qui diminue beaucoup la moralité de l'histoire. (V. Fournel, Hist. anecd. des 40 fauteuils.) Le frère de Sarrau, le conseiller, qu'on appelait de Boinet, du nom d'une terre, avait voyagé en Egypte. On dit que, voyant la peste s'augmenter fort au grand Caire, où il était, il acheta une bière de bonne heure, de peur qu'elles ne fussent trop chères. Quand sa première femme mourut, il mit à part le pareil du drap dont elle fut ensevelie, afin qu'on le prit pour lui, pour ne pas dépareiller les autres; au mème temps, il se voulait jeter par les fenètres. Sa première femme était propre, et lui n'était curieux que de linge sale. Quand il pouvait s'empècher de prendre une chemise, il disait : Bôn! voilà un sou d'épargné. » Il avait un vieux chapeau qui battait de l'aile et qui avait les bords une fois trop grands; pour les lui faire rogner, il fallut envoyer crier devant chez lui : « Rognures de chapeau à vendre ! >>> Aussitôt il rogne le bord de son chapeau; mais quand il voulut appeler l'homme, il n'y était plus. (Tallemant des Réaux, Historiettes.) M. Faure était un bourgeois de Paris, riche de deux cent mille écus. C'était un des plus grands avares qu'on ait jamais vus. Il y avait trois bûches dans la cheminée de sa belle chambre; ces buches avaient trempé dans l'eau, de sorte que le fagot qu'on mettait dessous brûlait tout seul et ne faisait que les faire suer seulement. La compagnie étant retirée, si le feu du fagot les avait un peu trop séchées, on les remettait dans l'eau (1). (Tallemant des Réaux, Historiettes.) ( Voir Partage des frais, Le duc de Buckingham était fort avare et se refusait le nécessaire. Il disait à sir Robert Winer: « Je crains de mourir gueux comme un rat d'église. Et moi, reprenait sir Robert, je crains que vous ne viviez comme vous craiguez de mourir. >>> (Encyclopédie comique.) Du temps de madame de Sévigné, un M. d'Hautefort, cordon bleu, mourut pour n'avoir pas voulu user d'un certain remède anglais que l'on assurait devoir le tirer d'affaire. Ce n'était pas que luimême n'eût confiance au remède, mais il le trouvait trop cher. Comme il était sur le point d'expirer, on l'assura que s'il voulait se déterminer à se servir du remède il ne lui coûterait que quarante pistoles: <<C'est trop, >>> dit-il; et il expira. On voulut un jour retenir l'abbé de La Bletterie à souper dans une maison un peu éloignée de son quartier; il y consentit, à condition qu'on lui payerait vingtquatre sous pour pouvoir s'en retourner en fiacre, sans qu'il lui en coutât rien. Ce traité fut accepté, et on lui donna la pièce d'argent. Après souper on voulut lui envoyer chercher le fiacre; il s'y opposa et dit qu'il le prendrait lui-même sur la place: il esquíva ainsi la voiture, s'en retourna chez lui à pied, et gagna les vingt-quatre sous qu'il s'était fait donner. (Grimm, Correspondance.) Old Boge avait amassé de grandes richesses en vivant dans le dénûment et la misère. C'est ainsi qu'il est arrivé à l'âge de soixante-huit ans. Le mois dernier, Old Boge a été obligé de payer cette dette que tous les hommes doivent à la nature, soit qu'ils ne possèdent pas un farthing, ou qu'ils aient entassé des millions. Old Boge était done sur son lit de ses souffrances étaient très mort; grandes, mais il s'en consolait en partie en se disant que s'il ne pouvait rien manger, c'était encore une bénédiction du ciel. « C'est autant d'épargné, » disait-il. Son médecin ne lui laissa pas ignorer que la mort approchait à grands | ainsi et sonner en maître? Préville fait pas. Boge le voyait lui-même. <<< Voyons, docteur, lui dit-il d'une voix faible, combien de temps dois-je vivre encore? ouvrir; un homme assez long, assez sec, assez mal vêtu, passe comme une flèche entre les trois pouces d'ouverture de la porte, s'écrie : « C'est moi! c'est moi ! >>> Une demi-heure seulement, ré-court, furète, trouve une issue, tombe sur pondit le docteur en tenant sa montre à la main. Ne voudriez-vous faire appeler personne, -unclergyman, par exemple? >> Old Boge garda quelque temps le silence; une pensée sembla illuminer son cerveau; il souleva sa faible main, la promena sur son menton décharné et hérissé de poils rudes et incultes, puis il dit à voix basse avec empressement : « Vite... faites venir... faites venir... un barbier. » Le barbier arrive aussitôt, muni de sa trousse. Old Boge, dont la voix devient de plus en plus faible, murmure : « Vous... demandez... deux pences... pour raser? C'est mon prix, répond le barbier. -Et... combien... prenez-... vous... pour raser... les morts? >>> Le barbier hésita un instant. <<< Cinq shillings, dit-il enfin. -Alors... rasez-... moi... vite... >>> bégaye Old Boge, regardant d'un œil fiévreux la montre que le docteur tenait toujours à la main. Il était trop faible pour ajouter un autre mot; mais le docteur comprit la question qui était restée suspendue sur les lèvres du moribond. << Quinze minutes encore, » fit le doc Préville au lit avec Madame, les embrasse Et voilà Saint-Amand s'asseyant sans façon, crottant les meubles, déboutonnant ses guètres. Un domestique vient : « N'y a-t-il pas une chambre là-haut, hein? Qu'on prépare des matelas, dit Préville. Avec un lit de plume, s'il vous plaît, dit Saint-Amand. Venez, dépèchez; allons, des draps, dit Préville. Faites-les bien sécher, dit SaintAmand. Bassinez le lit, dit Préville. Et mettez du sucre dans la bassinoire, dit Saint-Amand. - Adieu, bonne nuit, dit Préville. Adieu, adieu, ne t'inquiète pas: une nuit est bientôt passée. » Saint-Amand resta dix-sept ans dans la maison aux mêmes conditions.... Une fois, Saint-Amand s'oublie au point de présenter une prise de tabac à quelqu'un; mais il n'a pas plutôt commis cette imprudence qu'il observele mouvement de son convive. Une main malicieuse se courbe vers sa tabatière; deux doigts indiscrets entrent, se posent sur le tabac, et semblent se dilater en pesant dessus. SaintAmand, pour donner le bon exemple, a pincé à l'avance une prise de la plus grande sobriété. Il frémit, il n'a pas tort: les deux doigts invités laissent dans la boîte deux yeux énormes. L'avare n'hésite pas : il remet doucement dans les creux ce qu'il se destinait, et, non sans un soupir, fait jeûner son nez pour se récupérer du trop grand repas du nez du voisin... Il était né avare comme on naît grand capitaine ou grand artiste, et aurait pu professer... En creusant sa science, il trouva une faute dans l'Avare de Molière. On sait qu'à la scène 12 du 3o acte, Cléante parvient à faire accepter à MaIrianne la bague d'Harpagon, qui enrage, le laisse penser au public qu'il reviendra plus tard sur le cadeau : « Pourquoi n'estil plus question de cette bague? disait Saint-Amand. Gomment! ce père ne consent au mariage qu'après avoir stipulé le cadeau d'un habit de noce pour lui, et il n'exige pas qu'on lui rende sa bague, sa chère bague, un superbe diamant! L'avarede Molière est un dissipateur ! » L'observation est déliée, mais judicieuse : elle a échappé à tous les critiques.... Il aimait à faire de la musique, mais, pouvant jouer du violon, personne ne devinait pourquoi il donnait depuis quelque temps la préférence au lugubre alto: « Hé, hé, disait gaiement le signor Zaccharelli, c'est que l'alto ayant plus de pauses à compter que le violon, on use bien moins de cordes. >>> - Et le plaisant de la chose, c'est que le signor Zaccharelli avait deviné juste. (Lafitte, Mémoires de Fleury.) Un paysan des environs de Toulon, à force d'économies, s'est rendu acquéreur de plusieurs métairies considérables. Un de ses fermiers, qui craignait de ne pas tomber d'accord avec un pareil Grandet sur les conditions de renouvellement de son bail, fut agréablement surpris de le trouver plus accommodant qu'il ne l'espérait, et, dans sa joie, il l'invita à boire un coup avec lui au cabaret. « Je ne bois ni vin ni liqueurs, dit le bonhomme. Eh bien! ce que vous voudrez, insista poliment le fermier; mais prenez quelque chose. Ce sera donc pour vous être agréable. Je prendrai un timbre-poste. >>> Il en prit un, en effet, qu'il mit dans son porte-monnaie. (H. de Villemessant, Figaro.) Dans la galerie des avares, la figure du père Crépin, de Lyon, restera encore après celles d'Harpagon et du père Grandet. Le père Crépin était parvenu à réunir un capital de près de deux millions. Or, savez-vous pour combien il a laissé à sa mort d'objets mobiliers? Pour sept francs! Sept francs, le lit, le linge, les vêtements de ce millionnaire! Sa nourriture lui coûtait de trente-cinq à quarante centimes par jour. Il avait trouvé un barbier qui consentait à le ! raser moyennant cinq liards; il se permettait une fois par semaine cette petite débauche. Voilà pour l'ensemble de la physionomie. Quant aux traits particuliers, en voici Le marquis d'Aligre était connu pour son avarice, qui est demeurée prover- quelques-uns: biale. Quand il sortait de chez lui, enfermait, dit-on, une mouche dans le sucrier, et quand il rentrait il s'assurait, en levant le couvercle, que la sentinelle ailée se trouvait encore à son poste. Voici un autre trait du même. Les chemins de fer n'existaient pas en ce temps-là. Notre Harpagon s'arrêta dans une petite ville de la Brie et des Jean Crépin, pour simplifier ses frais de cuisine, se résignait à ne manger que de la soupe; il achetait au rabais de vieilles croûtes, et se faisait de la panade (1) Ce trait a été attribué à un grand nombre d'avares, comme la plupart de ceux qui ont éte mis sur le compte du marquis d'Aligre par les petits journaux satiriques du temps. 1 pour toute une semaine; les deux pre- | tance, et la pauvre femme, qui demeure miers jours, la chose passait sans trop de désagrément, mais le troisième et le quatrième, l'estomac commençait à faire de sérieuses difficultés; le cinquième et le sixième, c'était une véritable révolte. Que faisait notre avare? il tirait de l'armoire une bouteille de vieux rhum (héritage paternel) et la plaçait auprès de l'assiette remplie. << Allons! se disait-il, avale la douleur et ta soupe, mon pauvre ami; une fois ta soupe mangée, tu boiras un bon verre de liqueur pour te dédommager. » Mais, dès que la soupe était passée, le naturel reprenait le dessus, et notre homme reportait reportait dans le placard la bouteille immaculée en disant; Bah! puisque j'ai mangé ma soupe... ce sera pour une autre fois !... >>> Un jour d'hiver, une personne se rend chez le père Crépin pour affaire urgente. Il faisait un froid à geler le mercure. Cette personne trouve le père Crépin se chauffant. Quel luxe! Attendez. Le bonhomme avait acheté des poutres provenant de démolitions; mais, comme il avait reculé devant les frais du sciage, l'extrémité d'une poutre brûlait dans le foyer, et l'autre extrémité reposait, par la porte ouverte, sur le palier. Un avoué de Lyon lui compta un jour une somme de 70,000 francs pour l'indemniser de la perte de maisons qu'une expropriation lui avait enlevées. Cette somme fut payée en or. Le père Crépin examina chaque pièce au trébuchet. La chose dura longtemps, comme on pense. Les clercs de l'avoué se relayaient d'heure en heure, et le soir arriva sans que l'opération fùt finie. « Il faut pourtant terminer, dit l'avoué, impatienté. - Rien ne presse, répondit le père Crépin; demain, je vous donnerai quittance et vous me compterez douze francs de plus d'intérêt. >>> Le père Crépin était bien à coup sûr le modèle des propriétaires passés, présents et futurs. Dans tous les baux qu'il consentait, le loyer était payable neuf mois avant le terme, avec faculté de résiliation de sa part, dans le cas où le locataire serait assez osé pour lui demander une réparation. à une lieue de là, est obligée d'aller la chercher. Pourquoi ? C'est que le père Crépin voulait économiser son papier, et pour cela il n'avait rien imaginé de mieux que d'inscrire la nouvelle quittance au dos de la première. Le papier pourtant ne lui coûtait pas cher : il avait l'habitude de s'en procurer en allant arracher les affiches, ou en découpant les marges de vieux journaux qu'il ramassait. A l'époque où parut l'arrêté municipal qui rendait obligatoire le blanchissage des maisons, le père Crépin fut pris d'un violent désespoir. Il alla trouver M. Terme, alors maire de la ville, et lui demanda si l'on ne pourrait point faire en sa faveur une infraction à l'arrêté en question. M. Terme lui répondit que c'était impossible. << Dites alors que c'est ma ruine que vous voulez! s'écria le père Crépin. Comment? Si je n'avais qu'une maison, je me résignerais; mais j'en ai neuf! >>> Le pauvre homme! Mais le plus joli trait du père Crépin, un trait qui a manqué à Molière, est celui-ci : Recueilli par les époux Favre, il y était logé et nourri gratis. Or, un jour, il arriva que ses hôtes invitèrent à dîner un de leurs amis. Ce fut un crève-cœur pour le père Crépin : cette prodigalité pour un autre que lui le révoltait, non par jalousie, mais par avarice. Comme madame de Sévigné, qui souffrait à la poitrine de sa fille, il souffrait, lui, à la bourse de ses hôtes; pour ne pas être témoin d'un pareil spectacle, il quitta la table au moment où les invités s'y asseyaient, et courut se réfugier dans son alcove. La ville de Lyon semble avoir le privilége de produire les avares les plus corsés. Après le père Crépin, voici venir le sieur C.... qui ne lui cède en rien. Une avarice sordide pousse cet individu, âgé de soixante ans environ, et qui a au moins huit ou dix fois plus de mille francs que d'années, à porter des vêtements séculaires qui, au physique, le transforment en un des mendiants les Une de ses locataires vient un jour lui apporter son terme. Le père Crépin exige qu'c!le lui représente sa dernière quit-plus vraisemblables de la cour des Mi DICT. D'ANECDOTES. T. 1.. 7 racles. Un guitariste ambulant le rencontra l'autre jour, et, croyant avoir affaire à plus malheureux que lui, mit dans sa main une pièce de deux centimes. Entre autres points qui attristent son existence, le père C... conserve encore l'amer souvenir d'un saucisson consommé il y a trente ans par son épouse, en collaboration avec plusieurs amies, dans une partie de villégiature faite à Charbonnière. Le spectre de cette pièce de charcuterie gaspillée danse constamment dans sa mémoire une sarabande effrénée, et empoisonne ses plus douces jouissances. C'est le père C... qui, accompagnant dans un bureau de tabac un de ses voisins, répondit à celui-ci, qui lui offrait des cigares: « Je ne prends pas de cigare, parce que je ne fume pas; mais, si vous le permettez, je prendrai un timbre-poste. » Et pendant que son compagnon s'offrait un cigare d'un sou, il se contente, lui, d'un timbre-poste timbre-poste de 20 centimes, parce qu'il n'y en avait pas dans le bureau d'un prix plus élevé (1). Le génie de l'avarice faillit lui jouer un tour des plus fâcheux. Depuis quelque temps, les travaux des champs et les travaux d'intérieur lui laissent chaque jour quelques minutes de repos; mais le repos, c'est l'ennemi juré de ces belles pièces blanches ou jaunes qu'on aime tant à compter et si peu à dépenser. Il vint une idée au père C... « Quand je mourrai, se dit-il, cela occasionnera bien des folles dépenses; il faudra payer, entre autres, le fossoyeur, et acheter le terrain au cimetière. Si je me fournissais moi-même un cimetière, et si, pendant que j'en ai le temps, j'étais mon propre fossoyeur ! >>> Aussitôt il alla choisir un coin de terrain inculte, et, pendant près d'un mois, on le vit, trappiste amateur, creuser lui-même sa propre fosse à raison de quelques pelletées par jour. La fosse arrivée à largeur et à profondeur, il en maçonna lui-même le fond et les parois, puis se mit en devoir de la recouvrir d'une lourde dalle à ce des tinée, qu'il avait déterrée, taillée et appareillée lui-même. Armé d'un cric, il poussait à petit pas ce bloc de pierre, and tout à coup la manivelle lui échappe; il glisse et va tomber la tête la quand (1) Ce trait est attribué plus haut à un autre avare. Mon avare prenait deux ou trois cerises, les mangeait avec une bouchée de son pain et disait: « Heu! heu! un peu sûres! >>> Il allait ainsi de boutique en boutique, recommençant partout son manége; au bout du marché il avait parfaitement déjeuné. Quand les fruits ne donnaient pas, il demandait à goûter le beurre, mais il ne le trouvait jamais assez frais. Il est mort à 75 ans, n'ayant jamais dépensé plus d'un sou pour son déjeuner et n'ayant jamais mangé de pain sec. Avares ingénieux. |