originale sur laquelle la contrefaçon a été commise, l'amende accrue et l'emprisonnement en cas de récidive, ont été conservés ou insérés au projet. Si des peines trop fortes découragent la justice du juge, des peines trop faibles découragent l'industrie et décréditent la propriété. Placés entre ces deux écueils, nous avons voulu qu'un délit d'autant plus coupable qu'il est toujours prémédité, d'autant plus nécessaire à frapper quand il se montre qu'il est toujours commis dans l'ombre, fût atteint non-seulement par le déshonneur qu'il brave mais aussi par la réparation, à laquelle il a trop longtemps échappé. La loi s'est fait d'avance l'arbitre des dommages et intérêts; elle les fixe à la valeur de l'édition qu'on a voulu contrefaire et qu'on a contrefaite c'est la loi du talion la mieux justifiée par l'intention du contrefacteur et par le dommage à l'éditeur; c'est le poids exact de la réparation mis dans la balance du juge contre le poids exact du délit. La Chambre décidera si une disposition si juste ne doit pas être une disposition légale. S'il y a danger à écrire dans la loi ce qui est arbitraire, il n'y a jamais danger à écrire ce qui est juste. La loi de 1793 arbitrait d'avance à la valeur de trois mille exemplaires le dommage présumé d'une contrefaçon; c'était moins juste et plus sévère. Mais tandis que nous faisions le code de la propriété littéraire pour la France, l'urgence d'un code international de cette nature de propriété se révélait de toutes parts, et par les plaintes de notre industrie lettrée, et par les catastrophes de notre librairie, et par le cri unanime de réprobation qui s'élève dans toute l'Europe contre ces dilapidations des propriétés nationales, des propriétés industrielles et des propriétés privées, que le silence du droit public autorisait sans doute, mais qui, pour être un droit de tous contre tous, n'en sont pas moins un scandale de la civilisation. A peine un livre est-il imprimé à Londres, à Vienne, à Paris, que des contrefacteurs étrangers s'en emparent, et que, sans avoir à subir ni des conditions de fisc ou du travail national, ni les avances des éditeurs originaux, ni le droit d'auteur, ils les réimpriment sous tous les formats, se substituent aux droits onéreusement acquis par les éditeurs, et inondent l'Europe et l'Amérique de cette contrebande de la pensée, d'autant plus avantageuse pour eux que ce commerce équivoque n'a rien d'aléatoire, et qu'il n'agit que sur des livres dont le succès est déjà fait et le débit par conséquent assuré. C'est par là que l'industrie littéraire des grandes nations fuit de toutes parts, et que leur librairie spoliée dans ses foyers naturels devient le privilége et le monopole d'une industrie cosmopolite, qui exploite à son profit une propriété banale que l'incurie et l'injustice des grands États leur ont trop longtemps livrée. La spoliation de cette industrie, quant à la France, ne s'élève pas à moins de huit à dix millions par an. Cet abus non moins nuisible aux lettres que mortel au commerce, a frappé à la fois tous les gouvernements. Les plus petits ont senti les premiers le mal; ils ont compris qu'une propriété qui cessait à la frontière, quand cette frontière était rapprochée, n'existait que de nom. Quelle pouvait être la rémunération d'un auteur ou d'un libraire à Rome, à Florence, à Parme, quand on pouvait le réimprimer sans fraude à Naples, à Turin, à Modène, à Milan? Il en était de même en Allemagne. Les petits États ne pouvaient plus écrire, les grands États le pouvaient encore. Leur industrie, protégée d'abord par une plus grande masse de consommateurs nationaux, n'a pas tardé à leur être dérobée. Les choses en sont là; tout le monde se plaint, tout le monde réclame un droit international nécessaire à instituer pour tous. On a commencé de voisin à voisin; les États d'Italie, à l'exception de Naples, ont fondé d'abord la perpétuité de la propriété littéraire en faveur des auteurs et de leurs héritiers ; ils ont proclamé de plus l'internationalité de la propriété des livres le contrefacteur de l'ouvrage publié chez l'un de ces peuples sera poursuivi et puni chez tous. L'Allemagne est entrée dans la même voie; la contrefaçon intergermanique y est prohibée. L'Angleterre, la Russie, l'Autriche, la France, émues par des idées d'équité générale plus que par des intérêts à peu près égaux, se montrent disposées à écrire partout ce droit public d'une propriété de plus. Le bill anglais du 31 juillet 1838 l'a déjà formellement écrit. Nous avons, nous nation éminemment littéraire, deux moyens de hâter ce concert des gouvernements, qui, pour être efficace, doit être ou devenir unanime: la riva lité ou l'initiative, la contrefaçon autorisée chez nous des nations qui nous contrefont, ou la proclamation morale et généreuse du respect de la propriété des autres chez nous avant même que ce principe soit proclamé à notre bénéfice chez toutes les nations. L'équité naturelle dont il est toujours glorieux d'être les précurseurs, et les intérêts les mieux éclairés sur ce qui les concerne, les écrivains, les imprimeurs, les libraires étaient ici d'accord, et nous demandaient avec instance et avec unanimité la proclamation, même téméraire et gratuite, d'un grand principe de moralité, et plus élevé au-dessus des rivalités nationales. Votre commission rendait hommage à ce sentiment et le partageait. Toutefois, elle n'a pas cru devoir désarmer le gouvernement de cette valeur de la réciprocité à faire peser dans des négociations prochaines. La proclamation gratuite d'un grand principe de propriété internationale lui a paru d'autant plus assurée, que la France, en le demandant à toute l'Europe, aurait des avantages à offrir aux gouvernements qui voudraient y accéder. C'est par le petit nombre de dispositions prévoyantes, améliorées encore par la discussion de la Chambre, que vous manifesterez votre sollicitude pour ces divers domaines de la pensée. Ces nobles ouvriers de l'esprit qui se sont toujours plaints de l'ingratitude de la loi, n'auront plus désormais à se plaindre que d'eux-mêmes. Vous leur aurez donné tout ce qu'une législation peut donner, la justice, la rémunération par les œuvres, la sécurité, un modeste et trop court avenir. La loi ne peut que cela. Dieu seul donne le génie; le génie ne donne que la gloire; le travail seul donne la fortune. L'Europe entière en ce moment est inspirée de la même pensée; il appartenait à la France de devancer l'Europe. Sa grande place dans le monde lui a été destinée par la main de ses artistes, par la plume de ses écrivains, plus large et plus incontestée que par l'épée même de ses soldats. Pouvait-elle laisser dans la négligence et dans la spoliation ces puissances de la pensée qui lui ont conquis tant d'empire sur l'esprit humain? L'ingratitude peut profiter à la gloire, car elle la rend plus touchante, mais elle n'enrichit jamais les nations. Que ne devons-nous pas à ces hommes dont nous avons laissé si longtemps dilapider l'héritage? Cinq ou six noms immortels sont toute une nationalité dans le passé. Poëtes, philosophes, orateurs, historiens, artistes, restent dans la mémoire l'éclatant abrégé de plusieurs siècles et de tout un peuple. Montaigne joue en sceptique avec les idées, et les remet en circulation en les frappant du style moderne. Pascal creuse la pensée, non plus seulement jusqu'au doute mais jusqu'à Dieu. Bossuet épanche la parole humaine d'une hauteur d'où elle n'était pas encore descendue depuis le Sinaï. Racine, Molière, Corneille, Voltaire, trouvent et notent tous les cris du cœur de l'homme. Montesquieu scrute les institutions des empires, invente la critique des sociétés et formule la politique; Rousseau la passionne, Fénelon la sanctifie, Mirabeau l'incarne et la pose sur la tribune. De ce jour, les gouvernements rationnels sont découverts, la raison publique a son organe légal, et la liberté marche au pas des idées à la lumière de la discussion. Mœurs, civilisation, richesse, influence, gouvernement, la France doit tout à ces hommes; nos enfants devront tout peut-être à ceux qui viendront après eux. Le patrimoine éternel et inépuisable de la France, c'est son intelligence; en en livrant la généreuse part à l'humanité, en s'en réservant à elle - même cette part glorieuse qui fait son caractère entre tous les peuples, le moment n'était-il pas venu d'en constituer en propriété personnelle cette part utile qui fait la dignité des lettres, l'indépendance de l'écrivain, le patrimoine de la famille et la rétribution de l'État? Permettez-moi d'ajouter que la constitution sérieuse et légale de la propriété littéraire, artistique, industrielle, est un fait éminemment conforme à ces principes démocratiques, qui sont la nécessité et le labeur de notre temps. Cette nature de propriété porte avec soi tout ce qui manque aux démocraties. C'est de l'éclat sans privilége; c'est du respect sans contrainte; c'est de la grandeur pour quelques-uns, sans abaissement pour les autres: on a supprimé la noblesse, mais on n'a pas supprimé la gloire. Ce don éclatant de la nature est, comme les autres |