est plus puissant que l'égoïsme pour exécuter ces grandes œuvres, qui sont destinées à être aussi impérissables que la nation elle-même, et qui, par conséquent, ne peuvent appartenir qu'à elle. Il reconnaîtra de plus que c'est aussi le moyen le plus économique et le plus digne, car il fera ce raisonnement bien simple: Dans le contrat entre les compagnies de chemins de fer et l'État, de deux choses l'une ou les compagnies perdent, ou les compagnies gagnent. Si les compagnies perdent, elles font banqueroute; les actions tombent à rien, le discrédit rejaillit sur toute l'entreprise, et les chemins restent là. Est-il digne de l'État de semer ainsi lui-même la désorganisation, la ruine et la banqueroute sur l'esprit d'association que l'on prétend vouloir encourager? Et si les compagnies gagnent, de quel droit l'État fait-il bénéficier un petit nombre de capitalistes d'une opération qu'il pourrait faire lui-même ? Il n'est que l'administrateur du trésor public, il n'en est pas le propriétaire. Les contribuables sont des mineurs dont l'État a la tutelle. On mettrait en jugement un tuteur qui administrerait la fortune de son pupille, comme, dans le système des compagnies, l'État a jusqu'ici administré la fortune de la nation. LA CONSPIRATION DE LA PEUR 2 novembre 1843. Nous lisions, il y a peu de jours, dans un journal du gouvernement, le Globe, les lignes suivantes adressées à M. de Lamartine à propos de ce qu'on a si improprement nommé son programme d'opposition: « Vous osez évoquer les ombres des « grands hommes de 89! et vous demandez ce qu'ils diraient de << notre état de choses et des droits qu'ils nous ont légués. Ah! « préoccupez-vous aussi de ce qu'ils vous diraient à vous, nou<< veau roi de l'agitation et des tempêtes! Ils vous diraient qu'ils « ont été victimes de leurs idées, et que l'Assemblée nationale a << enfanté la Convention, et que la Convention a assassiné << Louis XVI, et que la Convention de M. de Lamartine est des«tinée a une œuvre semblable. Ils vous diraient : Nous nageons « dans le sang que nous avons fait verser. Faites autant de << phrases que vous voudrez à présent, vous ne les ferez pas plus « belles que celles de 93, dont elles sont l'expression et la con<< tinuation! Quand le gouvernement aura péri sous vos coups, « à quelles idées vous rallierez-vous? C'est contre l'ordre, la >> « discipline, le pouvoir, que vous appelez les fureurs de la mul<< titude! » Un autre journal de même couleur ajoute: Vous « voulez être un tribun du peuple, un chef de parti, un régéné«rateur! que sais-je? Vous êtes un mécontent qui, ayant voulu << vainement diriger le parti conservateur, se jette aujourd'hui, « par vengeance, du côté des factions!>»> Ces paroles sont symptomatiques. Arrêtons-nous un moment pour réfléchir. Voilà un homme qui est entré à la Chambre il y a huit ans, et qui ne s'est rangé, en entrant, sous la bannière d'aucune des factions extrêmes de l'opinion. Il s'est dévoué modestement, et selon la mesure de ses faibles talents, au triomphe rationnel de deux ou trois idées, à la cause de la moralité, de l'intelligence et de la liberté du peuple. Il n'a aucun préjugé contre la monarchie. Il croit qu'elle peut personnifier les intérêts populaires et les progrès de l'esprit humain tout aussi bien que la république. Il pense qu'elle a même sur cette forme de gouvernement puissante, mais orageuse, l'avantage d'une plus grande concentration du pouvoir et d'une plus véritable responsabilité. Cet homme n'a jamais signalé de haine contre la personne du roi. Au contraire, il n'a jamais manqué au devoir de lui rendre cet hommage impartial, désintéressé, réfléchi, qui est plus respectueux même que l'adulation, car il a quelque chose de l'indépendance de l'histoire. Cet homme n'a point à se plaindre du gouvernement. Le gouvernement lui a offert souvent bien au delà du prix de ses humbles services, et tout ce qui pouvait apaiser l'ambition d'un homme raisonnable. Cet homme n'a point de haine contre les conservateurs; il a appris, en combattant avec eux pendant deux ans, que s'il était impossible de s'associer à toutes leurs idées, il était plus impossible encore de ne pas honorer leurs intentions. Il n'a point de haine contre les ministres. Il compte parmi eux quelques amis, et ne s'y connaît point d'ennemi. Il ne les a jamais attaqués par leur nom, mais par leur système. Sa conduite parlementaire a été simple et parfaitement conséquente aux idées qu'il avait portées à la Chambre. Isolé des partis, il a professé pendant les quatre premières années les dogmes d'une opposition impartiale quant à la dynastie, populaire quant aux principes. A l'époque où la coalition s'est formée, il s'est rallié aux conservateurs. Il les a avertis que ce n'était pas pour toujours, mais pour défendre avec eux la paix, seul terrain où la liberté, selon lui, puisse s'enraciner. La coalition dissoute, il est rentré dans une indépendance plutôt bienveillante qu'hostile au gouvernement; car il aime le pouvoir comme un principe. Le pouvoir est à ses yeux le ressort des nations: il le veut fort pour que la nation soit puissante. Cependant les lois de septembre, qu'il a combattues, avaient t 1 passé et altéraient déjà visiblement le caractère d'un gouvernement libre; la presse, cette arme défensive de la liberté, était sinon brisée, du moins tellement alourdie dans la main des opinions, que peu de gens pouvaient s'en servir. La Chambre des pairs était devenue un tribunal exceptionnel, une cour martiale en permanence contre les crimes politiques. La loi électorale, au lieu de s'élargir, se rétrécissait et se faussait sous la corruption avouée des influences. La loi de régence déclarait la suprématie définitive du principe dynastique sur le principe national. Enfin la loi des fortifications, interprétée par la pensée publique, par l'histoire et par le 18 brumaire, déclarait la défiance, et montrait les armes dont un jour on pourrait peutêtre abuser! C'était trop : quand on dit le premier guerre à l'esprit des institutions, peut-on se plaindre qu'on réponde guerre? Cet homme a rendu guerre pour guerre, et combat aujourd'hui les tendances du gouvernement. Mais quelle guerre lui fait-il? Guerre de résistance, et non pas guerre d'agression; guerre en plein soleil, et non guerre de tenèbres; guerre de redressement et non de renversement; guerre de salut, enfin, et non pas guerre à mort. Jamais une étincelle tombée de ses lèvres n'a allumé une mauvaise passion populaire; il raisonne, il discute, il n'incendie pas. Son opposition n'est que l'insurrection des idées, la révolte de la raison ! Il parle du peuple, mais il définit le peuple. Il parle de démocratie, mais il définit la démocratie. Il parle de liberté, mais il définit la liberté. Il n'y a pas une de ces définitions qui ne soit un appel au bon sens, à la paix publique, au droit et au respect de tous envers tous. Pour trouver une mauvaise insinuation sous sa plume, il faut l'y mettre; pour mal interpréter ses paroles, il faut les corrompre; pour accuser son opposition, il faut la calomnier! Il n'a cessé de répéter lui-même qu'au temps où nous vivions la France n'avait pas besoin de tribuns, mais d'hommes d'État, et que le trouble et la guerre étaient les deux contre-sens de la liberté. Eh bien! voilà l'homme que des journaux appellent un des rois de l'agitation et des tempêtes, un chef de parti, un démolisseur, un tribun, un anarchiste, qu'ils accusent d'ameuter les fureurs de la multitude, de vouloir faire périr le gouvernement sous ses coups, d'évoquer des Conventions et d'assassiner des rois! De tels excès de plume prouvent dans ceux qui écrivent de bien puériles susceptibilités, ou de bien sinistres projets. Et dans quel temps sème-t-on ainsi la terreur dans les esprits? Dans un temps où la raison publique est de sang-froid, où la propriété territoriale, divisée entre dix millions de familles, fournirait à elle seule une armée irrésistible à l'ordre et à la sécurité publique! où la propriété mobilière, le commerce, l'industrie, les arts, l'intelligence, se lèveraient d'eux-mêmes pour protéger la société qui les nourrit! où l'Europe est en paix, où le monde pense et travaille, où un gouvernement repose sur une armée de 500,000 hommes et sur les fortifications de Paris! Voilà cet État qu'une misérable voix peut troubler! voilà ce gouvernement qui va périr sous les coups de quelque faible plume ameutant à la réflexion et à la prudence quelques centaines de lecteurs paisibles au fond d'un département éloigné!... Encore si les écrivains qui rédigent ces paniques sanglantes étaient des hommes simples et pauvres d'intelligence, on pourrait croire qu'ils s'y trompent eux-mêmes, et qu'ils s'effrayent les premiers des fantômes qu'ils habillent de ces lambeaux pour en effrayer les autres. Mais non! ce sont des hommes très-spirituels, très-habiles et très-résolus. Il y a donc un parti pris, un complot délibéré d'effrayer le pays! Cela est évident, il y a contre les progrès de la liberté et contre le développement légal des institutions une conspiration bien liée, et la plus dangereuse des conspirations, une de ces conspirations qui ne pardonnent jamais! la conspiration de la peur! Mais le pays la déjouera par le rire. Ah! croyez-nous, vivez sans crainte sur les périls du gouvernement, sur les Conventions, sur les assassinats juridiques des rois! ce n'est pas de tout cela que nous sommes aujourd'hui menacés. Le danger n'est pas pour ceux qui blasphèment la liberté en la trahissant, mais pour ceux qui la servent en l'éclairant. Ce n'est pas la révolution, c'est la contre-révolution qui se lève. Dormez en paix à l'abri de la lassitude des uns, de la corruption des autres, de l'opinion publique assoupie, d'une armée nombreuse et disciplinée, de vos vingt-quatre forteresses munies de douze cents pièces de canon, défendues bientôt par soixante mille hommes, et postées sur toutes les routes, entre Paris et les départements de la France, III. 29 |