gouvernement de son empire; enfin elle se conduisait avec tous les princes de l'Europe comme une coquette habile: c'est l'expression de Munich (1). Déjà cependant elle avait fait l'essai de son influence sur les états voisins, en arrachant le duché de Courlande à son légitime possesseur. Occupés des révolutions du palais, nous n'avons pas dit qu'après la chute et l'exil de Eiren, les États de Courlande le regardant, même d'après les insinuations du cabinet russe, comme mort civilement et déchu de tous ses droits, avaient nommé à sa place le duc Charles de Saxe, troisième fils du roi de Pologne. Il avait en sa faveur le choix légal des États, l'hommage libre de la noblesse, l'amour de ses sujets, l'investiture solennelle du roi et de la république de Pologne ; il avait été reconnu par toutes les puissances; il réunissait tous les titres de légitimité (2). Mais Catherine voulait un duc de son choix et tout-à-fait à ses ordres. Elle débuta par envoyer une armée en Courlande, et une autre sur les frontières de la Pologne. Elle fit mettre le séquestre sur les biens du duché; elle épouvanta la république. D'abord des émissaires tentèrent de corrompre la fidélité de la noblesse courlandaise, et de la soulever contre le duc Charles...... Ces efforts ayant échoué, on en vint à des outrages le duc était dans Mittau, on l'en (1) Mémoires attribués à ce général. (2) Mallet du Pan, Du Péril de la balance politique, &c., pag. 53. expulsa par des violations inouies de droit et de bienséance (1). Enfin Biren fut nommé, pour la seconde fois, sous la protection des baïonnettes russes, et le roi de Pologne eut le chagrin de sanctionner la spoliation de son fils, par l'investiture qu'il fut forcé de donner à son compétiteur. Le fils de Biren lui succéda bientôt, à l'aide des mêmes moyens : dépouillé de toute autorité, de toute considération, il voulut fuir une souveraineté qui le rendait esclave. On l'a vu se réfugier à Berlin, y mettre une partie de ses trésors en sûreté, et annoncer un projet d'abdication. Mais Catherine ne voulait pas encore briser les chaînes brillantes qu'elle lui avait données : elle les lui fit reprendre en livrant la Courlande au despotisme de son cabinet et aux extorsions de ses favoris (2). A peine l'impératrice eut-elle détrôné un souverain, qu'elle entreprit d'en couronner un autre la mort d'Auguste III prépara bientôt à la Pologne le sort de 1763, la Courlande. Le pressentiment des maux auxquels soctob. on s'attendait, fit donner des regrets à la perte de ce prince; et la crainte qui s'empara de tous les esprits, (1) Le comte de Brown, gouverneur de la Livonie, lui signifia qu'il eût à vider le pays; car telle était la volonté de l'impératrice. (Mémoire sur les affaires de Courlande, signé par Auguste III, le 10 février 1763.) (2) « Ainsi, dit Mallet du Pan, Catherine annonçait à l'Europe » entière que ses convenances effaçaient tous les droits qui font la base » de la société, et qu'elle s'arrogeait la dictature des états qui sont dans » son voisinage, » (Du Péril de la balance politique, pag. 53.) rendit sa mémoire plus chère que sa personne ne l'avait été (1). Il faudrait entrer dans de longs développemens, pour donner une idée juste des circonstances qui précédèrent et préparèrent une catastrophe dont le contre coup retentit encore cinquante ans après en Europe. Depuis la fatale alliance de Pierre I." et d'Auguste, la Pologne avait été liée au système de la Russie. Les troupes russes n'y étaient pas encore en garnison, mais en état de passage habituel, sous des prétextes divers. En vain la Porte ottomane et les Tartares de Grimée avaient réclamé contre des violations de territoire incessamment renouvelées : les rois de Pologne semblaient moins jaloux de leur indépendance que leurs voisins, et la nation, accoutumée à une alliance de protection, se laissait insensiblement désarmer. On ne voyait dans les grandes places de l'État que des hommes amollis par le luxe et le goût des jouissances de la vie ; l'énergie nationale s'était assoupie dans cette longue et trompeuse tranquillité de la république. L'approche d'une nouvelle élection devait rendre le mouvement à ce corps engourdi: l'orgueil excita la rivalité de quelques familles puissantes; mais l'influence que la Russie voulait exercer, tint la nation entière dans l'attente, l'incertitude et l'effroi (2). 1 (1) Rulhières, Histoire de l'anarchie de Pologne, tom. II, pag. 101. (2) Ibid. C'était C'était dans les derniers siècles un grand et singulier spectacle que ces diètes solennelles, où les grands du royaume, les princes des premières maisons de l'Europe, les souverains des contrées voisines, et les généraux fameux par leurs victoires, venaient briguer les suffrages d'une noblesse belliqueuse, en exposant à l'envi ce qu'ils avaient fait d'héroïque, les vertus qui les rendaient dignes du trône, et les avantages que leur élévation promettait à la Pologne (1). Après la mort d'Auguste III, on ne vit point cet illustre concours : le despotisme russe avait fermé la barrière, la terreur avait éloigné les candidats. Le nouvel électeur de Saxe fut le seul étranger qui s'offrit; mais Catherine fit un signe (2), et il se retira. Jamais l'Europe ne s'était trouvée dans une circonstance plus favorable aux desseins de la Russie. Les traités de Paris et d'Hubertsbourg (3) venaient de lui rendre une paix que toutes les puissances avaient chèrement achetée. L'Angleterre seule, sortie d'une lutte si dangereuse, avec des avantages permanens, ne croyait plus avoir besoin d'alliance pour soutenir sa (1) Rulhières, Histoire de l'anarchie de Pologne, tom. II, pag. 106. (2) « L'impératrice lui écrivit de ne pas compromettre ses intérêts » et sa dignité dans une affaire où il ne pourrait réussir. (Tooke's Life of Catherine II, vol. I, pag. 362.) (3) Traité de Paris, 10 février 1763, entre la France, l'Espagne et l'Angleterre, Recueil de Martens, tom. I, pag. 33. — Traité d'Hubertsbourg, 15 février 1763, entre l'Autriche et la Prusse, ibid. pag. 61. P prépondérance. Les liens de l'Autriche et de la France s'étaient un peu relâchés dans leurs revers; le cabinet de Versailles sur-tout avait besoin d'une politique adroite ou d'une résolution vigoureuse pour regagner l'influence qu'il avait perdue. Enfin, Frédéric-leGrand lui-même se trouvait avoir acquis, après une guerre héroïquement soutenue, plus de gloire que de sécurité : détaché d'un allié qui venait de le sacrifier à ses intérêts maritimes, isolé sur le continent, il avait cherché à se rapprocher de la Russie, et, dans ces conjonctures difficiles, la vacance du trône de Pologne lui en offrit les moyens. Dès qu'il apprit l'intention que l'impératrice Catherine avait d'y porter un Polonais de son choix, il chargea son ministre à Warsovie de seconder l'ambassadeur russe qui se trouvait dans cette capitale, et de « faire, au sujet de l'élection future, >> les insinuations les plus fortes et les plus nerveuses, » tant aux primats qu'aux plus grands seigneurs de la Pologne (1). » Une démarche si amicale décida l'impératrice à conclure avec Frédéric ce traité d'alliance défensive (2), dont toute l'importance était dans l'article secret par lequel les deux puissances s'engageaient à s'opposer à ce que le royaume de Pologne devînt héréditaire, et à ne pas souffrir les entreprises de ceux qui tenteraient (1) Mémoires de 1773 jusqu'en 1775, Œuv. posth. de Frédéric, tom. V, pag. 19. (2) Recueil de Martens, tom. I, pag-89-94. |