sionnaires de l'intelligence: allez en son nom. Eh! que parlezvous de sacrifice! Que votre digne directeur efface ce mot du discours qu'il vient de nous adresser! Quand vous aurez reversé dans le cœur et dans l'esprit de ces populations rurales, d'où vous êtes sortis, un peu de ce sentiment du devoir, de cet amour religieux du bien, de ce goût naïf du beau, que vous êtes venus puiser ici, vous ne nous devrez plus rien; car, ce que le département fait pour vous et par vous, il ne le fait pas comme un sacrifice; il l'acquitte avec joie et bonheur, comme une dette sacrée envers Dieu, envers le peuple et envers la postérité! A LA SÉANCE PUBLIQUE DE L'ACADÉMIE DE MACON 12 septembre 1842. : MESSIEURS, De tous les devoirs que l'honneur de présider le conseil général pouvait m'imposer, le plus inattendu et le plus doux pour moi est d'exprimer la haute satisfaction des représentants du département à l'Académie de Mâcon, à ce corps savant et littéraire dont je fais partie moi-même, qui a accueilli presque mon enfance, et où j'ai le bonheur d'avoir aujourd'hui à ne louer que des émules et à n'applaudir que des amis. Permettez-moi d'ajouter qu'il y a dans cette circonstance quelque chose de plus intime et en même temps de plus solennel encore pour moi c'est l'obligation de répondre, pour ainsi dire directement, à ce vieillard illustre qui vient de parler de moi avec tant d'indulgence et de faveur, qui est venu cacher sa vie et déposer sa renommée parmi nous, comme pour nous apprendre combien il y a de simplicité dans le génie et de familiarité aimable sous la gloire (On applaudit.), qui a adopté notre patrie, qui s'associe à nos sérieuses études, et qui ne dédaigne pas de faire entendre quelquefois, dans nos modestes solennités locales, cette grande voix, jamais épuisée, jamais fatiguée, quoi qu'il en dise, qui retentit depuis cinquante ans du haut de la science, du haut de l'histoire, et aujourd'hui enfin du haut de la morale et de la politique. Vous avez nommé M. de Lacretelle! (On applaudit.) J'ai dit vieillard, pour lui complaire, et en comptant le nombre de ses utiles années. Il est jeune, car il médite encore! il est jeune, car il porte en lui les deux éclatantes protestations contre la vieillesse : la puissance d'aimer et la puissance d'espérer toujours! Rendons grâce à la séve intarissable de cet esprit qui pense avec les philosophes, qui juge avec les historiens, et qui, s'il nous était permis de déchirer le voile des secrets de son talent, nous prouverait même qu'il sait chanter avec les poëtes. Je demande à répondre quelques mots, au nom du corps que j'ai l'honneur de représenter, aux ingénieuses considérations qu'il vient de vous présenter sur les dangers de l'industrie. Et d'abord, qu'il ne s'offense pas de ce que je vais dire : en écoutant le spirituel et éloquent critique du système industriel, je n'ai pu m'empêcher de me souvenir que Jean-Jacques Rousseau avait un jour soutenu, ingénieusement et éloquemment aussi, la thèse de l'inutilité des lettres et du danger des connaissances humaines. Le paradoxe a passé, l'écrivain immortel est resté; et la France, après avoir applaudi ses sublimes accusations contre ce qui faisait sa gloire, a marché en avant, d'un pas plus ferme et plus rapide, dans la voie de la science et du génie, où elle a entraîné l'Europe à sa suite. Ainsi ferons-nous demain, après avoir entendu les protestations de l'orateur contre l'industrie. Nous continuerons nos routes de fer, et nous tenterons de nouveaux efforts mécaniques. Je comprends qu'un esprit comme celui de l'illustre académicien, qui a conservé tant de fraîcheur et de poésie sous la maturité de sa raison, déplore, en se jouant, la perte d'une civilisation plus pastorale, et accuse nos machines d'avoir, comme il le dit si pittoresquement, sali de leur fumée noirâtre l'azur de son ciel, ou les lignes droites de nos routes de fer d'avoir coupé les gracieuses ondulations des sentiers de sa jeunesse et dépoétisé ses paysages. Mais si l'on sourit un moment à ses regrets, la raison haute et sévère de l'homme d'État refuse de s'y associer; et même, sous le rapport exclusivement poétique, elle trouve une plus véritable poésie dans ce mouvement fiévreux du monde industriel, qui rend le fer, l'eau, le feu, tous les éléments, les serviteurs animés de l'homme, que dans l'inertie de l'ignorance et de la stérilité, que dans ce repos contemplatif d'une nature qui ne multiplie pas l'œuvre de Dieu par l'œuvre de l'homme. Vous citiez tout à l'heure, Monsieur, le grand poëte moderne de l'Angleterre, à l'appui de votre opinion contre l'industrie. Eh bien le hasard vous condamne par la bouche de votre autorité même. Vous n'avez pas tout lu dans lord Byron; vous auriez trouvé, dans les notes de son immortel Pèlerinage d'Harold, la question traitée par lui et résolue contre vous. On demandait un jour à l'illustre poëte lequel était le plus poétique, selon lui, de la science ou de la nature; il montra du doigt l'Océan à celui qui l'interrogeait : « Je vous demande à mon « tour, dit-il à son interlocuteur, lequel est plus poétique, de «< cette mer vide, nue, déserte, traversée seulement par le sau«vage dans le tronc d'arbre qu'il a creusé, ou de ce golfe cou« vert de ces vaisseaux ombragés du nuage de leur voilure, « portant chacun des milliers d'hommes disciplinés dans leurs « flancs, des canons sur leurs ponts, et courbant les vagues <«< aplanies sous la volonté puissante et cachée de leur gouver« nail? » Interroger ainsi, n'était-ce pas répondre? Vous accusez les machines, Monsieur; mais ce sont les mains artificielles des travailleurs! Mais ce rouet, ce fuseau luimême que vous regrettez pour les femmes de nos campagnes, ce fuseau lui-même est une machine qu'inventa la fileuse en imitant l'araignée ou le travail du ver à soie; mais la charrue elle-même est la première des machines, inventée par le laboureur pour creuser plus profondément le sillon et arracher à la terre plus d'épis avec moins de sueurs. Tout est machine pour l'homme, aussitôt qu'il pense. Ce sont les membres infatigables de l'intelligence, qui travaillent pendant que nous nous reposons. L'animal n'invente pas de machines, et c'est là sa faiblesse ! L'homme les emploie, et c'est là sa force! Elles sont le signe de sa perfectibilité. Craignez de blasphémer la création, en accusant l'industrie! Ce n'est pas la civilisation corrompue et cupide qui a fait l'homme industriel; c'est Dieu qui a fait l'homme industriel, le jour où il l'a créé perfectible. Ne lui enlevez pas son plus beau titre! (On applaudit.) L'Angleterre, dites-vous, violente l'univers pour le forcer à entrer dans sa sphère d'échanges et de consommations. Je ne veux ni excuser ni accuser l'Angleterre. L'histoire n'en croit pas III. 18 ces jugements des peuples les uns contre les autres. Cependant, permettez-moi de vous faire remarquer l'énorme différence qui existe entre ces conquêtes, même violentes, même iniques, faites au nom du principe industriel, et ces conquêtes faites au nom du système militaire et brutal. Partout où Rome conquérante a passé, elle a laissé les ruines et le désert Partout où Tyr, Carthage et l'Angleterre ont passé, qu'ont-elles laissé? Des colonies, des peuples, des civilisations, des masses de consommateurs et de producteurs nouveaux. Je réprouve avec vous la guerre injuste de l'opium en Chine; mais, cependant encore, si je m'élève, pour en juger les résultats, non plus seulement à la hauteur de l'historien qui ne voit que le fait sous ses pas, mais à la hauteur de la philosophie historique qui embrasse de l'œil les résultats pour la civilisation tout entière, ne trouvé-je aucune compensation à ces envahissements commerciaux de l'Angleterre sur l'Orient? Pensez-y! Qui sait, sans sortir de la question de l'opium, qui sait si ce coup de canon tiré par un vaisseau marchand, au commencement de la guerre de Chine, n'a pas forcé les portes d'un monde nouveau? Qui sait s'il ne va pas relier une nation de quatre cent millions d'hommes actifs à la grande communion des peuples européens? Et si cela est, comme je n'en doute pas, quel avenir, Messieurs! Pour vous prouver avec quelle réserve il faut parler des conséquences des plus petits faits, des plus humbles découvertes en industrie, je ne veux vous citer que trois faits pour ainsi dire imperceptibles, et qui se sont rencontrés comme par hasard, et pourtant providentiellement, au commencement de ce siècle; et ce sera tout mon discours. En 1768, je crois, on apporte pour la première fois, au gouverneur général des Indes, quelques graines de thé, comme curiosité; et aujourd'hui, pour les besoins d'une consommation qui embrasse l'Angleterre, l'Allemagne, la Russie, la Suisse, des flottes entières de navires à trois ponts traversent tous les six mois l'Océan, pour transporter les caisses de ce thé, échange de deux mondes. Un autre fait : il y a environ quarante ans, on apporte au pacha d'Égypte une plante de coton d'Amérique; on la cultive dans le limon du Nil, et maintenant la moitié des vaisseaux de |