teurs, l'exclusion des masses nationales du droit politique, la non-organisation des gardes nationales en force de réserve derrière l'armée, l'obstacle mis par la loi à toute association inoffensive, l'inertie et la faiblesse de l'administration pour la solution des questions matérielles, l'abandon des masses à la merci du besoin quand le travail manque ; l'inégalité de certains impôts qui, comme l'impôt de la vie des citoyens, pèse d'un poids mille fois plus lourd sur le pauvre que sur le riche; l'esclavage maintenu aux colonies par un gouvernement de justice et de liberté, l'attitude obséquieuse de la France depuis 1835, son effacement de la politique du monde; l'Espagne livrée tour à tour à l'anarchie ou à l'Angleterre, l'Italie à l'Autriche, par l'abandon prématuré d'Ancône, l'Orient à tout le monde; la France descendant évidemment pendant que tout monte, et demandant trop longtemps pardon à l'Europe d'avoir osé être libre et d'avoir su être grande! enfin l'exagération du principe dynastique dans tout l'organisme de ses institutions. Voilà les principaux textes de contradiction entre le gouvernement et l'opposition. Prenez le contre-pied, vous aurez le gouvernement de l'opposition. Oui, elle fera et elle tendra à faire précisément le contraire de ce que le gouvernement a fait depuis 1834. Ainsi, elle prendra énergiquement l'initiative, au nom du pouvoir : De la révision des lois de Septembre, pour les coordonner à l'esprit d'un régime de discussion; De la révision de la loi qui fait d'un corps politique nommé par le roi une cour judiciaire jugeant les ennemis du roi; De la révision de la loi de régence, sinon quant à la personne désignée, du moins quant à la disposition permanente et héréditaire; D'une révision de la loi des fortifications, qui en innocente la la pensée, et qui écarte toute menace contre la constitution; D'une révision du concordat, qui, en relâchant davantage encore les liens de contrainte mutuelle qui subordonnent tour à tour l'État à l'Église et l'Église à l'État, laisse sa dignité à la religion, son indépendance à la conscience, son mouvement à la raison; D'une révision de la loi électorale, qui fasse de l'élection, comme vous le dites et comme nous l'avons toujours dit, une fonction déjà élue, et ne laisse ainsi aucune classe sans représentation, aucun citoyen sans part proportionnelle du droit social; D'un système de réserve armée, qui, sans rien coûter au budget, donne à la nation une force sédentaire et mobilisable, debout au premier coup de canon; D'une loi sur l'association, qui la règle au lieu de la détruire; D'institutions de prévoyance, de secours, de travail et de colonisation, qui créent partout la providence légale de la société envers tous ses enfants, au lieu de ne montrer que sa cruauté, son indifférence et son égoïsme; D'institutions de crédit public, qui mobilisent au profit du travailleur une plus grande somme du capital national; Enfin, l'organisation complète et politique de la démocratie dans un ensemble de mesures ainsi conçues, que le gouvernement appartienne véritablement et complétement au peuple, et non le peuple au gouvernement; Dans la politique extérieure, une attitude, un langage et des actes tels que la France voie enfin finir cette honteuse quaran taine qu'elle fait depuis dix ans au lazaret des révolutions; Que son poids décide la balance, indécise des sympathies et des antipathies à son égard, et qu'elle connaisse enfin ses alliés ou ses ennemis; Tout cela fait à son heure, à propos, avec énergie, mais avec mesure, sans faiblesse et sans violence, sous la forme de tendances constantes et graduées, plutôt que sous la forme de soubresauts et de saccades. Car les gouvernements se caractérisent assez par leurs tendances. Quand on voit clairement où ils veulent aller, on ne les chicane plus sur la lenteur du pas: on les suit. Il suffit que les choses soient sur leur vraie pente pour qu'elles marchent, comme le fleuve dans son courant, irrésistible quoique sans bouillonnement et sans bruit. Quand une idée sent qu'on la mène à son but, elle est patiente, et, certaine du triomphe définitif, elle donne du temps à ceux qui la servent. Voilà en peu de faits un changement presque complet dans la nature et dans la marche du gouvernement; voilà une série de mesures, de lois et d'actes diplomatiques entièrement opposés aux mesures, aux lois, aux actes intérieurs et extérieurs du pouvoir actuel; voilà d'immenses manifestations d'un gouvernement d'opposition. Eh bien! je le demande à votre bonne foi, où est le désordre? où est l'agitation? où est la subversion des institutions et des intérêts dans tout cela? où est l'émeute? où est la guerre? où est la révolution?... Que l'opposition saisisse le pouvoir et réalise successivement cette grande métamorphose qui est-ce qui s'en apercevrait, si ce n'était pas le bienêtre, par le juste orgueil et par la sécurité qui en ressortiraient pour tout le monde? Un peuple émancipé, une monarchie d'aplomb, un gouvernement fort de la force de tous, une administration irrésistible, écrasant sous l'intérêt des masses toutes les petites résistances privées qui l'embarrassent; une nation grande et fière, donnant la paix au monde et ne la subissant pas: voilà tout. Qui donc n'en serait pas partisan? Et vousmême, qui retrouvez tant de vos théories dans cette théorie pratique de l'opposition, vous et ces conservateurs attristés que l'immobilité inquiète, car ils savent comme vous que, devant le temps qui marche, l'immobilité d'un gouvernement qui s'arrête, c'est la mort à jour fixe! hésiteriez-vous à vous réjouir du triomphe d'une opposition qui se caractériserait par de telles œuvres? Hésiteriez-vous à vous rallier à un gouvernement qui, en retrouvant la foi et le peuple, aurait retrouvé la vie et la force? Non, certainement, vous n'hésiteriez pas. Vous aimez le droit? Il est avec le peuple. Vous aimez la grandeur? Elle est avec un gouvernement national. Vous aimez le mouvement? Il est avec les idées. Vous aimez l'ordre? Il est avec les principes. Vous aimez la stabilité? Elle est avec la vérité des institutions. Vous aimez l'intelligence? Elle est avec la liberté! Soyez donc avec ceux qui veulent fonder le gouvernement sur le droit, sur la liberté, sur l'intelligence. Ne restez pas dans ce contre-courant qui paraît descendre, et qui remonte. Toute politique qui remonte est fausse. Le temps ne remonte pas. A des époques comme celle-ci, où deux idées se combattent, il est impossible de ne pas prendre parti pour l'une des deux et de n'être pas, dans un sens ou dans l'autre, révolutionnaire. Seulement il y a deux sortes de révolutions : les révolutions en arrière et les révolutions en avant. Vous servez sans le vouloir, en ce moment, la révolution du passé. Révolution pour révolution, il vaut mieux servir celle de l'avenir. Car si l'avenir a des illusions sans doute, comme toute chose humaine, le passé n'a que des ruines. Vous êtes monarchique? La monarchie, cernée de toutes parts, n'a de salut à espérer qu'en se précipitant dans l'esprit du siècle. En avant donc avec nous! C'est le mot de la France, c'est le mot du temps, et c'est le mot de Dieu ! Ainsi, l'opposition a des idées et peut les appliquer sans révolution. Mais, nous direz-vous en finissant, pourquoi l'opposition ne se rallie-t-elle pas dès aujourd'hui et ne sauve-t-elle pas le gouvernement en saisissant le pouvoir? C'est que l'heure n'est pas venue. Les oppositions, comme les gouvernements, sont inertes de leur nature, et ne prennent les grands partis que sous la pression des grandes circonstances. Cette pression que les choses exercent sur les hommes s'appelle des crises. Je ne conseillerai jamais, pour ma part, à l'opposition de prendre le gouvernement avant une crise. La force lui manquerait pour exécuter... Les crises sont la fièvre des opinions et centuplent leur énergie. Le pays dort maintenant et s'irriterait contre ceux qui voudraient le forcer au mouvement. Laissons-le dormir, et veillons. LE DUC DE BORDEAUX A LONDRES 12 novembre 1843. Il se passe en ce moment un des événements les plus caractéristiques du temps où nous vivons, et qui fait, selon nous, le plus d'honneur à nos mœurs, à nos lois et, disons-le aussi, à notre nature de gouvernement. Pourquoi lui refuser l'éloge quand il le mérite? notre opposition n'est pas de la colère, c'est de la franchise. Oui, ceux qui nient l'heureuse influence d'un gouvernement de légalité et de liberté sur l'esprit du peuple et sur les actes du pouvoir devraient être confondus par ce que nous voyons ces jours-ci à Londres. Il y aurait de quoi rendre optimistes ceux qui sont le plus disposés à voir tout en noir et à accuser sans cesse leur époque, leur pays et la forme · de leur gouvernement. Voici le fait : Le duc de Bordeaux, ce jeune héritier d'un trône, rejeté par une tempête, presque dans son berceau, loin de la France et plus loin du trône, élevé dans l'exil aux sévères leçons de la Providence par les infortunes de sa famille, est arrivé à l'âge d'homme. Il quitte l'Allemagne, où il a vécu jusqu'ici dans la retraite, et il va compléter son éducation par des voyages. Incertain de ce que la destinée lui garde, il veut être au niveau de toutes les situations, prêt aux grandeurs comme à la vie privée, selon les ordres de la destinée. Quelle que soit l'opinion qu'on nourrit pour ou contre le sang qui coule dans ses veines, quelle que soit l'idée qu'on se forme de son avenir, on ne peut qu'applaudir à un tel emploi de ses jeunes années. Prince ou particulier, il faut être homme avant tout, et si on est digne de son |