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faussez vous-mêmes? Est-ce que vous vous sentez capables de résister à toutes les exigences que vous avez provoquées vousmêmes? Est-ce que vous vous sentez dans les mains une manifestation spontanée, énergique, de l'opinion publique, toutepuissante pour donner l'impulsion au gouvernement, quand vous ne la puisez que dans des consciences dont on sait pour ainsi dire le tarif moral? (Approbation aux extrémités. - Bruyantes dénégations au centre.)

Je répète le mot, et je le justifie.

Oui, ne sentez-vous pas, dis-je aux ministres, que vous êtes faibles et impuissants toutes les fois que vous voulez tenter quelque chose dans l'intérêt général; que vous êtes forcés de reculer et de sacrifier vos meilleures pensées à ces coalitions d'intérêts que vous avez vous-mêmes flattés, auxquels vous vous êtes asservis? Ne sait-on pas dans nos départements le tarif moral de certaines adhésions de ces intérêts collectifs? (Violents murmures. Une voix au centre: A l'ordre.)

A l'ordre! Rappelez-y le système, et non pas moi.

Je m'adresse directement à M. le ministre de l'intérieur ' qui m'interpelle; je lui demande à lui-même, homme de gouvernement, si, dans les meilleures pensées que lui et ses collègues ont eues pour le développement des institutions intérieures, de notre puissance extérieure et commerciale, ils ne se sentent pas eux-mêmes frappés d'une sorte d'impuissance devant la coalition de ces intérêts matériels auxquels, dans un intérêt électoral, ils ont été obligés de faire la concession de l'intérêt du pays?

M. LE MINISTRE DES AFFAIRERS ÉTRANGÈRES. Du tout.

M. de Lamartine. Je demande au cabinet tout entier si c'est là gouverner, ou si c'est là obéir? (Sensation prolongée.)

M. VILLEMAIN, ministre de l'instruction publique. Nous répondrons.

M. DE LAMARTINE. Quant à l'extérieur, je m'expliquerai avec une entière franchise, et cette franchise, soyez-en sûrs, n'aura aucun péril pour les intérêts de notre pays. La France, heureusement, est ainsi placée dans le monde, qu'elle n'a aucun in

1. M. Duchatel.

térêt sérieux incompatible avec les grands intérêts européens avec lesquels elle a à traiter et à se tenir en harmonie. Le gouvernement de Juillet, dès le premier jour, a voulu la paix. Je lui en fais éternel honneur. Moi aussi, j'ai toujours été et je serai toujours partisan de la paix. Je n'ai jamais partagé, et je ne partagerai jamais ce libéralisme menteur qui affecte de ne voir la liberté que dans la guerre, et qui voudrait marcher à travers la fumée et la gloire à un despotisme militaire certain, si jamais nous venions à intenter la guerre hors de nos nécessités et de nos devoirs. Le gouvernement de Juillet a donc voulu la paix, et il a bien fait, selon moi. Un règne négociateur peut être plus grand qu'un règne conquérant les traités sont des victoires. Quoi qu'en en ait dit l'autre jour M. le ministre,des affaires étrangères à une autre tribune, et M. de Carné, aujourd'hui, devant nous, les alliances sont des forces, et les traités peuvent équivaloir à des conquêtes. Je ne partage en rien ce système d'égoïsme national, qui voudrait s'isoler dans le monde, et qui croirait peser autant à lui seul que le monde tout entier. Cela est contraire aux règles de la plus saine logique. Être seul en politique, comme en toute chose, c'est être faible; être deux, avoir un système, y rallier des auxiliaires, c'est doubler sa force. Eh bien! interrogeons sérieusement les circonstances. Voyez les périls de la discussion qui s'approche sur le droit de visite, et demandons-nous avec sincérité Sommes-nous plus près de la paix qu'en 1834? Avons-nous des alliances, une sphère d'action, un système français?

Permettez-moi d'en douter, en voyant l'attitude française aussi incertaine, aussi isolée, aussi incapable d'oser quelque chose aujourd'hui, après trente ans de patience! Et ce n'est pas non plus d'aujourd'hui que je commence à en douter. Qui donc a poussé le premier, en 1834, son gouvernement à une forte et audacieuse intervention en Espagne, si ce n'est moi? L'Espagne, disais-je, se noie dans son propre sang, et s'énerve dans la guerre civile; les puissances y subventionnent l'anarchie sous le nom de don Carlos; elles y attaquent indirectement, mais audacieusement, le principe constitutionnel analogue chez les deux peuples, et l'ascendant légitime français établi par les guerres de succession! Marchez à la fois au se

cours de la liberté et à la défense de l'influence de Louis XIV. Bravez l'Europe au nom de l'humanité et des idées libérales. Elle se taira, et vous aurez repris votre rang, par cela seul que vous l'aurez bravée dans votre droit. (Bravos prolongés à gauche.)

Et si vous aviez ainsi rétabli votre attitude en Espagne, en seriez-vous à entendre tranquillement le canon de Barcelone? à voir assis sur ces bancs votre honorable ambassadeur en Espagne? à être odieux ou indifférents aux libéraux de 1812, que yous vous êtes aliénés, et aux carlistes de 1830, que vous avez combattus, et aux constitutionnels modérés de 1839, que vous avez indignement abandonnés, et, enfin, aux exaltés de 1840, qui se jettent dans les bras de vos rivaux? Auriez-vous été seuls dans la question d'Ancône? dans l'abandon d'Ancône que j'ai reproché ici à un cabinet même dont je défendais la situation, et qui a cru devoir pousser la loyauté jusqu'à l'imprudence? (Sensation.)

Oui, il ne fallait se dessaisir de ce gage de guerre en Italie qu'après que la France se serait saisie d'un gage de paix dans une alliance continentale? (Approbation aux extrémitės.)

Enfin, plus tard, auriez-vous donc été seuls dans la question d'Orient, qui vous ouvrait le monde, et qui, bien comprise, amenait le remaniement des traités de 1815? Auriez-vous vu l'imprévoyance de votre politique s'aliéner à la fois l'alliance russe et l'alliance anglaise? Auriez-vous forcé, malgré leur antipathie, en Asie, ces deux puissances à réunir leurs mains, qui se repoussent, sur ce traité du 15 juillet 1840? Oui, sur ce traité du 15 juillet, qui pèse encore tant aujourd'hui et sur la mémoire des ministres et sur le sentiment de la France qui l'a supporté.

J'ose dire à M. le ministre des affaires étrangères : Vous n'en auriez pas été réduit, dans cette position que vous avez été obligé de réparer si péniblement après l'avoir subie, à signer fatalement, sans condition, le traité du 15 juillet, et enfin aujourd'hui vous n'en seriez pas à voir l'opinion publique comprimée dans ses intérêts extérieurs, dont elle a l'instinct et le sentiment, et à laquelle vous avez refusé tout son développe

ment, tout son droit en Europe: vous n'en seriez pas à la voir rechercher aujourd'hui, dans de misérables petites querelles, cette étincelle de guerre, cette vengeance de dignité, quand, sur des terrains meilleurs, elle aurait trouvé dans le droit de la France, dans la dignité, les intérêts de la France, une cause digne de nous et des alliés pour combattre avec nous! Cette cause, elle la cherche aujourd'hui dans des questions de paix et d'humanité. Je m'en afflige pour mon pays, et je m'en effraye pour vous, car l'opinion ombrageuse échappe même au gouvernement! (Interruption prolongée.)

Messieurs, après le douloureux tableau de notre situation intérieure, et que j'appellerai notre malheureuse compression européenne, après ce dissentiment profond entre la politique suivie par le gouvernement de Juillet et celle que j'envisage pour la sécurité et la grandeur de mon pays, je dois me demander ce que la Chambre se demande à elle-même tous les jours: qu'est-ce qu'il y a donc à faire? Je le dirai tout de suite, sans aucun de ces ménagements que des considérations timides pourraient inspirer à des caractères qui auraient quelque chose à masquer devant leur pays. (Sensation.)

Il y a une seule chose à faire pour les hommes qui, comme moi, se différencient chaque jour davantage du système qui compromet le pays au dedans et les affaires au dehors: une seule chose, c'est de se ranger, de se compter, de s'isoler; c'est de prendre sur le terrain des oppositions constitutionnelles une position forte où nous puissions recueillir un à un tous les principes successivement violés ou artificiellement dérobés au pays, tous ses griefs, tous ses intérêts, toutes ses dignités compromises; c'est de rassembler en faisceau tous les instincts généreux, progressis, moraux de la nation, afin qu'au jour où ce système sera arrivé à son excès, à sa perte, soit par la défaillance absolue de l'esprit public au dedans, soit par l'interdit politique où il se laisse placer par l'Europe au dehors, le pays vienne rechercher les principes de sa révolution, sa gloire, son esprit public, son salut dans l'asile où nous les aurons conservés intacts, et les retrouve dans une opposition loyale et ferme, au lieu d'aller au moment des crises les chercher dans les factions! (Bravos prolongés aux extrémitès.)

Voilà, Messieurs, ce qu'il y a faire, et je le fais! (4 gauche : Très-bien! très-bien! Murmures au centre.)

Vos murmures ne m'apprennent... (Nouveaux murmures.)

Vos murmures ne m'enseignent que ce que je sais d'avance; c'est que cette opposition, notre dernier salut, sera faible en nombre, méconnue d'abord, que la faveur immédiate de la Chambre et même du pays ne lui viendra pas tout d'un coup. (Rires et murmures.)

Était-elle donc plus nombreuse et plus populaire en commençant cette opposition des quinze ans, objet des mêmes dédains? cette opposition de dix-sept voix contre la majorité de la restauration? Oui, de dix-sept voix, qui osèrent dire : La nation est derrière nous! Eh bien! la nation ne leur donna-t-elle pas raison un jour, et le pays ne fut-il pas sauvé par eux au moment du coup d'État? (Vive approbation aux extrémités.)

Eh bien! il en serait de même, sachez-le bien, si les mêmes circonstances se représentaient. Non, il ne sera pas donné de prévaloir longtemps contre l'organisation et le développement de la démocratie moderne à ce système qui usurpe légalement, qui empiète timidement, mais toujours, et qui dépouille le pays pièce à pièce de ce qu'il devait conserver des conquêtes de dix ans et de cinquante ans! (Murmures au centre.)

Non, ce n'est pas pour si peu que nous avons donné au monde européen, politique, social, religieux, une secousse telle, qu'il n'y a pas un empire qui n'en ait croulé ou tremblé (Bravos!), pas une fibre humaine dans tout l'univers qui n'y ait participé par le bien, par le mal, par la joie, par la terreur, par la haine ou par le fanatisme! (Applaudissements aux extrėmités.)

Et c'est en présence de ce torrent d'événements qui a déraciné les intérêts, les institutions les plus solidifiés dans le sol, que vous croyez pouvoir arrêter tout cela, arrêter les idées du temps, qui veulent leur place, devant le seul intérêt dynastique trop étroitement assis devant quelques intérêts groupés autour d'une monarchie récemment fondée ! Vous osez nier la force invincible de l'idée démocratique, un pied sur ses débris? Vous osez nier le feu, la main sur le volcan?

Ah! détrompez-vous. Sans doute ces captations, ces faveurs

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