M. Carnot, voulurent participer au même honneur, et apportèrent leur tribut d'honmages au pied de l'idole. M. Carnot seul combattit la proposition de M. Curée, et osa dire que « si Buonaparte avait » rétabli la liberté en France, comme on ne » cessait de le répéter, ce n'était pas une récom» pense à lui offrir que le sacrifice de cette li» berté. » La voix de M. Carnot se perdit dans le désert. Celle de M. de Fontanes, parlant au nom du corps législatif, fut une de celles que le premier consul parut entendre avec le plus de bienveillance. Il dit « que la victoire et la volonté natio»nale ne connaissaient point et ne pouvaient ss trouver de résistance; et que la victoire et » la volonté nationale lui décernaient la cou» ronne impériale. » Le sénat eut son tour, et dit, par l'organe de son président: «GRAND HOMME! » Vous êtes pressé par le temps, par les événe ments, par les conspirateurs, par les ambitieux. Vous pouvez enchaîner le temps, maîtriser les événements, mettre un frein aux conspirateurs, désarmer les ambitieux, tran quilliser l'univers (1), en acceptant la couronne impériale héréditaire que la nation vous offre par nos mains. >> Le moyen de résister à de si pressantes sollicitations! Le premier consul, qui avait fait de toutes ces adresses l'objet de ses méditations les plus constantes (message du premier consul au sénat ), voulut bien accepter la couronne impériale que tant de mains lui offraient, et qu'il ne pouvait refuser sans ébranler le repos de l'univers. On rédigea dans son cabinet, et sous ses yeux, un sénatus consulte bien régulier, bien détaillé, qu'on envoya au sénat le 18 mai 1804, et que le sénat renvoya, le même jour, au château, avec toutes les formalités qui garan. tissaient son authenticité. Le même jour encore, Napoléon, par la grâce de Dieu, et par les constitutions de la république, empereur des Français, publia son avénement au trône, et envoya ledit sénatus-consulte à toutes les cours, tribunaux et autorités administratives. Cette grande affaire terminée, l'empereur composa sa cour, nomma ses grands dignitaires, distribua des places et des récompenses (1) Je n'ai pas besoin de faire remarquer le ridicule d'un pareil style, et nous sommes encore trop près des événements pour en sentir toute la bassesse. à tous ceux qui l'avaient si bien secondé. La nation, qu'on mettait si hardiment en jeu, fut non-seulement étrangère à cette œuvre d'iniquité, mais fut révoltée des odieux manéges qu'on employa pour l'associer à l'igno minie de ses auteurs. Elle se tut. Que pouvaitelle faire, enchaînée, comme elle l'était, par des liens de fer, intimidée par la crainte d'un pouvoir sans bornes, et désunie par les artifices d'un gouvernement machiavélique ? Mais si elle n'exhala aucune plainte en public, elle s'en dédommagea amplement par une haine d'autant plus vive, qu'elle était plus concentrée. La pensée, comprimée par la terreur, s'épanchait douloureusement dans les entretiens particuliers, et dans le sanctuaire domestique. Les membres de la nouvelle dynastie, les dignitaires, les altesses et les excellences étaient l'objet des plus sanglantes railleries. Ces hommes nouveaux étaient embarrassés de leurs honneurs, et n'y croyaient eux-mêmes que faiblement. Quant à moi, j'avoue que je n'y croyais pas du tout. Tout honneur vient de Dieu, dit le vieil Homère, qui parle ici comme S. Paul (1), sans (1) Considérations sur la révolution. toutefois l'avoir pillé. Il ne dépend pas de tel ou tel homme de conférer des titres et des dignités; ce droit est le privilége exclusif du souverain légitime : à lui seul appartient l'honneur par excellence, parce qu'il représente Dieu sur la terre; c'est de lui, comme d'un vaste réservoir, que l'honneur dérive avec nombre, poids et mesure, sur les ordres différents de la société, sur les familles et sur les individus. Lorsque le roi daignait écrire à un simple gentilhomme, M. le comte, ou M. le marquis, je vous fais cette lettre, etc., le gentilhomme devenait comte ou marquis. Il avait droit d'en prendre le titre : il en avait les honneurs, et nous les reconnaissions. Mais quand un Mazaniello (1), ou un Buonaparte, distribue à ses agents et à ses complices des titres de comtes, de ducs, de princes et même de rois, c'est une comédie qu'il joue je ne vois dans les honneurs qu'il accorde, que des rôles de théâtre; et je ne reconnais dans ses grands dignitaires que des comédiens que j'approuve, ou que je siffle, (1) Mazaniello, pêcheur à Naples, fit en 1647, une révolution à peu près semblable à la nôtre. Sous prétexte d'affranchir son pays de la tyrannie des Espagnols, il souleva le peuple, ouvrit les prisons, abolit les impôts, chassa les nobles, fut cruel et méchant, et bientôt après assassiné. Sa tête fut portée au bout d'une pique, et son cadavre traîné dans la boue. comme les autres, suivant qu'ils remplissent bien ou mal l'emploi dont ils sont chargés. De là vient le peu de considération dont jouissaient la plupart des grands dignitaires de Buonaparte, lors même qu'on leur témoignait des égards: les égards n'étaient qu'une vaine formalité, la considération tient au sentiment, et il ne dépend pas plus de nous de l'accorder à celui que nous n'estimons pas, que de l'obtenir quand nous ne la méritons pas nous mêmes. Mais si Buonaparte n'a jamais pu obtenir de considération, il savait se faire craindre. Jamais aucun prince légitime n'obtint de ses sujets une plus prompte et une plus entière obéissance. Il avait déjà imprimé à son gouvernement une grande et forte impulsion fondée sur la crainte; il crut que son nouveau titre lui permettrait de prendre une autre assiette, et de la fonder sur l'opinion, et il se trompa. Tandis que ses ambassadeurs à Madrid, à Vienne, à Berlin, à Pétersbourg annonçaient par ses ordres la nouvelle révolution qui venait de s'opérer en sa faveur, le roi de France dissipait le charme qu'elle avait pour lui, et détruisait l'impression qu'elle pouvait faire sur tout le monde, par une protestation datée de Varsovie le 6 juin 1804, et dont voici la teneur. «En prenant le titre d'empereur, en vou |