« suet. C'est le règne du libre examen, de la connais· <«<sance, comme la période antérieure est celle de l'amour « et du sentiment, comme celle qui avait précédé est la « période de la sensation et de l'activité. Là finit le <«< christianisme, et là commence l'ère d'une nouvelle « religion. Ne cherchons donc plus la vérité absolue << dans l'application littérale des Évangiles, mais dans le << développement des révélations de toute l'humanité « antérieure à nous. Le dogme de la Trinité est la reli<< gion éternelle; la véritable compréhension de ce dogme « est éternellement progressive. Nous repasserons éter<< nellement peut-être par ces trois phases de manifes<< tations de l'activité, de l'amour et de la science, qui << sont les trois principes de notre essence même, puis<«< que ce sont les trois principes divins que reçoit chaque « homme venant dans le monde, à titre de fils de Dieu. « Et plus nous arriverons à nous manifester simultané<<ment sous ces trois faces de notre humanité, plus « nous approcherons de la perfection divine. Hommes <«< de l'avenir, c'est à vous qu'il est réservé de réaliser « cette prophétie, si Dieu est en vous. Ce sera l'œuvre « d'une nouvelle révélation, d'une nouvelle religion, « d'une nouvelle société, d'une nouvelle humanité. Cette << religion n'abjurera pas l'esprit du Christianisme, mais « elle en dépouillera les formes. Elle sera au Christia«nisme ce que la fille est à la mère, lorsque l'une << penche vers la tombe et que l'autre est en plein dans << la vie. Cette religion, fille de l'Évangile, ne reniera «< point sa mère, mais elle continuera son-œuvre; et ce «< que sa mère n'aura pas compris, elle l'expliquera; ce « que sa mère n'aura pas osé, elle l'osera; ce que sa « mère n'aura fait qu'entreprendre, elle l'achèvera. Ceci « est la véritable prophétie qui est apparue sous un voile << de deuil au grand Bossuet, à son heure dernière. Tri « nité divine, reçois et reprends l'être de celui que tu as « éclairé de ta lumière, embrasé de ton amour, et créé <«< de ta substance même, ton serviteur Spiridion. » ༥ Alexis replia le manuscrit, le plaça sur sa poitrine, croisa ses mains dessus, et resta plongé dans une méditation profonde. Une grande sérénité régnait sur son front. Je restai à ses côtés immobile, attentif, épiant tous ses mouvements, et cherchant dans l'expression de sa physionomie à comprendre les pensées qui remuaient son âme. Tout à coup je vis de grosses larmes rouler de ses yeux et inonder son visage flétri, comme une pluie bienfaisante sur la terre altérée. « Je suis bien heureux! me dit-il en se jetant dans mon sein. O ma vie! ma triste vie! ce n'était pas trop de tes douleurs et de tes fatigues pour acheter cet ineffable instant de lumière, de certitude et de charité! Charité divine, je te comprends enfin! Logique suprême, tu ne pouvais faillir! Ami Spiridion, tu le savais bien quand tu me disais Aime et tu comprendras! O ma science frivole! ô mon érudition stérile! vous ne m'avez pas éclairé sur le véritable sens des Écritures! C'est depuis que j'ai compris l'amitié, et par elle la charité, et par la charité l'enthousiasme de la fraternité humaine, que je suis devenu capable de comprendre la parole de Dieu. Angel, laisse-moi ces manuscrits pendant le peu d'heures que j'ai encore à passer près de toi; et, quand je ne serai plus, ne les ensevelis point avec moi. Le temps est venu où la vérité ne doit plus dormir dans les sépulcres, mais agir à la lumière du soleil et remuer le cœur des hommes de bonne volonté. Tu reliras ces Évangiles, mon enfant, et en les commentant, tu rapprendras l'histoire; ton cerveau, que j'ai rempli de faits, de textes et de formules, est comme un livre qui porte en soi la vie, et qui n'en a pas conscience. C'est ainsi que, durant trente ans, j'avais fait de ma propre intelligence un parchemin. Celui qui a tout lu, tout examiné sans rien comprendre, est le pire des ignorants; et celui qui, sans savoir lire, a compris la sagesse divine, est le plus grand savant de la terre. Maintenant, reçois mes adieux, mon enfant, et apprête-toi à quitter le cloître et à rentrer dans la vie. -Que dites-vous? m'écriai-je; vous quitter? retourner au monde? Est-ce là votre amitié? sont-ce là vos conseils? -Tu vois bien, dit-il, que c'en est fait de nous. Nous sommes une race finie, et Spiridion a été, à vrai dire, le dernier moine. O maître infortuné, ajouta-t-il en levant les yeux au ciel, toi aussi tu as bien souffert, et ta souffrance a été ignorée des hommes. Mais Dieu t'a reçu en expiation de tes erreurs sublimes, et il t'a envoyé, à tes derniers instants, l'instinct prophétique qui t'a consolé; car ton grand cœur a dû oublier sa propre souffrance en apercevant l'avenir de la race humaine tourné vers l'idéal. Ainsi donc je suis arrivé au même résultat que toi. Quoique ta vie ait été consacrée seulement aux études théologiques, et que la mienne ait embrassé un plus large cercle de connaissances, nous avons trouvé la même conclusion; c'est que le passé est fini et ne doit point entraver l'avenir, c'est que notre chute est aussi nécessaire que l'a été notre existence; c'est que nous ne devons ni renier l'une, ni maudire l'autre. Eh bien, Spiridion, dans l'ombre de ton cloître et dans le secret de tes méditations, tu as été plus grand que ton maître car celui-ci est mort en jetant un cri de désespoir et en croyant que le monde s'écroulait sur lui; et toi tu t'es endormi dans la paix du Seigneur, rempli d'un divin espoir pour la race humaine. Oh! oui, je t'aime mieux que Bossuet; car tu n'as pas maudit ton siècle, et tu as noblement abjuré une longue suite d'illusions, incertitudes respectables, efforts sublimes d'une âme ardemment éprise de la perfection. Sois béni, sois glorifié: le royaume des cieux appartient à ceux dont l'esprit est vaste et dont le cœur est simple. >> Quand il eut parlé ainsi, il m'imposa les mains et me donna sa bénédiction; puis; se mettant en devoir de se lever: « Allons, dit-il, tu sais que l'heure est venue. - Quelle heure donc, lui dis-je, et que voulez-vous faire? Ces paroles ont déjà frappé mon oreille cette nuit, et je croyais avoir été le seul à les entendre. Dites, maître, que signifient-elles? - Ces paroles, je les ai entendues, me répondit-il; car, pendant que tu descendais dans le tombeau de notre maître, j'avais ici un long entretien avec lui. -Vous l'avez vu? lui dis-je. - Je ne l'ai jamais vu la nuit, mais seulement le jour, à la clarté du soleil. Je ne l'ai jamais vu et entendu en même temps: c'est la nuit qu'il me parle, c'est le jour qu'il m'apparaît. Cette nuit, il m'a expliqué ce que nous venons de lire et plus encore; et, s'il t'a ordonné d'exhumer le manuscrit, c'est afin que jamais le doute n'entrât dans ton âme au sujet de ce que les hommes de ce siècle appelleraient nos visions et nos délires. — Délires célestes, m'écriai-je,- et qui me feraient haïr la raison, si la raison pouvait en anéantir l'effet! Mais ne le craignez pas, mon père; je porterai à jamais dans mon cœur la mémoire sacrée de ces jours d'enthousiasme. — Maintenant, viens! dit Alexis en se mettant à marcher dans sa cellule d'un pas assuré, et en redressant son corps brisé, avec la noblesse et l'aisance d'un jeune homme. Eh quoi! Vous marchez ! Vous êtes donc gueri! lui dis-je; ceci est un prodige nouveau. -La volonté est seule un prodige, répondit-il, et c'est la puissance divine qui l'accomplit en nous. Suis-moi, je veux revoir le soleil, les palmiers, les murs de ce monastère, la tombe de Spiridion et de Fulgence; je me sens possédé d'une joie d'enfant; mon âme déborde. Il faut que j'embrasse cette terre de douleurs et d'espérances où les larmes sont fécondes, et que nos genoux fatigués de prières n'ont pas creusée en vain. >> Nous descendimes pour nous rendre au jardin; mais en passant devant le réfectoire où les moines étaient rassemblés, il s'arrêta un instant, et jeta sur eux un regard de compassion. En voyant debout devant eux cet Alexis qu'ils croyaient mourant, ils furent saisis d'épouvante, et un des convers qui les servait et qui se trouvait près de la porte, murmura ces mots : << Les morts ressuscitent, c'est le présage de quelque malheur. Oui, sans doute, répondit Alexis en entrant dans le réfectoire par l'effet d'une subite résolution, un grand malheur vous menace. » Et parlant à haute voix, avec un visage animé de l'énergie de la jeunesse, et les yeux étincelants du feu de l'inspiration: « Frères, dit-il, quittez la table, n'achevez pas votre pain, déchirez vos robes, abandonnez ces murs que la foudre ébranle déjà, ou bien préparez-vous à mourir! » Les moines, effrayés et consternés, se levèrent tumultueusement, comme s'ils se fussent attendus à quelque prodige. Le Prieur leur commanda de se rasseoir. « Ne voyez-vous pas, leur dit-il, que ce vieillard est en proie à un accès de délire? Angel, reconduisez-le a |