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AU BANQUET

OFFERT PAR LA VILLE DE MACON

A M. DE LAMARTINE

4 juin 1843.

Ce discours fait pénétrer dans la pensée de M. de Lamartine et connaître les causes morales qui préparèrent la Révolution de 1848. On y retrouve plus vivant que jamais, sans doute par contraste avec la compression muette qui suivit, ce qu'il y eut d'aspirations généreuses, d'idées fécondes, de magnanimité facile et débordante dans ces temps précurseurs. On y sent manifestement ce qu'on peut attendre de civilisation sociale, pour l'avenir, de ces entretiens publics où les opinions des citoyens en se communiquant s'éclairent, se pacifient et s'élèvent. « Les temps des masses approchent. » Il n'y aura pas eu à l'aurore de l'avénement de la démocratie un tel élan de fraternité, d'expansion civique, pour que de tant d'espérances exprimées et ressenties en commun tout se soit a bîmé dans le silence et dans une négation stérile.

MESSIEURS,

Si j'éprouve une exprimable jouissance en contemplant l'imposante réunion de tant de citoyens, et en répondant aux paroles que votre digne et bienveillant président vient de m'adresser en votre nom, cette jouissance, soyez-en sûrs, touche moins en moi l'homme que le citoyen. Il serait bien petit, laissez-moi vous le dire, l'homme public qui, accueilli ainsi par le pays qui l'a vu naître, ne verrait dans tout cela que soi-même, et n'emporterait

de ce jour, de cette foule, de ces acclamations bienveillantes, qu'une misérable satisfaction d'amour-propre, au lieu d'y voir une grande et sérieuse manifestation d'esprit public!

Et cette manière de considérer cette fête, Messieurs, en même temps qu'elle est la plus vraie, la plus digne de vous, est, en même temps, la plus propre à honorer celui que vous voulez récompenser et raffermir. Car, si ces démonstrations n'avaient que moi pour objet, l'impression en serait aussi bornée et aussi fugitive que moi-même ; et ces tentes ne seraient pas enlevées, ces guirlandes de feuillage ne seraient pas séchées, que le souvenir de cette heure brillante de ma vie serait évanoui comme ces décorations qu'on écarte; au lieu qu'en disparaissant moi-même comme je le dois, en ne voyant là qu'un acte politique, vous élevez, pour ainsi dire, le nom d'un simple citoyen à la hauteur d'un principe! (De toutes parts: Oui, oui, oui, c'est cela!)

Et vous le rendez ainsi, ce nom, aussi imposant que cette foule et que cet acte politique auquel vous daignez l'associer!

Sortons donc tout de suite des banalités de sensibilité et de reconnaissance, et parlons un instant de choses sérieuses, même au milieu de ces appareils de fête. Tout est sérieux de ce qui touche au peuple. Et qu'importent la tribune et la place? N'est-ce pas dans des banquets aussi que les anciens traitaient des plus graves sujets de la philosophie, et des plus grands intérêts de la république? (Très-bien ! très-bien!)

Et, d'abord, ne dois-je pas me demander à moi-même pourquoi cette foule, pourquoi cette innombrable réunion de citoyens de tous les états, de toutes les professions, de tous les habits, parmi lesquels je ne vois manquer que quelques anciens et honorables amis attachés au gouvernement par leurs fonctions, et dont je respecte l'absence, tout en m'en affligeant, mais qui, certes, n'auraient rien entendu ici d'indigne d'eux et de vous? Oui, je me demande pourquoi tous ces hommes ici rassemblés, depuis le propriétaire jusqu'à l'ouvrier, depuis l'homme qui vit du travail des mains jusqu'à celui qui vit du travail de l'intelligence, mettent-ils leurs intérêts avec confiance, sans ombrage, sans haine, sans envie les uns des autres, entre mes mains? Ah! osons l'avouer, Messieurs, c'est que rien, heureusement, ne s'interpose plus entre nous; c'est que rien ne nous empêche plus

de composer une seule et même famille nationale! c'est que la révolution de 89 a enlevé toutes les barrières qui nous séparaient en trois ou quatre peuples dans une même patrie, et que, aujourd'hui, l'égalité des droits entre tous a produit enfin ce qu'elle devait produire : l'uniformité de patriotisme et la fusion de tous les intérêts en un intérêt commun. (Assentiment.)

Mais elle a produit plus, Messieurs! elle a produit déjà aussi entre nous la communauté de croyances et d'idées politiques. Oui, il est évident, pour qui réfléchit, qu'au milieu de ces diversités apparentes, de ces nuances plus ou moins colorées d'opinions contraires à la surface, il y a déjà au fond une même pensée, une foi politique commune entre nous; et que cette foi politique, il ne s'agit plus que de la dégager de quelques préjugés qui l'obscurcissent encore, pour la faire briller d'un irrésistible éclat au-dessus de toutes les intelligences, et rallier tous les esprits à un dogme unanime et tout-puissant!

Que nous pensions de même au fond sur la plupart des grandes questions qui ont agité le siècle et qui l'agitent encore, je n'en voudrais d'autres preuves que la réponse que chacun de nous se fait à lui-même quand il s'interroge sans esprit de parti sur les matières de gouvernement. En voulez-vous la preuve? Je vais la tenter sur vous-mêmes. A qui que ce soit que je m'adresse ici, riche ou pauvre, à droite, à gauche, au milieu, je suis persuadé que j'obtiendrai les mêmes réponses si j'interroge au hasard ceux qui ont le moins du monde réfléchi sur l'esprit des institutions et sur les règles d'un bon gouvernement pour leur pays.

Êtes-vous convaincus, par exemple, que l'égalité de droits entre les classes sociales vaut mieux que l'inégalité et les priviléges de castes, pour la dignité morale des individus, comme pour la force de la nation? Tous, sans exception, vous me répondrez : Oui. (Oui, oui!)

Êtes-vous convaincus que la liberté bien réglée par les lois librement consenties, qui obligent tout le monde sans humilier personne, vaut mieux pour la moralité du peuple que la subordination passive aux ordres d'un despotisme quelconque? Tous encore vous me répondrez: Oui. (Qui, oui!)

Je vais plus loin. Êtes-vous convaincus déjà, et il y a peu

d'années vous ne l'étiez pas encore, êtes-vous convaincus que le principe chrétien de la fraternité entre les hommes doit devenir tôt ou tard le principe de la fraternité entre les peuples? que le règne de la force brutale, de la conquête est passée; qu'il faut reléguer la gloire elle-même, quand elle n'est pas fondée sur la défense des intérêts nationaux, au rang des préjugés sublimes qui ont plus ébloui le monde qu'ils ne l'ont servi, et que par conséquent la paix, l'harmonie entre les nations, la paix qui est à la fois le travail, la liberté, le bonheur du peuple, doit être le premier but de tout bon gouvernement? Vous dites: Oui, du fond de l'âme, et vous n'y mettez d'autre réserve que cette dignité du pays, plus chère à la France que les dernières gouttes de son sang! (Oui, oui!)

Allons plus loin encore. Êtes-vous convaincus que les gouvernements ne tombent pas du ciel tout faits? qu'on ne les reçoit pas de tous les hasards et sans titres? Êtes-vous convaincus que les gouvernements ne sont en réalité que des instruments, dans les mains de la nation, au service des idées ou des intérêts que chaque nation et chaque époque ont pour mission de faire triompher dans le monde? que si cet instrument fonctionne bien, il faut le conserver; que s'il fonctionne mal, il faut le redresser; et qu'enfin, s'il se tourne contre les idées et contre le peuple, il faut....? Mais ne prononçons pas le mot terrible de révolutions! Rien ne les justifie, que d'inexorables nécessités! Éloignons-les même de notre pensée... Dieu et notre sagesse les écarteront à jamais de nous! (Bravos et assentiment prolongės.)

:

Vous dites mille fois Oui! à toutes ces doctrines. Je vous interrogerais sur mille autres points de ces idées communes à tout ce qui pense ici, que nous trouverions le même assentiment sur une foule de vérités sociales ou politiques sur lesquelles nous serions d'accord. Il y a donc une croyance commune, une foi nationale; et ceux qui parlent tant de notre prétendu scepticisme ne révèlent, au fond, que leur propre indifférence et leur incrédulité intéressée.

Eh bien! quand un peuple en est là, il est mûr pour la liberté. Il est sauvé!... Il n'a plus besoin de tuteurs ni de maîtres; il n'a plus besoin que de guides honnêtes et intelligents; il n'a plus besoin que de raison et d'institutions.

Et quand un peuple en est là aussi, il n'y a pour l'ordre et pour la paix aucun danger à le réunir, à l'interroger, à l'entretenir de ses affaires, de son gouvernement même; et ceci répond d'avance aux appréhensions, aux insinuations de ceux qui redoutent des réunions comme celle-ci, qui craignent qu'elles ne se changent en réunions séditieuses, qui disent qu'on ne peut rassembler autour d'une table paisible un certain nombre de citoyens choisis dans toutes les classes honorables de la population que pour flatter de mauvaises passions, que pour les enflammer contre leur administration, que pour les enivrer de basses flatteries, et pour leur mendier une popularité aussi honteuse que les moyens à l'aide desquels on l'aurait captée. (Bravos!)

Eh bien! ici on ne vous calomnie pas moins que moi-même. J'en appelle à vous contre ceux qui nous calomnient: vous ai-je jamais flattés? (Non, non! Bravos.) Vous ai-je jamais excités à la haine du gouvernement, au mépris, à l'injustice envers votre administration, dans laquelle je compte ici tant d'honorables amis? Quand le désordre menaçait, qui vous a recommandé l'ordre? Quand vous vouliez une guerre insensée et dangereuse, qui s'est hardiment prononcé pour la paix, au risque de sa popularité perdue? Oui, j'ai osé vous contredire; et c'est pourquoi je puis, aujourd'hui, être de votre avis sans que personne ait le droit de voir en moi un flatteur du peuple et un quêteur de popularité. (Acclamations unanimes. Oui, oui! c'est vrai!)

Je sais bien qu'on dit : « L'opposition n'honore aujourd'hui M. de Lamartine que parce qu'il a fait à l'opposition la concession de son caractère et de ses principes; c'est un nouveau converti à la liberté, on veut l'engager, l'encourager! » Mon Dieu! je lis, j'entends cela tous les jours; cela ne m'effleure pas seulement. Les pamphlets ne sont pas de l'histoire.

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J'ai passé à l'opposition, dit-on? Messieurs, je n'accepte ni l'éloge, ni le blâme ainsi formulés. Ce n'est pas moi qui ai passé à l'opposition, c'est le gouvernement qui s'est écarté graduellement de la ligne où j'aurais été heureux de le suivre et de le soutenir en votre nom! Je n'ai pas changé de place, ce sont les choses qui en ont changé. Vous avez sous les yeux toutes les paroles que j'ai prononcées depuis huit ans que j'ai l'honneur de représenter mon pays! confrontez-les avec ce que je dis aujour

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