et l'Angleterre. Ils parvinrent bientôt à s'entendre; ils associèrent les projets les plus extraordinaires. Il ne s'agissait de rien moins que de chasser le régent de France, de rétablir les Stuarts en Angleterre, et Stanislas à Warsovie. L'infatigable Goertz allait, d'un bout de l'Europe à l'autre, nouer des intrigues; Alberoni prodiguait l'argent en France pour mettre ce qu'il appelait le feu aux poudres. On sait comment avortèrent ces projets compliqués, comment la conspiration espagnole fut découverte à Paris, comment furent arrêtés Cellamare en France, Gyllembourg à Londres, Goertz à la Haye; leurs papiers saisis ne laissèrent aucun doute sur leurs projets. Charles XII y était entré avec cette chaleur de tête qui le portait à tout ce qui paraissait extraordinaire. Il s'était fait le général d'une ligue dont Pierre était le véritable chef: l'un se flattait de chasser George I. de Londres, et de faire une seconde fois couronner Stanislas à Warsovie; l'autre, plus circonspect, sacrifiait Auguste, son ancien allié, à des intérêts nouveaux. Il feignait aussi, dans des conférences secrètes, de vouloir rendre la Livonie à la Suède. II n'était pas entré ouvertement dans les intrigues de Goertz: mais, alors qu'elles étaient dans la plus grande activité, il imagina de faire un voyage au midi de l'Europe; il le vit secrètement à la Haye, et se 1717. rendit en France au moment même où se tramait la er conspiration contre le régent (1). Quand on rapproche (1) Voltaire, Hist, de Pierre-le-Grand, pag. 278 et 286. de cette circonstance l'accueil magnifique, les égards touchans et l'hommage affectueux que Pierre reçut alors de la cour la plus brillante et de la nation la plus polie de l'Europe, on ne peut se défendre d'un sentiment pénible, en pensant à la manière dont la politique de Pierre I. payait les procédés généreux de la France envers lui. Voltaire a donné sur ce voyage des détails aussi flatteurs pour son héros que pour la nation qui l'accueillait si noblement ; il ne nous laisse que des objets plus graves à traiter. Il fut alors question d'un traité d'alliance et de commerce entre la France et la Russie (1) par ce traité, le tzar devait garantir à la France le traité d'Utrecht, et la France lui assurer ses bons offices par la paix du Nord. Le Gouvernement français y montra quelque répugnance, soit qu'il ne voulût pas sacrifier la Suède à la Russie, soit qu'il craignît de voir entrer celle-ci trop avant dans les affaires de l'Europe. Ainsi le tzar tenait à-la-fois les fils de plusieurs intrigues: peut-être ne paraissait-il solliciter avec tant (1) Mémoires du comte de Tèssé, tom. II; Hist. de la diplomatie française, tom. IV, pag, 383 et 397. Quand cette alliance aurait été conclue, dit Mably, c'eût » été sans aucun avantage pour les contractans; car elle était contraire » à leurs intérêts. Ce n'est que le commerce qui peut unir les cours » de Pétersbourg et de Versailles; et le commerce, à moins qu'on ne » traite avec un Etat purement commerçant, ne l'emporte jamais et >> ne doit jamais l'emporter sur l'intérêt de la guerre, de la conserva» tion et de la sûreté de ses provinces. » (Principes des négociations. Œuvres complètes, tom. V, pag. 97 et 98.) d'empressement l'alliance de la France, que pour masquer ses projets avec les ennemis du régent. Peut-être en était-il du projet du traité de commerce, comme du mémoire que les docteurs de Sorbonne lui présentèrent pour la réunion de l'église grecque à l'église romaine. II feignit de l'accueillir (1); on crut que la Russie allait devenir catholique; et Pierre était à peine arrivé à SaintPétersbourg, qu'il y donna le spectacle d'une parade indécente contre la religion romaine (2). Il semblait que la découverte des projets de Goertz et d'Alberoni dût embraser l'Europe; mais les intérêts étaient si difficiles à concilier dans le Nord, que les choses y restèrent toujours dans le même état.Pierre était encore en guerre avec la Suède : mais on négociait au congrès d'Aland; et dans cette guerre singulière, les ennemis étaient plus d'accord que les alliés, lorsque la mort de Charles XII, tué devant Frédéricks - hall, compliqua de nouveau les spéculations de la politique et les embarras de la guerre. La Russie se trouvait alors en butte à la haine des puissances dont son ambition et ses intrigues avaient alarmé la tranquillité. Le roi de Pologne était personnellement mécontent de Pierre, qui l'avait sacrifié à Stanislas. L'Angleterre était blessée de ce que le tzar avait constamment refusé, dans les négociations ouvertes à Londres, en 1716, d'accorder aux Anglais la (1) Mémoires de Stralhemberg, tom. II, pag. 40 et 82. liberté de commercer à Astrakhan et à Kasan, en vertu des anciens priviléges (1). L'empereur voyait avec peine les empiétemens de Pierre dans les États germaniques. Enfin, la Prusse et le Danemarck, contens de leurs dernières acquisitions, craignaient l'accroissement d'un voisin déjà trop redoutable. Ainsi les anciens alliés de Pierre convinrent, au congrès tenu à Brunswick, de faire rentrer les Suédois en possession de la Finlande et de la Livonie, et de ne laisser au tzar que Pétersbourg, Cronstadt et Narva. Il eut l'audace de braver ces difficultés et le bonheur d'en triompher. De tous les alliés que le tzar avait eus et qu'il était près de traiter en ennemis, c'était l'Angleterre qu'alors il détestait le plus. Il avait été moins choqué de l'occupation de Brême et de Verden que des prétentions d'une politique intéressée qui dérangeait ses desseins : il était trop éclairé pour permettre le monopole à une puissance étrangère dans ses états, à moins qu'elle ne fît à son ambition des sacrifices proportionnés (2).C'est le motif qui l'avait fait entrer dans les projets de Goertz contre George I."... Maintenant il ne dissimulait plus ses sentimens contre le ministère britannique. Tout annonçait une rupture prochaine; les officiers (1) « Lorsqu'en 1716, dit le général Manstein, les Anglais deman❤ dèrent la liberté de commercer à Astrakhan et à Kasan, Pierre I.cr » aima mieux renoncer à une alliance avantageuse que de leur accor» der cette demande.» (Mém. histor. et milit. tom. II, pag. 325.) (2) Voyez à la fin de ce chapitre, note 1.7o, §. 7. anglais anglais qu'il avait attirés et retenus de force, reçurent Ainsi la Russie acquit, par ses intrigues autant 17214 que par la force de ses armes, la Livonie, objet de prétentions si anciennes et de débats si sanglans, (1) Memoirs of Peter Henry Bruce, pag. 235. (2) Le général Manstein dit, dans ses Mémoires, que le tzar obtint la place de Wiborg par la trahison d'un ministre suédois auquel il avait promis 80,000 roubles. Enfin on est fondé à croire, dit-il, que Pierre I.er acheta une partie des avantages du traité de Nydstadt, nonseulement en cette occasion, mais même dans celles qui avaient pré cédé. (Mém. histor. polit. et milit. tom. I, pag. 78 et 79.) (3) M. de Campredon. (4) Voyez, pour ce traité, le Corps diplomatique de Dumont; Mably, Droit public de l'Europe, tom, I, pag. 361, 362 et 389. L |