et, s'ils ne le sont pas, je les voue à leurs propres remords et à la pitié du pays. (Mouvement.) Quant au cabinet du 1er mars dont j'ai été amené à juger les actes avec une parfaite impartialité, je reconnais qu'il n'y a point eu dans son sein et parmi les honorables membres de cette assemblée qui lui ont apporté leur concours, entraînés soit par la puissance du talent soit par le patriotisme qui vibre profondément en eux et en nous, je reconnais qu'il n'y a point eu de volonté systématique de guerre, je reconnais qu'il n'a point voulu, toujours et à tout prix, entraîner à la guerre comme je l'ai cru d'un autre point de vue; je reconnais qu'il a fait des efforts sincères quoique malhabiles pour conserver la paix; mais s'il ne fut pas coupable, il fut bien malheureux, car en peu de mois d'une administration dont il est impossible de condenser tous les actes pour en tirer un même esprit, il a conduit la France à cette nécessité terrible d'avoir à opter aujourd'hui, entre les luttes que nous supportons, les luttes que nous supporterons jusqu'au bout contre les émotions terribles de nationalisme alarmé, c'est-à-dire de lutter contre une révolution au dedans ou de lutter contre une guerre universelle, sans but, sans prétexte, avec 900,000 hommes pour avant-garde, et la propagande pour armée. (Très-bien!) Eh bien! placé entre cette double nécessité, je ne veux pas choisir, je veux que le terrain soit changé, je veux qu'un ministère qui n'ait pas trempé dans le passé vienne poser dignement... (Hilaritė.) Un mot, Messieurs, je dis que je veux et que je conjure tous les bons citoyens d'apporter leur concours à un cabinet qui, je l'espère, a l'intelligence, la volonté, la dignité suffisantes pour réprimer les mauvaises passions dans mon pays. Je ne m'inquiète pas de l'honneur de mon pays, je sais qu'il est en bonnes mains. (Rires ironiques à gauche.) M. TESTE, ministre des travaux publics, vivement. Qui donc sur ces bancs le trouverait mieux placé dans les siennes? M. VIGIER. Ce sont des insultes continuelles. M. DUPIN. Sachez en profiter. M. DE LAMARTINE, se tournant vers la gauche. Messieurs, ce ne sont pas des Français qui peuvent mettre en doute ce que je dis là. AU CENTRE. Oui, oui. M. DE LAMARTINE. Oui, l'honneur de mon pays est en bonnes mains, et j'ai le droit de le dire, quand je le vois placé derrière la poitrine de ce maréchal, qui couvrait encore le sol des tronçons de son épée, alors que le traité de Fontainebleau la lui avait déjà brisée dans ses mains. (Très-bien! très-bien!) Je dis que, pour faire une pareille profession de confiance et d'adhésion à ce cabinet, je n'ai à rougir ni devant vous ni devant mon pays; je dis que je n'ai pas à rougir et que je ne me trouve pas pour cela au dessous de ces hommes qui croient avoir inventé l'honneur en France! (Très-bien! très-bien!) Nous nous appelons révolution, dites-vous? Oui, nous nous appelons révolution; mais la France, avant tout, s'appelle nation, humanité, civilisation; et s'il y a plus d'éloquence, je suis forcé de le reconnaître, s'il y a plus d'action, de mouvement, de popularité, de révolutions dans la guerre, permettez-moi de le dire, il y a cent fois plus de vrai patriotisme dans la paix! (Vive approbation aux centres.) SUR LES FORTIFICATIONS DE PARIS (PREMIER DISCOURS) CHAMBRE DES DÉPUTÉS. Séance du 21 janvier 1841. La question des fortifications de Paris avait été résolue d'avance par le ministère du 1er mars. Le gouvernement, profitant des bruits de guerre pour revenir sur un projet de vieille date, contre lequel l'opinion publique s'était énergiquement prononcée en 1833 et en 1834, avait ouvert provisoirement un crédit de cent millions, par ordonnance royale, en l'absence des Chambres. Les vives répugnances que ce projet avait autrefois provoquées se trouvaient, en 1840, neutralisées en partie par le désir de protéger la capitale contre les agressions de l'étranger. Pour beaucoup de patriotes les fortifications étaient une réponse à la coalition des puissances; d'autre part des arrière-pensées de gouvernement despotique et des rêves de révolution réunissaient, des factions les plus opposées, les partisans de la monarchie à outrance et les anarchistes décidés à faire appel à la force. M. de Lamartine demanda la parole contre le projet de loi, déclarant que les fortifications de Paris, inutiles contre l'étranger, pouvaient être une arme dans la main des partis, mais qu'elles seraient une atteinte permanente à la liberté de la représentation nationale et à l'inviolabilité de la Constitution. MESSIEURS, Je n'ai jamais abordé la tribune avec plus de regret; car je viens combattre, dans M. de Chasseloup, un ami politique. Je le remercie des paroles bienveillantes par lesquelles il m'a interpellé tout à l'heure, et j'y répondrai. נן Je n'ai jamais abordé la tribune avec plus de timidité et d'hésitation; car je viens combattre la majorité, ou du moins un projet conçu sous le coup du patriotisme le plus légitime, et qui semble avoir jusqu'ici une certaine faveur de la majorité. Ce qui me rassure, ce qui m'encourage, ce qui me soutient dans la tâche si difficile que je me suis imposée à moi-même, c'est, que la majorité me permette de le lui dire, qu'elle s'est quelquefois trompée. (Mouvement.) Oui, quelquefois, par les motifs les plus respectables et les plus consciencieux, elle a pu regretter, après un intervalle de quelques mois de réflexions, de quelques années, des votes sortis sous l'empire du même patriotisme, et, le dirai-je, des mêmes préventions. Si je le lui rappelle dès le début de ce discours, ce n'est pas certes pour la blesser en l'aliénant au moment où je voudrais à tout prix conquérir à moi, à ma cause, sa justice, son attention, sinon sa faveur. C'est seulement pour attirer son indulgence en faveur d'un homme bien incompétent, sans doute, mais qui a étudié jusqu'à la lassitude de l'esprit le sujet profond et délicat qu'il vient traiter en ce moment devant elle. (Très-bien!) J'ai dit incompétent, Messieurs, je m'explique; car si je ne suis pas de ces hommes qui croient avoir fait tout ce qu'ils ont lu, et qui, pour s'être couchés quelquefois sur des cartes militaires dans leur cabinet, s'imaginent avoir dormi dans tous les bivacs de nos grandes guerres; si je sais reconnaître aux généraux consommés, aux officiers distingués, comme celui que nous venons d'entendre, le droit qu'ils ont acquis au prix de leur sang de parler des choses de la guerre; cependant, je le déclare hautement, je ne m'incline devant l'autorité de personne. La question n'est pas purement militaire, comme M. de Chasseloup-Laubat a voulu la présenter : elle est nationale, patriotique, politique aussi, et, sous tous ces rapports, j'accepte, je revendique pour moi courageusement, entièrement, la responsabilité sérieuse, terrible peut-être, qui s'attachera dans l'avenir à ceux qui, en se trompant en pareille matière, auraient trompé et peut-être compromis leur pays. (Mouvement.) Que l'honorable M. de Chasseloup-Laubat me permette de lui dire que je ne l'imiterai pas; je ne ferai pas de plan de cam pagne. Il est trop aisé, mais trop peu solide de bâtir sur des hypothèses. Vous pouvez faire vingt plans de campagne dans lesquels, en groupant les événements, les armées, les fortifications, les hommes, vous aurez sans cesse raison. Moi aussi je pourrai vous apporter de mon côté vingt autres plans de campagne dans lesquels, en groupant toutes ces choses différemment, je vous prouverai, je vous démontrerai jusqu'à évidence contraire, que les fortifications de Paris, loin d'être un gage de sécurité pour la patrie, sont un danger de plus pour elle. Qu'aurons-nous prouvé ainsi? Rien du tout, si ce n'est que nous sommes l'un et l'autre des hommes d'imagination qui nous battons plus ou moins bien avec des conjectures. (On rit.) Mais ce n'est pas avec des conjectures, c'est avec des réalités sérieuses, avec l'histoire, avec le caractère national, avec les faits sérieusement étudiés, profondément compris qu'il faut ici nous combattre. Je laisse donc dès le début de ce discours l'honorable préopinant, et je m'adresse au rapport. (Très-bien!) Je rentre dans l'ordre de discussion, que je m'étais préparé à moi-même, la discussion du rapport. Vous dites: Où est la force défensive de la France? et vous vous répondez: Elle n'est pas dans la nature, dans la géographie, dans la politique, qui ont trop découvert la capitale du côté du Nord. Vous prétendez qu'il faut suppléer à cette insuffisance de la constitution géographique de la France par une fortification artificielle de ce grand centre, de cette grande tête de notre pays, de sa capitale, dans laquelle se résume quelquefois la vie ou la mort de la nation tout entière. Eh bien! je me pose la même question que vous, et je me demande où est non-seulement la force défensive de la France, mais encore la force offensive, la grande force, la vitalité même de la nation? Je réponds par un grand mot, par la dernière parole royale qui tomba de la bouche de Louis XIV, au moment où il luttait avec sa fortune chancelante, plus grand que quand il était soulevé par ses succès. Que dit-il au maréchal de Villars, partant pour sauver le pays et le trône? Écoutez ces mots, Messieurs: « Partez, Monsieur le maréchal, quittez Paris, allez livrer bataille; et si vous êtes vaincu, je parcourrai ma capitale, votre |