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l'universalité de l'empire, ne peut pas s'évaluer moins de dix millions. Ils ont vingt mille bourses de séminaristes, payées par l'État pour le recrutement du clergé. Ils ont l'exemption de l'impôt universitaire aux petits et grands séminaires. Ils ont plus de cent millions de biens de mainmorte, appartenant moralement à l'Église par les corporations qui les possèdent. Ils ont, de plus, l'inépuisable et volontaire impôt des aumônes, qui ne reste pas dans leurs mains, mais qui y passe et qui leur achète les pauvres avec le denier caché de Dieu. Ils ont tout ce que nous ne savons pas, et cet empire mystérieux des consciences que la loi leur laisse avec respect. Ils ont le droit d'assembler les hommes par masse à toutes les heures, et de leur parler sans contrôle. Ils ont la domination morale de la famille par les femmes et par les mères. Voilà la situation vraie du clergé catholique en France aujourd'hui! Elle est telle, que si l'on nous disait de choisir entre ces deux conditions, ces deux organisations et ces deux puissances, la puissance de l'État en France ou celle du clergé, nous n'hésitérions pas, nous prendrions celle du clergé. Il est plus puissant que l'État lui-même; et, de plus, il est éternel et

il est sacré!

Pour contre-balancer cette omnipotence de propagation et d'influences légales, cette possession presque exclusive du pays moral concédé à l'Église, qu'est-ce qu'a l'État? Il a un ministère de l'enseignement public, dirigeant un corps enseignant laïque appelé l'Université, et doté seulement d'environ onze millions, quarante-six colléges royaux, deux mille deux cent cinquante bourses, trois cent douze colléges communaux avec quatre cent quatre-vingt-une bourses. Il a, de plus, le droit d'inspecter les maisons d'enseignement, et la charge d'examiner, avant de les déclarer aptes à certaines fonctions publiques, tous les élèves qui sortent de l'enseignement libre, excepté ceux qui déclarent se destiner à l'état ecclésiastique, et dont on respecte à ce titre l'inviolabilité.

Voilà la situation réciproque de l'Église et de l'État, en matière d'enseignement et d'influences, constituée. Voilà la prétendue liberté, voilà la prétendue égalité! Quel est l'esprit impartial qui ne reconnaisse que, si la transaction était possible, toutes les conditions de prédominance ne soient en faveur de

l'Église, et que bien loin d'avoir droit de se plaindre, elle ne dût renfermer sa joie dans son âme et jouir en silence d'un empire que la foi lui doit dans les consciences, que la loi lui donne dans les temples, que les mœurs lui donnent dans le foyer domestique, que le privilége lui donne dans les séminaires, dans l'enseignement, dans les corporations, et enfin que le budget lui donne dans la richesse relative. Mais elle ne s'en contente pas, et elle a raison, car la transaction est impossible entre celui qui doit tout prétendre et celui qui ne peut pas tout concéder.

Or, pourquoi avait-on tenté cette transaction et ce partage impraticable de l'empire entre l'Église et l'État? Le voici. C'est que l'amour de la vérité avait cédé, dans l'Église et dans l'État, à l'amour de la paix. C'est que ni l'un ni l'autre n'ont eu assez de foi pour se résoudre à vivre dans leur indépendance, l'Église de sa foi religieuse, l'État de sa foi civile, et qu'ils se sont dit tacitement: «< Allions-nous pour subsister ensemble. Vous, Église, prêtez-moi votre ascendant religieux pour moraliser et discipliner les peuples! Vous, État, prêtez-moi votre autorité morale, votre administration, votre légalité et vos subventions pécuniaires, pour maintenir ma domination sur les âmes et pour perpétuer mon établissement temporel. » C'était une faiblesse de la part de l'Église, une faiblesse aussi de la part de I'État.

Simonie des deux parts!

Ces deux faiblesses se comprennent. L'Église sortait d'une persécution, et se trouvait heureuse de s'abriter modeste et docile sous le pouvoir civil, qui lui offrait protection. L'État sortait de l'anarchie et devait remonter avec ardeur vers la source de tout ordre et de toute morale, la religion. L'union était profane de la part de l'Église, hypocrite de la part de l'État ; elle manquait à la foi et à la raison tout ensemble: mais elle était politique. Elle se fit. Pouvait-elle durer sans que la raison fût sacrifiée à l'Église, ou l'Église contrainte par le pouvoir civil? Pouvait-elle durer sans que l'État ou l'Église fussent absorbés l'un par l'autre, ou sans que la guerre intestine et sourde se déclarât entre les deux puissances? Évidemment, non; et c'est ce que nous. commençons à voir aujourd'hui. L'Église dit : Le culte, c'est la

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foi; la foi, c'est l'enseignement. Vous m'avez donné le culte, vous me devez l'enseignement rien de plus rigoureusement logique. L'État dit : L'enseignement, c'est l'homme; l'enseignement, c'est l'esprit humain. Si je vous livre l'enseignement, je vous livre l'homme, je vous livre l'esprit humain, je vous livre la civilisation tout entière; en un mot, j'abdique. Un certain scrupule me retient encore. Je veux bien vous en livrer les neuf dixièmes je veux bien vous livrer, par exemple, tout l'enseignement religieux, tout l'enseignement domestique, tout l'enseignement populaire, tout l'enseignement des premières années de l'homme jusqu'à seize ans; mais laissez-moi l'enseignement transcendant, l'enseignement public, l'enseignement pour ainsi dire civil. Cela m'appartient du moins. L'Église réplique: Non! L'esprit est à vous; mais je réponds des âmes. Si vous ne me laissez pas examiner vos doctrines et contrôler la foi de vos professeurs, je refuse le concours, je me sépare de vous, je ne vous prête plus mon ministère dans vos colléges. Et encore ici l'Église, consciencieuse et convaincue, a raison. Car si elle croit, elle ne peut pas jouer une comédie sacrée en assistant de sa présence l'État dans une œuvre qu'elle dit être la perversion de sa foi, ni couvrir complaisamment de son manteau les fraudes de l'enseignement philosophique qui lui dérobe ses âmes entre le pupitre et l'autel. C'est indigne d'elle! C'est se jouer des hommes, c'est trafiquer des enfants, c'est vendre Dieu! Ses ministres le sentent, et ils protestent en attendant qu'ils frappent. La politique peut s'en affliger, la foi ne peut que s'en applaudir, et la raison ne peut que s'en féliciter. Ces ministres sont respectables dans leur vigilance, ils sont dans leur droit devant Dieu. Seulement ils oublient une chose : c'est que dans la fausse situation qu'ils ont acceptée, ils ne sont pas dans leur droit devant l'État. Ils veulent faire usage de leur liberté, et ils ne sont plus libres. Ils ont fait un pacte avec l'État, et ils reçoivent une sanction et des trésors du pouvoir civil. Les contrats sont réciproques. Quand on consent à recevoir, on consent à donner. Quand on a aliéné une part de sa liberté pour un salaire, on ne l'a plus tout entière. Si l'État est enchaîné, vous l'êtés aussi ! S'il vous doit les cathédrales, les évêchés, les trente millions de traitements religieux, les vingt mille séminaristes,

les cent millions de propriétés de mainmorte, la nomination aux diocèses, l'exécution du concordat, la protection de vos cérémonies publiques, l'empire incontesté de la famille et le règne par la foi, vous lui devez le culte. Voilà le contrat! De deux choses l'une ou il faut le déchirer, ou il faut le tenir. Si vous le tenez, vous abdiquez une partie de la force et de la dignité de votre foi, vous avez un autre maître que Dieu, vous comptez avec le roi. Si vous le déchirez, vous renoncez à la force des hommes pour vous réfugier dans la force de Dieu. Voyons ce qui vaut mieux pour vous, pour l'État, pour la foi, pour la raison, pour la conscience, pour l'enseignement, pour la morale humaine, ou de cette union politique qui enchaîne l'État à l'Église, la foi à la raison, la tradition à l'examen, le mouvement à l'immobilité, ou de l'émancipation franche et complète des deux pouvoirs.

Chose étrange, que depuis cinquante ans nous ayons donné la liberté à tout le monde, excepté à Dieu!

Quel remède? se demande-t-on; car il en faut un. Les ajournements ne sont pas des remèdes; ils cachent le mal et ils l'empirent. Comment rentrerons-nous peu à peu dans la triple vérité de la religion libre, de l'État souverain et de l'enseignement sincère?

Deux forces opposées régissent le monde moral: la tradition et l'innovation, autrement dites l'autorité et la liberté. Elles sont au monde intellectuel ce que l'attraction et la projection sont au monde physique. Elles le maintiennent à la fois en équilibre et en mouvement. La religion établie est la plus imposante des traditions, et son caractère divin lui fait même contracter l'immuabilité, qui n'appartient à aucune chose humaine. La raison, l'examen, la discussion, la liberté sont les forces d'innovation : leur puissance, au lieu d'être dans l'immuabilité, est, au contraire, dans leur perpétuelle recherche et dans leur transformation continue. Elles sont les ailes du monde moral, dont la tradition est la règle et le poids. Ces deux forces, aux yeux de l'homme d'État religieux, méritent un égal respect; car l'une et l'autre sont de Dieu. Et si, dans ses législations imprudentes, l'homme d'État fait perdre l'équilibre à l'une ou à l'autre de ces forces, il dérange le monde intellectuel

et il viole une des lois de la Providence. Avec la religion se rencontrent, le plus ordinairement, l'esprit de discipline, d'obéissance, de conservation, la règle des esprits, le frein des âmes, les bonnes mœurs, les œuvres de charité, la vertu désintéressée, le dévouement aux hommes jusqu'au sacrifice, le dévouement à Dieu jusqu'au martyre! Mais aussi les ignorances, les superstitions, les faiblesses d'esprit, les routines de la pensée, les crédulités pieuses, les nuages, les ténèbres, les fantômes de l'enfance, du temps, vieux vêtements du passé, dont les cultes n'aiment pas à se dépouiller, parce qu'ils font partie, comme dit Bossuet, de leur antiquité, et, par conséquent, de leur respect et de leur crédit sur l'imagination des peuples. Avec l'innovation se trouve en général le plus de science, d'intelligence, de raison, de lumière, de perfectibilité des facultés de l'homme; mais aussi le plus d'incertitude, d'esprit de système, de témérités hasardeuses, de hardiesses passionnées et d'ambitions fiévreuses prêtes à tout renverser pour faire place aux idées neuves et aux hommes nouveaux, même sur des ruines. Et ces deux forces sont cependant nécessaires de la même nécessité. Avec l'idée immobilisée dans une institution immuable, la pensée humaine tarit faute de renouvellement, l'humanité s'engourdit, la société ou la nation tombe en assoupissement ou en servitude. Avec l'innovation seule, la société se précipite et tombe en poussière par l'accélération désordonnée et sans contre-poids de la pensée. Voilà la tradition et l'innovation, l'autorité et la liberté, la religion et la raison. Il faut que ces deux forces soient représentées et servies dans leur juste mesure. Mais qui est-ce qui se chargera de les représenter et de les servir à la fois dans la proportion réelle de leur droit et de leur force? Ces deux puissances sont antipathiques entre elles et inconciliabes par nature. Comment pourraient-elles avoir le même représentant? L'État, ou le gouvernement, prétend pouvoir les représenter, lui. Il le prétend; mais il ne le peut pas, ou il ne le pourrait qu'en les trahissant l'une et l'autre, en sacrifiant tour à tour la raison à la religion, ou la religion à la raison, suivant ses tendances momentanées et arbitraires, faisant la loi du sacrilége, par exemple, en 1822, et brisant la croix en 1830! C'est là, cependant, notre situation actuelle quant

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