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RUSSIE,

PAR

M. CHOPIN,

ANGIEN SECRÉTAIRE ET BIBLIOTHÉCAIRE DU PRINCE KOURAKIN,
AMBASSADEUR DE RUSSIE A LA COUR DE FRANCE.

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FIRMIN DIDOT FRÈRES, ÉDITEURS,

IMPRIMEURS-LIBRAIRES DE L'INSTITUT DE FRANCE,

RUE JACOB, N° 80.

M DCCC XL.

БИБЛИОТЕКА НА Б. З. К. БАНКА

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HISTOIRE ET DESCRIPTION

DE TOUS LES PEUPLES,

DE LEURS RELIGIONS, MOEURS, INDUSTRIE, COSTUMES, ETC.

RUSSIE,

PAR M. CHOPIN.

INTRODUCTION.

Pourquoi la Russie est-elle encore une terre presque inconnue au reste de l'Europe? Comment se fait-il que l'empire le plus vaste du globe, et qui exerce sur la politique universelle une influence si marquée, n'ait pas été l'objet de recherches plus complètes et surtout plus consciencieuses? Si le secret de la puissance russe était seulement de nature à exciter la curiosité, on concevrait que des peuples, qui ont devancé la patrie des Slaves en civilisation, que des contrées plus riches en monuments et en souvenirs, aient présenté à l'histoire une matière plus attrayante; mais il n'en est point ainsi: la question russe est devenue pour l'Europe et pour l'Asie une question d'avenir. En admettant que les ressources de cet empire se développent dans la proportion du sol, et que la politique de son gouvernement ne soit point entravée par des obstacles imprévus, qui pourrait dire où s'arrêtera sa puissance? Quant au présent, le cabinet de Pétersbourg, toujours patient dans ses projets d'envahissement, exploite avec habileté la différence des systèmes qui partagent l'Europe en deux camps; l'Allemagne, placée entre le despotisme pur et les libertés constitutionnelles, présente le milieu moral par lequel le despotisme ou la liberté

1 Livraison. (RUSSIE.)

passera pour mourir ou pour triompher. En lisant attentivement l'histoire, on reconnaît que la politique moscovite n'a point varié depuis deux siècles. A peine échappée au joug des Tatars, et débarrassée des entraves que lui opposaient les princes apanagés, elle a successivement absorbé les populations voisines, et n'a cessé de reculer ses frontières du nord au sud, et de l'orient à l'occident. La Suède, la Pologne, la Turquie, la Perse, tour à tour démembrées ou conquises, ont été aussi malheureuses par les traités que par les armes. Du côté de l'est, les déserts n'ont point été un obstacle; un jour ces déserts seront cultivés, et peut-être y transporterat-on des populations attachées au sol natal par des souvenirs de liberté. La Turquie épuisée attend le joug, et va livrer au vainqueur ses ports magnifiques. Alors la marine russe, maîtresse des détroits, pourra construire, dans la mer Noire, des flottes qui domineront sur la Méditerranée, en attendant qu'elle oppose à l'Angleterre une puissante concurrence dans les Indes et dans les deux Amériques. Ces résultats, pour être éloignés, n'en sont pas moins probables, si le passé n'est pas un vain avertissement pour l'avenir. Ainsi la Russie marche à l'asservisse

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ment des peuples, et aspire au monopole commercial qui seul peut la défrayer des sacrifices financiers indispensables au développement de ses forces militaires. L'Europe accepterat-elle la domination russe comme une nécessité? Partagée sur des questions d'intérêts secondaires, renoncera-t-elle aux avantages d'une éducation politique continuée au sein de tant de luttes sanglantes, et à l'instant même où le bon sens des peuples n'aspire plus à d'autres conquêtes qu'à celles de l'intelligence et de l'industrie? Est-il donc si difficile de comprendre que la Russie, avec ses ressources actuelles, n'est redoutable, comme puissance envahissante, que lorsque les autres Etats la laissent tomber de tout son poids sur un ennemi isolé ? La Turquie l'a tenue deux ans en échec, et peu s'en est fallu que la bataille des Balkans n'ait signalé une défaite au lieu d'une victoire. Sans l'attitude hostile de la Prusse et de l'Autriche, la Pologne eût peut-être reconquis sa nationalité; mais elle ne l'aurait conservée qu'en modifiant les institutions dont le vice a causé sa chute. Sans doute la Russie est une puissance militaire de premier ordre; ses soldats sont braves et disciplinés; tous les ressorts du gouvernement obéissent à une pensée unique; et l'obéissance aveugle peut produire des résultats non moins décisifs que ne le fait ailleurs l'amour de la gloire et de la liberté. Malgré ces éléments de succès et la sagesse qui préside aux destinées de cet empire, le délabrement des finances, la difficulté de centralisation, et l'obligation de garder une ligne immense de frontières, l'empêcheront longtemps encore de marcher à découvert a l'accomplissement de ses projets. Toutefois il ne faut pas oublier que la population de la Russie a triplé depuis un siècle; quelques générations encore, et elle aura atteint le chiffre de toute la population européenne.

La plupart de nos hommes d'État ne connaissent la Russie que d'après le tracé géographique des cartes; pour se faire une idée de ses ressources, ils

interrogent les statistiques dont les auteurs sont réduits à s'emprunter mutuellement leurs erreurs. Des géographes estimés ont donné quarante mille habitants à des villes qui en comptent à peine douze à quinze cents; d'autres ont signalé des bourgs insignifiants comme des cités florissantes : la cause de ces données fausses ou contradictoires doit être attribuée à l'absence de documents officiels, et à l'ignorance où sont restés, en ce qui regarde la langue, les mœurs et les localités, presque tous les étrangers qui ont écrit sur la Russie. Toutefois, il faut en convenir, les conditions d'existence de l'empire russe sont si multiples, les éléments qui le composent diffèrent si essentiellement, qu'il est difficile de donner de son ensemble une idée complète et basée sur des détails exacts. Partout un mélange bizarre, où viennent se heurter et se confondre le caractère asiatique et l'européen. Ici, des villes où se déploie toute la magnificence du luxe, mise en œuvre par les arts les plus avancés; à quelque distance, des hameaux dont les demeures ne ferment pas, parce que l'habitant n'a rien à perdre; puis, çà et là dans la campagne, des serfs courbés sur le sol, et qui se vendent avec le sillon qu'ils ont fécondé. Dans la nature physique comme dans la na-ture morale, tout y est contraste: le soleil se lève puissant et radieux sur les bords de la Caspienne et de la mer Noire. Au nord, quand il a percé le brouillard neigeux des pôles, la terre, affranchie d'une nuit sans matin, se hâte de mettre à profit ce long jour sans ombre. Les germes qui, depuis si longtemps, dormaient dans son sein, s'y échauffent et se développent avec une rapidité telle, que l'œil peut suivre la croissance des plantes, et étudier sur la nature, pressée de son œuvre, les lois de la végétation.

Sur les bords du lac Baïkal, on rencontre tous les accidents de terrain, toutes les scènes de l'Amérique septentrionale; des forêts épaisses, des savanes, des clairières, des marais peuplés d'oiseaux aquatiques, qui semblent étonnés de l'approche de l'homme. La physionomie des habitants y frappe par des traits non moins variés. Le Kamtchadale, le Finois, le Géorgien, le Cosaque de l'Ukraine, le Kirguize, l'habitant de Novgorod et de Kief, se coudoient dans les bazars, et paraissent surpris de se trouver compatriotes. Un lien puissant unit ces peuples d'origine si diverse : le despotisme. Mais à peine retrouvent-ils l'air et le sol natal, que la puissance des mœurs reprend son empire: le Cosaque de l'Ukraine s'émeut au vieux nom de Lithuanie; le Finois porte en soupirant ses regards vers les côtes de la Suède, et le Tatar, en galopant dans les steppes, fredonne un chant national qui lui rappelle un temps de gloire et d'indépendance. On voit qu'à l'exception des provinces centrales de l'empire, les populations russes n'offrent qu'un tout factice, et qu'elles tendent constamment, les unes à recouvrer leur première indépendance, les autres à se réunir aux peuples dont la conquête les a violemment séparées. La Russie, dans son intérêt et dans celui de l'humanité, a une noble mission à remplir, c'est la civilisation de l'Asie. Par sa situation géographique, par la forme de son gouvernement, elle est naturellement appelée à opérer cette grande réforme; il semble que son rôle soit de recevoir de l'Europe, et de transmettre à l'Orient, après les avoir modifiés, les principes d'économie politique qui sont la base des gouvernements avancés. Que si elle s'obstine à tenir ses regards sur l'Europe, elle est condamnée à rester longtemps stationnaire, ou à détruire par la conquête les éléments de sa grandeur future. En effet, pour retenir la Pologne sous le joug, elle a été forcée de lui laisser une apparence de liberté qui mettait les Russes vainqueurs au-dessous des Polonais soumis. Quoi qu'elle fasse, elle doit faire peser le même despotisme sur tout l'empire, ou les provinces les moins favorisées ne porteront qu'impatiemment les charges d'une servitude exceptionnelle; tandis que la conservation de quelques privi

léges n'empêchera pas les autres de se rappeler ce qu'elles ont perdu. Ainsi elle ne peut avancer qu'avec mesure et lenteur dans la voie des améliorations, car, dans le mal comme dans le bien, tout se tient et s'enchaîne; le seigneur accepte le despotisme, parce que le serf rampe sous lui; mais il briserait le sceptre de l'autocrate, si les tsars émancipaient les esclaves, sans lui assurer des droits politiques en compensation des priviléges qui lui auraient été enlevés: d'un autre côté, le peuple est loin d'être mûr pour une telle réforme; et le souverain ne pourrait s'appuyer sur lui pour résister aux empiétements de la noblesse. Ainsi l'Europe doit être convaincue que le despotisme est une condition nécessaire d'existence pour l'empire russe; et que, ne pouvant s'élever, sans danger, au niveau des institutions libérales, il s'efforcera d'en comprimer le développement dans tous les lieux et toutes les fois que l'occasion se présentera favorable.

Des considérations d'une si haute importance doivent appeler un vif intérêt sur tout ce qui peut concourir à donner une idée précise de l'état actuel de la Russie; c'est à l'histoire à nous révéler par quelles modifications a passé ce vaste empire, pour arriver à un si haut degré de puissance, et à nous le présenter dans les différents âges de sa civilisation tardive. Nous tâcherons d'expliquer ce qu'il est par ce qu'il fut, et de mettre en saillie les traits du caractère national, que n'ont pu entièrement effacer l'invasion des Mongols, le despotisme qui lui a succédé, et le contact des formes étrangères. Mais, avant d'esquisser la physionomie morale d'un peuple, il convient de bien faire connaître le pays qu'il habite. Le lieu de la scène une fois décrit, le caractère et l'action des personnages en paraîtront plus faciles à comprendre.

Les limites de l'empire de Russie plongent à l'ouest jusqu'au cœur de l'Europe; à l'est, elles viennent s'adosser aux frontières des possessions anglaises dans l'Amérique septentrionale,

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