nationale? On vous disait : « Vous allez armer la sédition, discipliner l'émeute, et mettre les armes à la main à beaucoup de ceux qui auraient intérêt à attaquer la société. » Qu'est-il arrivé encore? C'est que la garde nationale, la nation armée a complétement répondu à toutes les espérances qu'on avait fondées sur elle (C'est vrai! c'est vrai!), et qu'il y a tel jour, ne l'oubliez pas, où la société tout entière n'a reposé que sur les baïonnettes de votre nation armée, de votre garde nationale de Paris. (A gauche: Très-bien!) Eh bien! il en sera de même, je n'en doute pas, de cette innovation qu'on vous dépeint en ce moment comme si périlleuse ou si petite. Toujours, toujours, il en est ainsi quand on se fie, après examen et réflexion, à la liberté bien organisée : elle trompe, elle trompera tous les pronostics néfastes qu'on jette sur ses conséquences. Savez-vous quelles sont les libertés dangereuses? Ce sont les libertés que le peuple arrache et non pas celles qu'on lui donne; ce sont les libertés qu'on jette un jour de faiblesse au peuple : ce ne sont pas celles qu'on lui prépare et qu'on lui mesure avec justice, générosité et sagesse, quand l'heure de les lui livrer a heureusement et évidemment sonné! (Aux extrémités: Bravo!) M. le ministre des affaires étrangères vous a dit : Qu'est-ce que cette réforme insensible? Ce n'est pas là un de ces grands, intimes et profonds besoins d'une société en souffrance dans ses droits méconnus; c'est le caprice, je ne veux pas répéter son mot, c'est le caprice d'une société malade de son bien-être, tourmentée par je ne sais quel besoin d'innovation sans cause, et qui va chercher ci et là, et comme au hasard, je ne sais quel prétexte de perturbation, soit pour renverser des ministres, soit pour faire bouillonner le caractère français. Quant aux ministres, Messieurs, je suis heureux de répondre sur-le-champ à M. le ministre des affaires étrangères qu'il connaît mes sentiments pour lui, pour le cabinet; il sait avec quel zèle je l'ai appuyé et je l'appuyerai encore dans toutes les questions de gouvernement. Ce n'est pas un ministère qui est aux voix ici, c'est un grand principe. Mais, quant à ce qu'il nous a dit des journaux, des comités, des factions, qu'il me permette de lui répondre plus explicitement. Il nous dit: Ce sont des journaux, des comités qui vont chercher ces questions dans la rue pour les faire introduire dans la Chambre, et ces questions n'ont en réalité rien de profond, rien d'intime, rien de populaire. Mais je lui réponds par le fait même : S'il était vrai qu'il n'y eût rien d'intime, rien de sérieux, aucun besoin un peu actif dans les imaginations françaises à l'égard de cette question, est-ce que ces comités dont vous parlez, est-ce que ces journaux qui, depuis plusieurs années..... ( Interruption ); est-ce que ces journaux, ces comités s'y tromperaient, comme vous le dites? Pourquoi ces journaux et ces comités vont-ils chercher cette question dans le sein du pays? C'est qu'elle y est (Rěclamations au centre et approbation à gauche); c'est que ces journaux et ces comités savent très-bien qu'ils touchent là, en effet, une des cordes sensibles de la société, une des conséquences de la révolution française entendue dans la meilleure acception. Quant aux factions, nous écarterons même la pensée apportée ici par M. le ministre des affaires étrangères. Qu'il parle des factions en dehors de cette enceinte, mais que le nom n'en soit pas prononcé ici! (A gauche: Très-bien ! très-bien !)` M. DE LAMARTINE. Je dis que si c'était un esprit de faction qui fût suspect d'apporter ici gratuitement des questions semblables à cette tribune, j'ose le dire, appuyé sur ma propre conscience, ma présence seule ici lui répondrait, et non-seulement ma présence à la tribune, mais celle des honorables et illustres orateurs qui m'ont précédé, et celle peut-être aussi de ceux qui me suivront encore. Non, ce n'est pas ici une question de'faction; c'est une question de principe, c'est une question d'organisation que nous y traitons sérieusement. (Trèsbien!) Et maintenant est-elle aussi petite que la faisait tout à l'heure M. le ministre des affaires étrangères? A cet égard, je serai d'une entière franchise. Oui, dans ses résultats peut-être, dans son application immédiate, la question est petite. La question n'a pas de grands résultats; elle n'apporte pas de modifications sensibles dans la majorité des colléges électoraux, ni dans la majorité de cette Chambre, ni par conséquent dans l'action et dans la conduite du gouvernement. Mais n'y a-t-il donc que des intérêts actuels, immédiats, que des résultats qui se résolvent en changement de cabinet, qui soient des intérêts pour un homme d'État? Non; je dis qu'il y a des intérêts plus grands et plus permanents, et que, pour se prononcer sur ce que M. le ministre appelait tout à l'heure une question si petite, il faut, selon moi, s'interroger profondément, sérieusement, consciencieusement soi-même sur ce qui fait, pour ainsi dire, à cette époque, l'homme tout entier; il faut s'adresser sérieusement cette question: Est-elle ou non un symptôme de progrès? II faut se dire : Suis-je ou non un homme de progrès régulier, un de ceux qui veulent que le monde politique, moral, social, sé transforme sans cesse pour essayer de s'améliorer? Eh bien! je me réponds, et je me suis répondu toute ma vie : Oui, oui, je suis de ces hommes! oui, je suis dévoué âme et vie à cette œuvre, la seule digne qu'on lui consacre son nom et sa peine! oui, je suis un obscur ouvrier de ce travail des nations et des siècles, qui consiste à déplacer les vieilles choses pour faire place aux nouvelles, pour introduire lentement, laborieusement, prudemment, quelques idées de plus dans la masse compacte et immobile des idées acceptées et des faits stationnaires. (Aux extrémités: Très-bien! très-bien!) M. DE LAMARTINE. Et ne vous y trompez pas, Messieurs; c'est parce que je suis progressif de cette façon, que je me crois aussi conservateur que vous, et que je désire le maintien, l'affermissement, l'autorité des gouvernements, pourvu que ces gouvernements, au lieu de s'arrêter sur l'étroit terrain qu'une révolution leur a conquis, veuillent se laisser pénétrer et mouvoir par l'esprit de vie que l'intelligence apporte chaque jour au temps, et consentent à se faire eux-mêmes des machines prudentes de rénovation et de progrès, des véhicules d'idées! C'est à ce titre que je les soutiens, que je suis prêt à les soutenir encore et toujours, et à combattre ceux qui veulent les progrès hors de l'ordre, hors des lois, hors des gouvernements; et il ne sera pas donné à un dissentiment d'un jour de séparer là-dessus des hommes qui ont combattu ensemble pour la cause de l'ordre et du gouvernement. (Au centre: Non, non!) M. DE LAMARTINE. Je dis, plus encore que le préopinant, que les lois électorales sont très-délicates à toucher. Je dis que ce sont plus que des lois, que ce sont presque des chartes. Passezmoi, si je l'ose, un mot plus vrai et plus fort: les lois électorales sont en quelque sorte les dynasties de la souveraineté nationale. (Murmures au centre.) 1 M. le ministre des travaux publics 1 paraît s'élever contre ce mot; eh bien! ce n'est pas contre moi que vous murmurez, Messieurs, c'est contre Montesquieu. C'est lui qui le dit autrement dans l'Esprit des lois : « Il est aussi important de régler par qui les suffrages du peuple doivent être donnés, que de régler quel sera le monarque. » Je ne dis donc rien de trop. (Marques d'adhésion à gauche.) Je n'ai pas été si loin que Montesquieu. (Mouvements en sens divers.) Mais est-il vrai cependant que nous devions tant nous effrayer des conséquences d'une modification si graduée, et que la portée des lois électorales, en France, soit ce qu'on se la figure au premier aspect? Pour me rendre bien compte à moi-même de l'effet que les lois d'élection ont sur un peuple, et de la nature d'influences que telle ou telle modification électorale apporte dans les actes politiques, et pour éclairer mon vote, ou même ma parole dans la délibération, j'ai fait un travail immense: j'ai dressé, pour mon enseignement personnel, un tableau complet des lois d'élection qui ont régi la représentation nationale, depuis le 5 octobre 1788, jour où fut élue l'assemblée des notables, jusqu'au jour où M. Ducos nous présente sa proposition. Et ce tableau n'est pas seulement statistique, il est logique; c'est-àdire qu'au bas de chaque loi électorale sont enregistrés les principaux actes qui furent l'œuvre des corps politiques, créés euxmêmes par ces systèmes électoraux. C'est l'élection en relief, l'élection jugée par ses œuvres, une carte politique de l'élection. D'un coup d'œil, on y parcourt le monde de l'opinion. Je vous dirai dans un moment ce qui en résulte pour moi. En 1788, la nation est encore divisée en castes: noblesse, clergé, tiers-état; ce sont les corps qui nomment, ce ne sont pas les individus. Les deux corps privilégiés nomment directement; 1. M. Teste. le peuple, lui, a l'élection indirecte. Les garanties sont dans les castes, dans les corporations, dans les intérêts collectifs représentés, dans les degrés que l'élection parcourt depuis les assemblées primaires jusqu'au quart des assemblées de bailliages. Que sort-il de cette élection si hiérarchique et si réglée? Il en sort la révolution française: le débordement d'égalité et de liberté. Et pourquoi en sort-elle ? C'est qu'elle y était, c'est qu'il n'y a pas de formes, de garanties, de degrés qui puissent empêcher d'éclore ce qu'une nation a conçu au moment d'une de ces crises où des injustices accumulées et des espérances passionnées lui apportent, par les mains mêmes de ses maîtres, la justice et la réparation. Le 22 décembre 1789, l'Assemblée nationale fait la loi électorale de la révolution. L'élection est indirecte. La loi de 89, où tant de conditions, de degrés de cens, de sécurité avaient été formulés, que produit-elle? L'Assemblée législative, la désorganisation du royaume, la déchéance du roi, le 10 août! Enfin la Convention en sort! la Convention, et, avec elle, les désordres, les spoliations, la guerre, la mort du roi, le meurtre alternatif de tous les hommes éminents, qui semblent ne monter au pouvoir que pour passer de plain-pied à l'échafaud. La Convention fait les lois électorales; aussi elle abaisse, elle annulle presque le cens jusqu'à trois journées de travail, et à 10 fr. pour cens d'éligibilité. Eh bien! de la sorte, sous le directoire, un commencement de réorganisation, de réaction gouvernementale... (Vives réclamations au centre.) On me conteste le mot, je le maintiens. On me dit que le directoire n'a pas amené un système d'amélioration dans l'ordre politique. Où en était-on avant lui? A la guerre universelle, aux échafauds, aux proscriptions. Où en étiez-vous après le directoire? A trois ou quatre traités avec les puissances étrangères, à la fermeture des clubs, à la répression de la presse. Eh bien! voilà ce que j'appelle des commencements de réorganisation, des rétablissements de l'ordre. (Bruit.) Et enfin, si vous allez plus loin, vous trouvez que ces mêmes conditions électorales, par l'organe des corps politiques qu'elles avaient élus, ont amené le consulat avec rétablissement complet de l'administration en France, et plus tard l'empire avec la re |