Lorsque Charles XII revint dans son royaume, à la fin de 1714, il trouva l'Europe chrétienne dans un état bien différent de celui où il l'avait laissée. Louis XIV venait d'assurer l'Espagne à son petit-fils et de forcer l'empereur et la Hollande à une paix devenue nécessaire à tous les partis. Au Nord, les prétentions respectives des puissances alliées contre la Suède faisaient entrevoir leur division prochaine. L'électeur d'Hanovre, devenu roi d'Angleterre, voulait agrandir ses états aux dépens des provinces suédoises; le roi de Dane étrangères, des hommes accomplis! Les historiens placent le berceau de toutes les sciences dans la Grèce, d'où elles se répandirent en Italie et de là dans toute l'Europe; mais, par la perversité de nos aïeux, elles ne purent pénétrer plus loin que la Pologne. Comme les Allemands, les Polonais vécurent long-temps dans la barbarie où nous sommes jusqu'ici demeurés; mais enfin, les soins infatigables de leurs princes ont ouvert leurs yeux à la lumière, et ils se sont distingués dans ces arts, ces sciences, ces améliorations sociales qui ont fait l'orgueil de la Grèce. C'est maintenant notre tour, si vous voulez me seconder, m'obéir, vous éclairer. Je puis comparer cette transmigration des sciences à la circulation du sang dans le corps humain. Mon esprit aime à qu'un jour elles quitteront les climats qu'elles chérissent aujourd'hui, Ja France, l'Angleterre et l'Allemagne, pour s'établir durant quelques siècles parmi nous, jusqu'à ce qu'elles retournent dans la Grèce, leur ancienne patrie... Souvenez-vous toujours de cette maxime, ora et labora [priez et travaillez ]; avec cela soyez sûrs que vous ferez honte 'aux nations civilisées, et que vous porterez au plus haut degré la gloire du nom russe. » כל penser Les sénateurs, ajoute Bruce, entendirent ce discours avec un respectueux silence, et répondirent au tzar qu'ils étaient tous disposés à suivre ses ordres et son exemple; mais étaient-ils sincères ! C'est » une autre question. » (Memoirs of Peter Henry Bruce, pag. 155-156.) ככ marck redemandait la Scanie ; le roi de Prusse, héritier des anciens ducs de Poméranie, voulait au moins une partie de cette province; le roi de Pologne réclamait la Courlande; et le tzar, invoqué comme l'arbitre du Nord, avait lui-même des prétentions ouvertes ou dissimulées sur la plupart des provinces qu'on voulait détacher de la Suède. De là vient cette inconsistance que l'on croit remarquer dans sa conduite politique et militaire. Dans les opérations qu'il entreprenait seul contre la Suède, on le voyait mettre sa promptitude et sa vigueur accoutumées; dans celles qu'il combinait avec ses alliés, il paraissait faible, incertain, irrésolu. Il envoyait ou retirait ses troupes, alors aussi redoutées comme amies que comme ennemies (1). Les expéditions, en apparence les plus utiles, les plus sagement conçues, les plus redoutables, échouèrent, faute d'intelligence (2): en un (1) Dans la campagne de 1710, le Danemarck avait refusé des troupes russes, de crainte, allégua-t-on pour prétexte, qu'elles n'apportassent la peste avec elles; mais, en effet, de peur de se mettre à la discrétion de Pierre I.cr (Histoire de la Russie ancienne, par Leclerc, tom. III, pag. 524.) (2) En 1716, lorsqu'il fut question de faire une descente en Scanie, et qu'on vit le tzar commander en personne une flotte composée de vaisseaux anglais, danois et russes, la Suède, hors d'état de résister à cette invasion, était menacée de perdre cette province. L'expédition manqua, parce que le tzar n'avait voulu que ruiner le Danemarck par des préparatifs immenses, et parce que le Danemarck conçut des soupçons contre le tzar, dont le projet était de se rendre maître du Sund et de Copenhague. (Ibid. pag. 528, 540.- Histoire universelle, liv. XXX. Manifeste du roi de Danemarck.) mot, les alliés avaient des intérêts trop différens. La puissance de Pierre inspirait trop d'inquiétude, pour qu'on ne dût pas prévoir un changement très-prochain dans la politique du Nord. Il s'y trouvait alors un homme propre à accélérer cette révolution; c'était le fameux baron de Goertz, d'abord simple conseiller privé de l'évêque administrateur du Holstein, homme d'un esprit délié, subtil, entreprenant, auquel les projets les plus vastes paraissaient encore trop timides, qui savait tirer parti des choses les plus contradictoires, et qui, sans mission spéciale, sans caractère public, imagina de se jeter entre les puissances belligérantes. « On ne peut, dit » Voltaire, se plier en plus de manières, ni prendre plus de formes différentes, ni jouer plus de rôles, » que fit ce négociateur volontaire » (1). Une armée russe s'avançait pour prendre la Poméranie, Wismar et le Holstein. Le baron de Goertz persuade au gouverneur de Stettin de rendre cette place au roi de Prusse, au roi de Danemarck d'occuper Wismar et de vendre Brême et Verden à l'électeur d'Hanovre. Par cet arrangement, le tzar était trompé dans ses projets, et le roi de Suède était dépouillé de tous les avantages obtenus par ses aïeux au traité de Westphalie. Le baron de Goertz eut l'adresse de les ramener tous les deux à ses vues. A Charles XII, il fit entendre que, comme on n'aurait pu défendre ses possessions (1) Histoire de Pierre-le-Grand, pag. 250. dans son absence, il était plus avantageux pour lui de les laisser jusqu'à la paix comme en séquestre entre les mains de puissances faibles, que de les faire conquérir par un monarque puissant qui ne voudrait plus s'en dessaisir, et qu'il serait alors plus facile d'obtenir des indemnités dans des arrangemens ultérieurs. Charles XII goûta ces raisons; quelques services rendus à l'armée suédoise, la prise de Tonningen facilitée au général Steinbock, achevèrent de le persuader, et l'ingénieux négociateur devint, pour son malheur (1), premier ministre du monarque qu'il dépouillait pourtant de ses provinces. Il paraissait plus difficile de réconcilier Pierre avec les projets de Goertz. Ce prince n'avait pu voir, sans un violent dépit, l'occupation de Stettin, de Wismar, de Brême et Verden par ses alliés. Il venait de donner en mariage au duc de Mecklembourg, sa nièce, fille d'Iwan ; il lui avait promis Wismar, ou plutôt il voulait garder cette place pour lui-même et en faire un port russe il devait même proposer au duc d'échanger le Mecklembourg contre la Courlande et la Livonie. II voulait, à tout prix, se faire prince d'Empire, entrer dans les affaires d'Allemagne, quoique l'empereur et les princes du corps germanique eussent constamment (1)On sait que le baron de Goertz a eu la tête tranchée à Stockholm, après la mort de Charles XII, par un arrêt dont on a voulu trop tard réparer l'infamie. éludé ou frustré ses desseins (1). Le baron de Goertz caressa soigneusement ces vieilles idées que sa conduite semblait contrarier: il fit entendre au tzar, par son favori Mentschikow, que le temps était venu de se réconcilier avec une puissance qui n'était plus redoutable pour lui, contre des alliés jaloux de sa gloire et de sa grandeur; il lui fit entrevoir la possibilité de lui faire céder le Holstein, et d'y creuser un canal, qui, joignant la mer du Nord à la Baltique, l'affranchirait ainsi des droits imposés au passage du Sund; il fit surtout valoir l'espérance de le faire admettre de gré ou de force dans la diète de l'Empire, en attendant que des circonstances probables et prochaines lui en donnassent la couronne à lui ou à ses successeurs (2). C'en était assez pour assurer au baron de Goertz les bonnes grâces du tzar celui-là comptait ne donner que des illusions, celui-ci croyait y voir des réalités. Ils se trompaient l'un l'autre mais la force devait enfin triompher de la ruse. A l'autre extrémité de l'Europe, il se trouvait en même temps un ministre du caractère de Goertz, mais plus maître en Espagne que celui-ci ne le fut en Suède, le cardinal Alberoni, qui voulait bouleverser la France (1) Bruce rapporte que, dans la guerre de la succession d'Espagne, · Pierre avait offert à l'empereur de lui prêter 26,000 hommes, et de les entretenir à ses frais, s'il voulait lui donner voix dans la diète, et l'admettre comme prince du Saint-Empire. (Memoirs, pag. 159-61.) (2) Willams's the Rise, Progress and present State of the Northern Governments, vol. II, pag. 168.— Histoire universelle, liv. XXX, — Histoire de Russie, par Lévesque, tom. IV, pag. 360.) |