à la religion et quant à l'enseignement. Cela peut-il durer longtemps sans compromettre l'une et l'autre et sans avilir l'État? Et, d'abord, comment l'État en est-il venu à ce point d'audace et de déraison d'oser dire à la fois, au nom de quelques citoyens sans titre divin, rassemblés dans une Chambre : « Je vais faire leur «part juste à la religion et à la raison humaine, à Dieu, à la «< conscience, à l'esprit humain, en sorte que personne n'ait à « se plaindre. A celle-ci tant d'enseignement catholique! à celle<< là tant d'enseignement philosophique! à Dieu tant de culte, «< au siècle tant d'impiété ! Cela s'écrira en chiffres ronds dans « mon budget. Cela se divisera en francs et en centimes, et « tout le monde sera content!» Dérision des choses trois fois saintes de la religion et de la raison !... La part de Dieu? ô hommes risibles! mais c'est lui qui se la fait dans nos âmes! Toute la place que vous y prenez au nom de l'État, c'est sur lui que vous l'usurpez! Retirez-vous de nos pensées! elles n'appartiennent pas à la loi! Otez-vous du soleil de nos âmes, vous nous le salissez avec votre or, vous nous l'obscurcissez avec vos mains! Voilà cependant le raisonnement bien simple et bien excusable de l'État. Il a mis la main sur sa conscience et il s'est dit : « Je n'ai pas de foi; cependant il me faut une foi à tout prix, « du moins une foi politique, car j'ai lu dans l'histoire que tous «< les gouvernements anciens avaient une foi nationale; j'ai lu << dans les publicistes qu'il fallait absolument une religion sen«<sible au peuple, et, de plus, j'ai lu dans les sophistes qu'il n'y << avait point de religion sans cérémonies et sans culte officiel! >> Comme si l'âme n'était pas un sanctuaire où pût s'accomplir, entre l'homme et Dieu, entre le prêtre et le fidèle, le saint mystère de la foi, de l'adoration et de la communication avec Dieu! « Enfin, bien ou mal, j'ai lu tout cela et je veux une foi « légale et un ministère des cultes, comme j'ai un ministère de «<l'agriculture et des travaux publics. Le peuple que je gou«< verne n'a pas non plus de foi unanime: les uns croient à cela, «<les autres à cela; ceux-ci à quelque chose, ceux-là à rien du << tout. Je ne puis pas avoir autant de religions que ce peuple, «< cela serait malséant : l'uniformité administrative de mon mi«<nistère des cultes en serait trop bigarrée. Je vais d'abord en «< choisir deux ou trois des plus anciens, des plus visibles. Ceux« là, je les reconnaîtrai, je les salarierai même, je les réglemen« terai. Les autres, je dirai qu'ils n'existent pas. Religions nou« velles? portes fermées! - ce sera, comme en botanique, genre « inconnu ! » En partant de ces trois beaux principes dont chacun est un mensonge, l'État a cru devoir et pouvoir, en bonne conscience politique, dire aux catholiques : « Je vais faire du catholicisme « pour vous!» aux dissidents: «Je vais faire du protestantisme « pour vous! » au siècle rationaliste : « Je vais faire de l'ensei«gnement philosophique pour vous! » et à toutes les autres pensées religieuses nées ou à naître : « Je vais faire de l'oppression «< contre vous ! » Il aurait dû se borner à dire : « Je vais faire de «< la liberté pour tout le monde: Je ne suis pas Dieu, je suis « l'État; je ne suis pas du ciel, je suis de la terre; je ne suis pas « de l'éternité, je suis du siècle. Mon devoir n'est pas de faire « des cultes, mais de protéger l'inviolabilité et l'indépen<< dance de tous ceux qui croient honorer Dieu, votre juge et << le mien!» Et c'est en partant de ce principe aussi que l'État a créé le conflit inextricable entre l'Université et l'Église, entre l'enseignement traditionnel et l'enseignement rationnel. Faire la part exacte d'enseignement légal entre la tradition et la philosophie, qui se contredisent en apparence souvent, c'est aussi impossible que de faire la part exacte entre la foi et l'incrédulité! C'est le sacrilege de l'administration contre la religion, contre la raison, contre le père de famille et contre l'enfant à la fois. Étonnezvous donc de l'agitation qui s'élève, des justes réclamations des évêques, des justes indignations de la philosophie, des justes appréhensions des pères !... L'enseignement, c'est la foi du chrétien! l'enseignement, c'est la foi du protestant! l'enseignement, c'est la foi de la philosophie! l'enseignement, c'est la foi de la famille! Avez-vous mesuré chacune de ces fois, pour ne rien donner à l'une aux dépens de l'autre? Non, vous n'en savez rien; vous servez dans les ténèbres, vous agissez au hasard, et vous blessez tout ce que vous touchez. De la suprématie de l'Église, avant la Révolution, il est sorti un siècle impie; de la suprématie de l'État, il sortirait un siècle sceptique. Qu'en résulte-t-il en matière d'enseignement? Voyons d'abord pour l'enseignement: Si l'État avait une foi réelle, sincère et presque unanime, il n'y aurait aucun inconvénient, et il y aurait un immense avantage à ce que tout l'enseignement fût dans ses mains. Ses mains étant religieuses, et ses maîtres étant avoués par la religion, il y aurait accord, ensemble, unité de doctrines. Le corps enseignant laïque ne serait que l'auxiliaire du corps enseignant ecclésiastique; la chaire des professeurs ne serait que l'écho de la chaire de la cathédrale. Tout le monde comprend l'éducation d'une jeunesse ainsi élevée. Elle sort de la maison paternelle, où elle a sucé la foi avec le lait. Elle passe dans des colléges de l'État, où elle apprend la foi avec la science. Enfin, elle entre dans une société où elle retrouve la foi dans un culte obligatoire et national. A un pareil régime, l'enfant, l'adolescent et l'homme, c'est un seul être. La famille, l'homme et la société sont un avec la religion. C'est l'ordre idéal de ceux qui rêvent la sublime théocratie ou le gouvernement de Dieu! Mais dans un ordre de choses comme notre ordre imparfait et misérable, où l'État n'a pas de foi, où l'État ne se subordonne pas à Église, et où, cependant, il veut administrer l'enseignement tantôt d'accord, tantôt concurremment avec l'Église, où les deux enseignements s'enchevêtrent, se froissent, se succèdent et se détruisent, que se passe-t-il? D'abord, de deux chosès l'une ou l'État asservit son enseignement à l'Église, ou bien il lui résiste. S'il asservit son enseignement à l'Église, il disparaît, il s'anéantit, il lui livre entièrement le siècle et les générations, il trahit à la fois sa dignité et sa mission, qui est de servir, de défendre et de propager non pas seulement les traditions immuables, mais le mouvement novateur et ascendant de l'esprit humain. S'il lui résiste, au contraire, il opprime, il restreint, il contredit, il violente l'enseignement religieux de l'Église, il altère sa foi, et par là même il nuit à sa puissance sur les consciences, et à son efficacité sur les mœurs. Dans l'une ou dans l'autre hypothèse, mal pour l'État ou mal pour l'Église! mais surtout mal pour l'enfant et mal pire encore pour la société ! Que voulez-vous, en effet, que devienne l'homme moral et intellectuel dans un état d'enseignement et de société où l'enfant, comme ces fils de barbares qu'on trempait tour à tour, en naissant, dans l'eau bouillante et dans l'eau glacée, pour rendre leur peau insensible aux impressions des climats, est jeté tour à tour, ou tout à la fois, dans l'esprit du siècle et dans l'esprit du sanctuaire, dans l'incrédulité et dans la foi? Il sort de la maison d'un père peut-être croyant, peut-être sceptique; il a vu sa mère affirmer et son père nier; il entre dans un collége divisé d'esprit et de tendances. L'enseignement du professeur n'y concorde en rien avec l'enseignement du sacerdoce. En supposant même que ces deux enseignements se tolèrent et ne se heurtent pas dans le collége, ils se séparent entièrement à la fin de l'enseignement élémentaire; et au sortir du collége, dont les murs garantissent sa foi de l'air du siècle, il trouve à la porte et dans les cours transcendants la philosophie, l'histoire, la science, la liberté, le scepticisme qui le saisissent pour lui enseigner une autre foi. Il lui faudrait deux âmes, et il n'en a qu'une! On la tiraille et on la déchire en sens contraire. Les deux enseignements se la disputent; le trouble et le désordre se mettent dans ses idées. Il en reste quelques lambeaux à la foi, quelques lambeaux à la raison. Il s'étonne de cette contradiction entre ce qu'on lui disait dans sa famille, ce qu'on lui enseignait dans son collége, ce qu'on lui démontre dans ses cours. Il commence à se douter qu'on lui joue une grande comédie, que la société ne croit pas un mot de ce qu'elle enseigne, qu'elle a deux fois et deux morales, deux Dieux dans le ciel, une foi et un Dieu pour les enfants, une foi et un Dieu pour les adolescents, peut-être une autre foi et un autre Dieu pour les hommes faits. Il pense en secret qu'il faut que tout cela ne soit pas bien important pour que la société et l'État s'en jouent avec cette légèreté et avec ce mépris. Sa foi s'éteint; sa raison, sans ardeur, se refroidit; son âme se sèche, son enthousiasme se change en indifférence et en découragement. Il ne lui reste d'une pareille éducation que juste assez des deux principes opposés dans l'âme, pour que cette âme soit une guerre intestine de pensées contraires, et pour qu'il ne puisse pas même vivre en paix avec lui-même dans une vie qui a commencé par l'inconséquence et qui se prolonge dans la contradiction. Voilà une partie des mauvais effets de l'enseignement complexe où l'Église et l'État veulent pactiser sans sincérité et s'associer en se haïssant. Ils démembrent l'enfant, ils énervent l'homme, car l'homme est foi. Le dernier mot de cet enseignement mixte, c'est perdition des âmes !... perdition à la fois pour la religion et pour la raison, pour la religion et la civilisation, pour Dieu et pour le siècle! Mais, en matière de foi et de mœurs, quel est pour l'Église elle-même, et pour le sentiment religieux en général, l'effet de cette union légale de l'Église et de l'État, de ce qui est de la conscience et de ce qui est de la loi, de ce qui passe et de ce qui demeure, de ce qui est de l'éternité et de ce qui est du temps? Nous l'avons dit, l'équilibre ne peut exister, et s'il existait, il ne serait encore que la cession à parts égales des devoirs de l'État et des droits de la conscience. Il ne serait que la main des hommes dans les choses de Dieu profanation! ou la main du prêtre, au nom de Dieu, dans les choses du siècle? asservissement! Mais cela même ne peut exister. Dans le contrat il y a toujours l'un des deux qui l'emporte. Si c'est l'État, il subordonne et contraint l'Église. Si c'est l'Église, elle possède l'État, et par l'État la société. La civilisation, qui s'est confiée, pour se développer et marcher, à un pouvoir tout-humain et mobile comme elle, se réveille enchaînée à l'autel immobile du prêtre. Ou elle cesse de marcher, ou elle marche en arrière. La religion, justement jalouse et tyrannique, car sa foi lui ordonne la conquête et la garde des âmes, emploie la main du pouvoir politique à extirper ou à étouffer tous les germes de nouveautés qui peuvent éclore dans l'esprit humain. Toute philosophie est une menace pour elle, tout examen est un danger, tout symbole est un attentat, toute tentative de culte libre est une sédition de la pensée. Livres, temples, enseignement, chaires, tribunes, association, tout se ferme par la loi, ou par l'interprétation de la loi de l'État, à l'innovation religieuse. Il faut croire ce que croit l'Église nationale, ou ne rien croire. De la foi légale à l'absence totale de foi et de culte il n'y a pas d'intermédiaire. Dieu ferait éclater sur la terre et dans le ciel une nouvelle révélation, que cette révélation trouverait la puissance de l'État entre l'homme et Dieu; et si la révélation nouvelle ne commençait pas sur une |