poser notre plume, consulter la modération d'amis éclairés, et fermer l'oreille à des imputations hasardées dont la mémoire des princes est trop souvent flétrie par des auteurs qui dégradent la majesté de l'histoire. 4 On nous blâmera peut-être d'avoir hérissé cet ouvrage de citations qui peuvent interrompre le fil des idées, nuire à la rapidité des récits ou à la clarté des développemens; on pourrait même nous reprocher d'avoir reproduit quelques expressions employées par les écrivains que nous avons cités : il nous était facile d'échapper à ces reproches; mais notre amour-propre aime mieux les subir que de donner lieu à de plus graves inculpations. D'ailleurs, il résulte de cet ensemble de témoignages, une notion plus claire de tout ce qui peut servir à faire connaître la Russie : en un mot, nous avons voulu donner une idée vraie, mais générale, de l'étendue de son territoire, de sa population, de son gouvernement, de ses forces, de ses revenus, et des mœurs de ses habitans; et si le bon génie 1 présager, le dangereux essor de ce nouvel empire, cet ouvrage, fait à l'apogée de sa puissance, sera comme un de ces monumens qui servent à marquer, sur la rive des grands fleuves, la trace de leurs inondation's. DES DES PROGRÈS DE LA PUISSANCE RUSSE, DEPUIS SON ORIGINE JUSQU'AU COMMENCEMENT DU XIX. SIÈCLE. CHAPITRE I.er État de l'Empire russe, depuis son origine jusqu'à l'invasion des Tartares. L ES nations ont leur vanité comme les individus : nulle ne veut se contenter d'une origine obscure. Ainsi l'un des successeurs de Rurick (Iwan III) faisait remonter la sienne jusqu'à la famille des Césars (1), et le peuple russe croit être sorti sans mélange de Rouss, fils de Japhet (2). (1) C'est par un frère d'Auguste que ce prince, de race gothique, établissait cette illustre descendance. (Magni Moscoviæ ducis Genealogia, brevis epitome ex ipsorum manuscriptis annalibus excerpta; edita Coloniæ, apud Maternum Cholinum.) (2) Ceux qui veulent que les Russes soient de la grande famille Slavonne, contre l'opinion de Constantin Porphyrogénète, les font descendre de Saklab ou Slakab, autre fils de Japhet. A Sur ce point, il serait trop long de rapporter et de discuter l'opinion des savans (1): il ne reste, après la lecture de leurs volumineux écrits, qu'une notion plus vague et plus obscure de l'objet qu'on veut éclaircir. IIs ont trouvé tous des conjectures plausibles pour appuyer des raisonnemens contradictoires. Celui qui a remarqué que le nom de Russie, ou Rosseïe (comme les Russes le prononcent), signifie peuples dispersés, a peut-être donné l'idée la plus juste de leur origine (2). Inconnus aux Romains, ou du moins compris par eux sous la dénomination vague de Sarmates ou de Scythes, ils peuvent descendre de ces anciens Roxolans dont parlent Pline, Ptolémée et Strabon, ou bien être une race indigène ou mélangée de Huns ou de Goths, de Finnois ou de Scandinaves.... C'est une question peu impor (1) On peut consulter la collection de Claude Marnius; la Bibliothèque orientale de d'Herbelot; l'Histoire généalogique des Turcs, par le prince Abulghasi-Bayadour; la Collection Byzantine; la Décadence de l'Empire romain, par Gibbon; Dissertation sur les anciens Russes, de Strube de Pyrmont; Mémoires de l'Académie; l'Histoire générale du Nord, de Schloetzer; les ouvrages de Muller; les Histoires de Russie, de Leclerc et de Lévesque, t. I; enfin quelques géographes, tels que d'Anville, Busching, Stritter, Georgi, Storch, et M. Malte Brun dans son Précis de la Géographie universelle, tom. I, pag. 232. 344, 350, &c. &c. (2) C'était autrefois l'opinion des Russes eux-mêmes. - Le baron d'Herberstein dit, après avoir exposé divers sentimens sur leur origine Verùm eorum qui hasce asserunt opiniones, tanquam vero haud consonas, Mosci refutant, asserentes Rosseïam antiquitus appellatam quasi gentem dispersam seu disseminatam; id quod nomen ipsum indicat, Rosseïa etenim, tante aujourd'hui ce qu'il y a de plus raisonnable à supposer, c'est que, dans la grande inondation de barbares dont le flux et reflux déplaça tous les peuples, au commencement de l'ère chrétienne, depuis les frontières de la Chine jusqu'au détroit de Gibraltar, les Russes, qui se trouvaient au point du passage, doivent avoir été plus dispersés que les autres. Aussi, dit un écrivain moderne (1), << il n'y a pas de pays au >> monde où il y ait un tel mélange, une telle variété >> d'habitans, où ils diffèrent plus les uns des autres >> par les mœurs, le langage, la religion, &c..... Par>> tout ailleurs, on a pu observer une sorte de différence >> entre le peuple conquis et le peuple conquérant : >> mais elle s'est affaiblie par degrés; ils se sont enfin >> confondus (2): tandis qu'en Russie on ne voit pas Rhutenorum lingua, disseminatio seu dispersio interpretatur. Rerum Moscoviticarum Commentarii, Sigismundo libero Barone in Herberstein, &c.auctore, in-folio, Francofurti, 1600, pag. 1 et 2.- Description de l'empire Russien, par le baron de Stralhemberg, trad. de l'allemand; Amsterdam, Paris, 1757; tom. I, pag. 243-266. (1) Storch, Tableau de l'empire de Russie, trad, franç. Paris, 1800, t. I. -Tooke (William), View of the Russian empire, London, 1800; vol. I, pag. 260. (2) Voltaire observe (Vie de Pierre-le-Grand) que les autres états du monde sont ainsi composés; que la France est un assemblage de Goths, de Danois appelés Normands, de Germains septentrionaux appelés Bourguiguons, de Francs, et de quelques Romains mêlés aux anciens Celtes, &c. Mais, à l'époque où Voltaire faisait cette observation, on ne distinguait, en France, qu'une seule nation: en Russie on en compte plus de quatre-vingts de race bien |