de colères. Rendant le cabinet du 1er mars responsable de l'alliance anglo-russe, l'orateur adjurait la Chambre de donner appui au nouveau ministère pour inaugurer une politique nouvelle, et faire cesser l'isolement de la France, qui l'agitait à l'intérieur et la menaçait d'une guerre européenne. MESSIEURS, Le puissant orateur que vous venez d'entendre1 vient d'élever le débat à sa véritable hauteur. Il ne s'agit pas en effet seulement ici du pacha d'Égypte et de ces misérables délimitations de provinces qu'il pourrait ambitionner, ou que l'Europe pourrait lui affecter; il s'agit de tout autre chose; il s'agit de la paix ou de la guerre, de la constitution même de l'Europe et du rang que la France est appelée à y prendre ou à y conserver dignement. (Très-bien !) Je ne me dissimule pas, Messieurs, toute la difficulté de la mission que m'impose la parole qui vient de retentir ici. C'est un spectacle étrange, et, je l'avoue tout de suite, c'est un spectacle pénible même pour quelques-uns, que celui de cette séance, que celui de ces deux hommes, sortis tous deux de la même génération, de cette génération née à la vie politique sous un gouvernement qu'ils ont honoré l'un et l'autre, dont, par respect pour eux-mêmes, ils ont respecté la mémoire; de ces deux hommes dont l'un vient ici, et c'est moi, conseiller, modérer, diriger le gouvernement sorti de la révolution de Juillet, dont l'autre vient l'enflammer de toute l'éloquence de sa parole, de toute l'énergie de ce foyer de patriotisme qui, je le reconnais, brûle si ardemment dans son cœur. Ce n'était pas à moi, peut-être, de prendre en main dans cette Assemblée la cause de la politique de mon pays, depuis dix années trop abaissée, trop dégradée, sous l'énergie même du sentiment qui a dicté ce sublime discours; mais aucune considération person 1. M. Berryer. nelle, aucune inégalité de lutte ne m'arrêtera jamais quand il s'agira d'un devoir. (Approbation au centre.) Non, je ne me préoccupe pas de moi, je ne me préoccupe pas même de cette religion des souvenirs qui pourtant a tant de place dans ma pensée; je pense à mon pays, à tout ce qui peut l'amoindrir, le dégrader, à ce qui peut lui faire perdre quelque chose de son rang devant lui-même et devant l'Europe, et je viens-ici le combattre avec fermeté, et j'en trouve le courage en vous et en moi! (Nouvelle approbation au centre.) Non, je ne confesserai jamais qu'aucun parti ait la volonté et encore moins la puissance d'avilir mon pays. Les révolutions portent avec elles assez de périls! ne les condamnez pas encore à la honte! Que l'honorable orateur me permette encore de lui dire que, si ce n'était pas à moi de prendre en main la justification de la politique de mon pays depuis dix ans, ce n'était peut-être pas à lui de faire entendre toutes les paroles qu'il vient de faire éclater ici. (Non! non!) En effet, quelle est la gloire, quel est l'honneur de l'orateur et de son parti? N'est-ce pas ce culte religieux des souvenirs, ce culte des droits, de la perpétuité dans les institutions, quelque part qu'elles se rencontrent? Eh bien! quel serait le premier moyen employé par la révolution dont il vient de susciter la force, si elle était condamnée, par l'humiliation même qu'on veut imprimer à son rôle, à marcher vers le but sanglant qu'il indique? Peut-on se le dissimuler? Ne seraitce pas à l'instant même de se placer derrière ce million de baïonnettes dont on a parlé? ne serait-ce pas de faire agir à l'intérieur cette force terrible, cette propagande si bien caractérisée hier par M. de Tocqueville? Et quels seraient les effets de cette propagande? Ne serait-ce pas de tout renverser en Europe, rois, institutions, légitimités, et tout ce qui a un caractère de perpétuité? Évidemment la parole de l'orateur allait contre son but même. Y aurait-il donc contradictions dans sa pensée? Non, je sais qu'il n'est pas venu ici pour recueillir misérablement, et pour offrir à un parti qui dédaignerait un pareil hommage, ces vains applaudissements, quelques miettes de popularité qui tomberaient de la tribune, après que des tribuns, plus dange de colères. Rendant le cabinet du 1er mars responsable de l'alliance anglo-russe, l'orateur adjurait la Chambre de donner appui au nouveau ministère pour inaugurer une politique nouvelle, et faire cesser l'isolement de la France, qui l'agitait à l'intérieur et la menaçait d'une guerre européenne. MESSIEURS, Le puissant orateur que vous venez d'entendre1 vient d'élever le débat à sa véritable hauteur. Il ne s'agit pas en effet seulement ici du pacha d'Égypte et de ces misérables délimitations de provinces qu'il pourrait ambitionner, ou que l'Europe pourrait lui affecter; il s'agit de tout autre chose; il s'agit de la paix ou de la guerre, de la constitution même de l'Europe et du rang que la France est appelée à y prendre ou à y conserver dignement. (Très-bien !) Je ne me dissimule pas, Messieurs, toute la difficulté de la mission que m'impose la parole qui vient de retentir ici. C'est un spectacle étrange, et, je l'avoue tout de suite, c'est un spectacle pénible même pour quelques-uns, que celui de cette séance, que celui de ces deux hommes, sortis tous deux de la même génération, de cette génération née à la vie politique sous un gouvernement qu'ils ont honoré l'un et l'autre, dont, par respect pour eux-mêmes, ils ont respecté la mémoire; de ces deux hommes dont l'un vient ici, et c'est moi, conseiller, modérer, diriger le gouvernement sorti de la révolution de Juillet, dont l'autre vient l'enflammer de toute l'éloquence de sa parole, de toute l'énergie de ce foyer de patriotisme qui, je le reconnais, brûle si ardemment dans son cœur. Ce n'était pas à moi, peut-être, de prendre en main dans cette Assemblée la cause de la politique de mon pays, depuis dix années trop abaissée, trop dégradée, sous l'énergie même du sentiment qui a dicté ce sublime discours; mais aucune considération person 1. M. Berryer. nelle, aucune inégalité de lutte ne m'arrêtera jamais quand il s'agira d'un devoir. (Approbation au centre.) Non, je ne me préoccupe pas de moi, je ne me préoccupe pas même de cette religion des souvenirs qui pourtant a tant de place dans ma pensée; je pense à mon pays, à tout ce qui peut l'amoindrir, le dégrader, à ce qui peut lui faire perdre quelque chose de son rang devant lui-même et devant l'Europe, et je viens-ici le combattre avec fermeté, et j'en trouve le courage en vous et en moi! (Nouvelle approbation au centre.) Non, je ne confesserai jamais qu'aucun parti ait la volonté et encore moins la puissance d'avilir mon pays. Les révolutions portent avec elles assez de périls! ne les condamnez pas encore à la honte! Que l'honorable orateur me permette encore de lui dire que, si ce n'était pas à moi de prendre en main la justification de la politique de mon pays depuis dix ans, ce n'était peut-être pas à lui de faire entendre toutes les paroles qu'il vient de faire éclater ici. (Non! non!) En effet, quelle est la gloire, quel est l'honneur de l'orateur et de son parti? N'est-ce pas ce culte religieux des souvenirs, ce culte des droits, de la perpétuité dans les institutions, quelque part qu'elles se rencontrent? Eh bien! quel serait le premier moyen employé par la révolution dont il vient de susciter la force, si elle était condamnée, par l'humiliation même qu'on veut imprimer à son rôle, à marcher vers le but sanglant qu'il indique? Peut-on se le dissimuler? Ne seraitce pas à l'instant même de se placer derrière ce million de baïonnettes dont on a parlé? ne serait-ce pas de faire agir à l'intérieur cette force terrible, cette propagande si bien caractérisée hier par M. de Tocqueville? Et quels seraient les effets de cette propagande? Ne serait-ce pas de tout renverser en Europe, rois, institutions, légitimités, et tout ce qui a un caractère de perpétuité? Évidemment la parole de l'orateur allait contre son but même. Y aurait-il donc contradictions dans sa pensée? Non, je sais qu'il n'est pas venu ici pour recueillir misérablement, et pour offrir à un parti qui dédaignerait un pareil hommage, ces vains applaudissements, quelques miettes de popularité qui tomberaient de la tribune, après que des tribuns, plus dange reux que lui, s'en seraient longuement rassasiés? (Au centre. Très-bien!) Quel pourrait être le sens que l'orateur a caché sous ses paroles? S'agit-il de précipiter cette révolution sur la pente d'une révolution de plus? S'agit-il de la faire s'engloutir, en la saisissant du vertige, dans ce précipice qu'on lui a tant et si souvent souhaité? (Mouvement.) Ah! non, ce n'est pas sa pensée, il aime trop, il respecte trop son pays pour cela; mais, qu'il y prenne garde, si le patriotisme égaré allumait jamais une révolution nouvelle, oui, sans doute, un gouvernement y tomberait, mais le noble parti, le parti essentiellement conservateur auquel appartient surtout le préopinant, y tomberait derrière lui; nous, nos enfants, nos lois, nos fortunes, l'Europe entière peut-être, y succomberaient. Eh bien! qu'il le sache, à l'heure où un tel cataclysme politique s'accomplirait, ceux-là mêmes dont il représente la cause maudiraient, en y tombant, le guide téméraire qu'ils avaient choisi pour les honorer et pour les sauver, et qui les aurait perdus! (Nouvelle adhésion.) Mais j'entre dans la discussion avec lui, et je vais le serrer corps à corps sur tous les terrains où il s'est placé, et sur celui-là surtout qui domine cette solennelle question. Mais d'abord, que la France ait été, suivant deux de ses expressions, trahie par ses alliances, amoindrie, humiliée, prostituée à l'étranger par son propre gouvernement! Je vais le demander aux faits seuls, aux faits auxquels seuls je veux emprunter la lumière que le pays nous demande, et que nous lui devons. Que l'Assemblée daigne modérer en ma faveur cette impatience qui lui fait devancer la parole, et qu'on me permette enfin de faire remonter ou redescendre la responsabilité de notre situation pénible, équivoque, douloureuse, à qui elle appartient. (Approbation.) Et d'abord est-il vrai qu'après la révolution de Juillet la politique de la France ait dû être, comme on le dit pour excuser ses fautes, une tendance à un isolement toujours armé, parce que l'isolement rend toujours inquiet et ombrageux? Une tendance à l'isolement! Je dirais oui, si la situation de la France eût été déspérée; oui, s'il m'était démontré, comme l'affirment les hommes posthumes de 1792, que, par le fait seul de Juillet, la France, mise au ban du monde, fût l'objet de la terreur unanime et des implacables ressentiments de l'Europe; |