Imej halaman
PDF
EPUB

auquel j'appartiens par mes sentiments; je dirai aux ministres eux-mêmes, auxquels j'ai donné, et auxquels, malgré un dissentiment passager, je serais heureux de continuer l'adhésion la plus complète; je leur dirai : « On vous adresse depuis quelques jours, et de toutes parts, mais surtout de ce côté de l'assemblée, les adjurations les plus pathétiques. On vous conjure d'oublier toutes les distances qui vous séparent, toutes les rancunes du passé, tous les ressentiments parlementaires, et de venir confondre vos votes en un seul vote patriotique pour la défense du territoire et du pays. »

Messieurs, si des adjurations semblables sortaient de la bouche d'un de ces hommes de l'opposition que je vous signalais tout à l'heure; si, abjurant des préjugés qu'ils ont peut-être envers la majorité; si, sacrifiant des ressentiments, ils venaient vous dire à cette tribune: « Nous vous apportons notre voix, et nous vous conjurons d'y unir la vôtre, pour élever ce grand monument, ce monument que des préjugés patriotiques les plus légitimes jugent indispensable à notre pays, » il y aurait là une grande puissance; Messieurs, il y aurait là une émotion, une grande conviction qui, si elle n'entraînait pas la vôtre, ne pourrait pas, du moins, ne pas entraîner notre estime et nos cœurs. Mais est-ce de la part de pareils hommes que ces adjurations à la concorde et à un vote commun vous arrivent? Non, et ne l'oubliez pas, quelle que soit, et j'aime à le reconnaître, la réalité du patriotisme qui anime tout le monde dans cette assemblée, et qui a été l'inspiration de cette pensée que je trouve malheureuse, mais que je ne cesse pas d'estimer pour cela, quelle que soit cette pensée, ces hommes sont-ils complétement désintéressés, quand ils vous demandent de venir ratifier et sanctionner cette loi dans l'urne? (Vive emotion.)

Non, ils ne le sont pas ; ils ne sont pas aussi désintéressés qu'ils voudraient l'être eux-mêmes, car leurs paroles seraient plus puissantes sur vos consciences. Non, ils ne sont pas désintéressés, car cette loi qu'ils vous demandent, c'est leur jugement; car cette loi qu'ils vous proposent de voter, c'est le bill d'indemnité pour leurs actes. Que dis-je ! c'est le bill de patriotisme et de gloire qu'ils viennent demander à la Chambre de leur décerner. (Sensations diverses.)

Eh bien! prenez-y garde (Mouvement); réfléchissez profondément avant d'accorder ce grand bill d'indemnité qu'on vous demande pour une pensée qui ne fut pas d'abord la pensée de la majorité, qui ne fut pas conçue dans son sein, qui ne fut pas apportée, commencée par elle. Réfléchissez profondément, donnez du temps à cette pensée, donnez de la lumière et de l'air à votre conscience avant de vous prononcer. Craignez un piége sous ce patriotisme suspect.

Songez, et c'est par là que je finis, songez que ce projet, que moi je trouve périlleux, que ce projet, que moi je trouve funeste à la conservation même, à l'agrandissement de notre nationalité; songez que ce projet vous fut présenté par des adversaires politiques; songez que ce projet est défendu au dehors par vos plus implacables et par vos plus mortels ennemis. (Mouvement.)

Adoptez l'amendement que nous vous apportons pour atténuer les dangers de la loi. Ou, si des motifs que je respecte vous empêchent même d'en adopter une partie quelconque, apportez, dans le doute, le plus de boules noires possible à un projet conçu sous les auspices de la précipitation et de l'agitation, à un projet qui renferme les dangers les plus sérieux pour un peuple libre les possibilités du despotisme et les espérances des factions. (Très-bien! très-bien!)

LETTRES A M. DE GIRARDIN

SUR

LA PROPRIÉTÉ LITTÉRAIRE

Février 1841.

Le gouvernement avait présenté un projet de loi sur la propriété littéraire. M. de Lamartine avait été nommé président de la commission chargée de l'examen de ce projet. Avant la discussion à la Chambre, M. de Girardin ayant contesté, dans le journal la Presse, le droit naturel de la propriété littéraire, M. de Lamartine lui répondit par les deux lettres suivantes, en contradiction de cette opinion.

I.

MONSIEUR,

Votre journal m'a toujours traité avec tant de faveur que je ressens plus qu'une peine d'esprit quand il exprime des idées qui, selon moi, manquent d'une complète justesse. Combattre les erreurs de ses adversaires, c'est le plaisir de la lutte intellectuelle. Réfuter les erreurs de ses amis, c'est la peine de cette lutte, mais c'est aussi son mérite. Emprunter leur journal pour leur répondre, c'est leur prouver par le fait qu'on croit plus à leur générosité qu'à leur système.

Je vous demande donc place pour quelques lignes. C'est trop peu pour répondre à la lettre très-remarquable que vous

m'avez adressée dans votre journal d'aujourd'hui. Mais c'est assez pour vous indiquer en quoi nous différons. La tribune le développera mieux encore.

Vous résumez ainsi les objections de ceux qui contestent le droit naturel de la propriété littéraire, et vous relevez suffisamment votre pensée personnelle en disant à la fin de votre article que l'avantage n'est pas resté à ceux qui veulent la consacrer en droit légal.

Reconnaître la propriété littéraire, dites-vous, ce serait :
Établir un impôt sur la librairie;

Augmenter la valeur vénale des livres et nuire à la diffusion. des lumières;

Exposer une nation à se voir privée des ouvrages les plus utiles par l'avidité, le caprice, ou les préjugés d'un individu; Donner une prime à la réimpression étrangère;

Susciter des difficultés gênantes au commerce de la librairie, qui ne saurait plus, au bout de quelques générations, où aller chercher les propriétaires des ouvrages qu'elle voudrait réimprimer;.

Ébranler enfin les principes immuables de toute propriété. Je réponds paragraphe par paragraphe.

1o Reconnaître la propriété littéraire, ce serait établir un impôt sur la librairie. C'est exactement comme si vous disiez : Reconnaître la propriété du champ, c'est établir un impôt sur l'ouvrier qui le féconde, sur le commerçant qui en achète le blé pour le revendre, et sur le consommateur qui en fait son pain. La parité est absolue. Je n'en dis pas davantage. Les comparaisons sont le miroir des choses. Quand l'image est fausse, l'axiome n'est pas vrai. Socrate ne répondait pas autrement.

:

[ocr errors]

2o Ce serait augmenter la valeur vénale des livres et nuire à la diffusion des lumières? C'est encore comme si vous disiez La propriété d'un champ nuit à son exploitation, en fait enchérir les produits, et amène la disette. L'expérience et l'économie politique vous répondent pour moi que la propriété est partout le meilleur stimulant à la production et à la multiplication des fruits du champ qu'elle possède; que les terres qui appartiennent à tous ne rendent rien ou presque rien à personne; que les communaux sont en friche, et que le blé n'est

nulle part aussi rare et aussi cher que là où la terre est à tout le monde. Vous êtes économiste, je n'ai pas besoin de vous dire pourquoi ce phénomène est un fait, et comment ce fait anéantit votre objection à la propriété des œuvres de l'écrivain.

3o Ce serait exposer une nation à se voir privée des ouvrages les plus utiles, par l'avidité, le caprice ou les préjugés d'un individu? — Vous voulez dire que les héritiers de Newton ou de Racine pourraient, s'ils étaient propriétaires de la science ou de la poésie de ces deux grands hommes, interdire aux libraires d'en faire des éditions? Je ne réponds pas à cet argument, car nous n'admettons pas le fait. Toute loi sur la propriété reconnaît avant tout la propriété sociale, dont la propriété des familles n'est qu'une dérivation. Le droit d'expropriation avec indemnité pour cause d'utilité publique existe pour le champ; nous le constituons pour la pensée. Rien n'est plus facile que de la régler. Toutes les fois qu'un certain laps de temps se sera écoulé sans que des éditions de tel ouvrage aient été faites et épuisées, l'imprimeur qui se présentera avec des offres réelles sera autorisé à réimprimer ledit ouvrage et le prix remis aux propriétaires.

4o Ce serait donner une prime à la réimpression étrangère? Mais la question de contrefaçon est étrangère à celle de propriété. Et d'ailleurs ici encore le fait vous répond : Qui contrefait-on à Bruxelles? Est-ce Corneille? Racine? Fénelon? Lafontaine? Pascal? tous ces ouvrages tombés dans le domaine public en France et pour la réimpression desquels les libraires n'ont rien à payer aux familles des auteurs? Pas le moins du monde. On contrefait les écrivains morts hier ou vivants aujourd'hui et de qui nos libraires acquièrent le privilége de les éditer. Vous voyez donc bien que ce n'est pas l'immunité de subvention des libraires français aux écrivains ou à leurs familles qui est ou qui sera la cause des contrefaçons. Cette quotepart des auteurs dans le prix commercial de leurs œuvres est un chiffon imperceptible qui disparaît dès la troisième ou quatrième édition dans la valeur vénale de l'exemplaire. La contrefaçon ne s'attache qu'à la vogue. Le temps seul a la vogue. L'immortalité marche à pas plus lents.

5o Ce serait susciter des difficultés au commerce de la

« SebelumnyaTeruskan »