnelle. Il eut la satisfaction qu'il desirait. Auguste, toujours vaincu, n'eut bientôt que le choix de perdre ses états héréditaires, ou de renoncer authentiquement au royaume qu'il avait déjà perdu. Stanislas, rétabli par la violence, n'inspirait plus le même intérêt aux Polonais. Enfin Charles XII élevait un édifice sans fondement, courait après la fortune qu'il pouvait fixer, et préparait ses malheurs par sa brillante mais aveugle opiniâtreté. Battu par les Suédois, Pierre apprenait à les vaincre ; menacé de perdre ses états, il pensait encore à les agrandir. II voyait l'exagération des idées de Charles XII, mais il savait apprécier la faiblesse de ses moyens : il n'avait plus d'armée, et voulait créer une marine; (1) Mably, Œuvres complètes, tom. VI, P. 353 et 354. (2) Ibid. réduit à défendre son existence, il pensait encore à policer ses sujets, à réformer des abus, à creuser des canaux ; il perdait des provinces, et il construisait des ports; menacé dans Moscow, il fondait Saint-Pétersbourg: il nous semble voir le sénat romain vendre les terres sur lesquelles campait Annibal. Avec un ennemi plus puissant et plus prévoyant que Charles XII, la conduite de Pierre-le-Grand n'eût été qu'une série de fanfaronnades ridicules : dans Pierre I.er, c'était une appréciation juste de sa force et du caractère personnel de son ennemi. Telle était la confiance de Charles XII, qu'après la prise de Mittau, l'invasion de l'Ingrie et la défaite de ses généraux, il ne put revenir de cette aveugle présomption. Il crut qu'il lui suffirait de se montrer pour arracher aux Russes le fruit de leurs premiers avantages et consommer leur ruine : il se croyait assuré de l'alliance de la Porte ottomane; il comptait sur la révolte des Cosaques furieux d'avoir vu leurs priviléges enfreints par le tzar, et décidés à rentrer sous la protection de la Pologne ; il avait conçu le projet de faire attaquer les Russes en Ingrie par ses généraux, du côté de Kiow par Stanislas, tandis que lui-même allait marcher sur Moscow... Ses entreprises, mal calculées et fondées sur des moyens disproportionnés, échouèrent: la Porte ottomane négligea cette occasion de repousser les Russes dans leurs anciennes limites; les Cosaques furent adroitement divisés ou séduits; Mazeppa, leur chef, n'eut que le temps de se réfugier dans le camp suédois avec quinze à dix-huit cents hommes; les généraux suédois furent battus en Ingrie ; Stanislas ne put agir; les renforts que Charles attendait furent entièrement défaits à Lesnaya; et lui-même, engagé dans un pays ruiné, sans secours, avec une poignée de soldats, vit, après une résistance désespérée, terminer à Poltawa 27 juin la belle moitié de sa carrière. 1709. Cette journée fatale détruisit l'armée suédoise, sauva Pierre du plus grand danger (1), changea les rapports de la politique, et donna à la Russie, jusqu'alors peu respectée, une influence considérable dans toutes les affaires. Cette puissance y prit la place de la Suède avec un accroissement de moyens qui rompait tout équilibre, et la France y perdit pour toujours un allié qui avait eu la témérité de se croire en état de tenir sans elle la balance du Nord (2). (1) « Sans cette victoire, dit Perry, Pierre était détrôné : tout était mûr pour la rebellion, au sein même de sa capitale. » (State of Russia, pag. 27.) (2) Mably, Droit public de l'Europe, Œuvres complètes, tom. VI, pag. 354 et 355. « Il ne serait pas difficile, a dit Favier, de démontrer » que, depuis Gustave-Adolphe, l'alliance de la Suède ne fut jamais » utile à la France, même dans le temps des plus grandes prospérités » des armées suédoises, et que, dans les adversités dont cette nation a » été accablée depuis, son alliance fut toujours onéreuse.... Les victoires de Charles XII auraient été pour Louis XIV un sujet de con»solation, une ressource même pour la France, si ce conquérant 2p n'eût pas méconnu et ses intérêts et ceux de l'Europe entière. Il pou» vait lui rendre la paix et devenir le bienfaiteur de la France et de Qu'on Qu'on oppose à la valeur inconsidérée, aux illusions brillantes de Charles XII, la marche invariable de Pierre I., l'accord de ses projets, l'ensemble de ses vues et la constance de sa politique, on verra de quel côté devait rester l'avantage. Il ne se contente pas de vaincre : il veut assurer les fruits de sa victoire. Il retourne dans le Nord; il rétablit Auguste sur le trône de Pologne : mais, sous le prétexte d'une soumission involontaire à la prépondérance des armes de Charles XII, il reprend la Livonie, qu'il avait promise à la Pologne; il fait revivre les prétentions injustes de ses prédécesseurs sur l'Ingrie, la Karélie, la Finlandé, &c. Par de nouveaux traités avec la Prusse et le Danemarck, il les intéresse à sa cause, en promettant d'appuyer les réclamations de l'une sur la Poméranie, et celles de l'autre sur la Scanie...... Dans le même temps, il met l'empereur d'Allemagne dans son parti (1); il lui persuade d'abandonner Charles XII, de défendre l'électorat de Saxe contre les Suédois, et il réussit en quelque sorte » l'humanité. Il alla se perdre en Ukraine, réduit à chercher un asile >> en Turquie; et rentré enfin dans ses états, pour les perdre pièce à pièce, il y reçut toujours les bienfaits de Louis XIV, qu'il n'avait pas voulu secourir. » (Politique de tous les cabinets de l'Europe, tom. I, pag. 257 et 258.) (1) Des écrivains éclairés ont blâmé cette alliance impolitique que l'empereur d'Allemagne fit alors contre un monarque malheureux, avec une puissance nouvelle qui se montrait déjà si dangereuse au repos de l'Europe. (Dictionnaire des sciences morales, politiques et diplos matiques, article Génie de Pierre-le-Grand.) K à liguer tous les états contre cette puissance qu'il vient d'anéantir. er Dans ce même temps, on voyait arriver à Moscow un ambassadeur anglais chargé de faire au tzar une réparation solennelle de l'affront qu'on avait fait à Londres au ministre russe, en l'arrêtant pour dettes. Lord Whitworth, chargé de cette mission, donna hautement à Pierre I. le titre de très-haut et très-puissant empereur, et assura que les créanciers de l'envoyé russe avaient été condamnés à la prison et au bannissement perpétuel (1). Cette réparation était humiliante; elle fut peut-être plus agréable à la fierté de Pierre que le triomphe pompeux dont il s'attribua les honneurs à luimême, au retour de Poltawa dans sa capitale (2). Rien de ce qui se passait alors en Europe, n'échappait aux vues dominatrices de Pierre-le-Grand. Il était au comble de sa gloire; en quelques mois, il avait conquis trois provinces sur la Baltique; on assure qu'il (1) « Il n'en était rien, dit Voltaire, mais il suffisait de le dire. » Comme les lois anglaises d'alors autorisaient l'arrestation de l'envoyé russe, il est difficile de ne pas voir dans la mission et dans le mensonge officiel de lord Whitworth une sorte de bassesse que l'esprit mercantile peut seul expliquer; et tout le monde sera du sentiment de Leclerc, qui dit à ce sujet : « Il fallait que le tzar parût déjà bien redoutable aux → Anglais, ou que leur politique prédît l'avenir, pour sacrifier leur fierté à l'intérêt de leur commerce futur avec la Russie, car les souve>> rains ne font point de pareille réparation sans y être forcés. » (Hist, de la Russie ancienne, tom. III, pag. 297.) (2) Voyez la description de cette parodie des triomphes romains dans 'Histoire de Pierre-le-Grand, par Voltaire. |