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les souffrances du peuple sacrifié; quand la Prusse se sera convenablement amendée, il paraît très-probable qu'on essayera d'élever, sur les fondations encore debout de la Sainte-Alliance, une construction plus légère et mieux appropriée aux exigences de l'époque. Cela découle de la logique des choses. L'absolutisme est impossible, et dans l'état politique où se trouve l'Europe, la liberté ne l'est pas moins. Entre l'absolutisme et la liberté, n'y a-t-il pas place pour un pseudo-libéralisme s'accordant fort bien avec les principes de la démocratie moderne, et pouvant contenter aussi les partisans les plus absolus de l'ordre le plus silencieux? Il est inutile de nous appesantir davantage sur ce sujet, nous en avons dit assez pous nous faire comprendre; nous rappellerons seulement aux vrais amis de la liberté, que ce régime-là lui sera plus funeste que le franc despotisme de la Sainte-Alliance; car si ce dernier sème la révolution, l'autre étend la torpeur et flétrit la liberté dans son germe. Le premier étouffe avec son bâillon, le second laisse la respiration libre..... au sein d'une atmosphère asphyxiante. Et, nous le répétons, ce système sera une nécessité de la situation.

C'est donc pour sauver la liberté qui court le risque de se voir indéfiniment reculée par l'établissement d'un système de libéralisme oppresseur, c'est pour lui assurer un fondement solide dans une alliance continentale vraiment libérale, que le rétablissement de la Pologne dans ses limites de 1772 est indispensable. Les esprits généreux et sincèrement libéraux qui, tout en croyant que la liberté souffrirait de la guerre, n'en demandent pas moins la guerre, font, à notre avis, un calcul plus juste qu'ils ne pensent. La cause de la Pologne et celle de la liberté sont indissolubles depuis des siècles; ce n'est pas aujourd'hui qu'elles se sépareraient. Du désastre seul de la Pologne peut sortir pour la liberté quelque chose de plus funeste qu'une défaite, — la dégradation.

XXIV.

Nous croyons pouvoir nous dispenser de parler ici des avantages que la France retirerait de cette guerre, tant sous le rapport de l'équilibre rétabli, et des traités de Vienne annulés, que de l'ordre social et de la paix assurés. Ces sujets ont souvent été traités ailleurs. Qu'on nous permette seulement de rappeler les paroles que M. Billault prononçait le 19 mars devant le sénat et qu'on doit envisager comme une promesse solennelle de la France. « Les traités de 1815, disait-il, ne sont pas une solution. Ils ont posé la situation dans des termes qui ne peuvent coexister; ils ont accolé une nation qui avait joui des libertés les plus extrêmes à une autre nation qui ne s'en doutait pas encore; ils ont placé sous le même sceptre des hommes conseillant la liberté et la voulant, et des hommes qui l'ignoraient et ne la voulaient pas encore; ils ont mis tout un peuple dans la condition forcée de s'insurger si les concessions promises étaient faibles, et si elles étaient larges d'en tirer plus de force encore pour l'insurrection.... Il y a là malheureusement, ajoutait-il, un peuple qui ne peut ni mourir ni vivre dans les conditions qui lui sont faites; évidemment il faut aviser. » Ces paroles nous sont ga. rantes que la France avisera, et que si, avec son aide, nous parvenons à changer les conditions qui nous sont faites, ce sera pour «pouvoir vivre », et non pour « pouvoir mourir. » Ce serait en vérité une triste chose pour la France si elle n'avait pas la puissance, nous ne disons plus de faire la guerre, mais même de reconnaître et de faire reconnaître nos droits par l'Europe. Oui, il serait bien

triste, si, après avoir pendant vingt ans regardé comme belligérantes les légions polonaises qui combattaient à ses côtés sur les champs de bataille du monde entier, elle ne pouvait même pas aujourd'hui, sous un successeur de Napoléon, faire reconnaître comme belligérants les soldats de la Pologne parce qu'ils sont faibles et isolés.

Aussi est-ce en vain que l'on essaye de prouver que le rôle de la France est fini sitôt que les refus de l'Angleterre et les réticences de l'Autriche sont parvenus à embarrasser ses premiers pas. En vain voudrait-on dégager la responsabilité de la France en affirmant que par ses soins la question est devenue européenne, comme si elle ne l'était pas lorsque Talleyrand et Metternich la reconnaissaient comme telle. En vain voudrait-on prétendre que sa généreuse initiative est un témoignage suffisant de sa bonne volonté, et qui la dispense d'aller plus loin. Tant que la Pologne n'est pas libre rien n'est fait, et aussi longtemps que l'Europe ne lui a pas assuré les « conditions d'une paix durable », toutes les démarches ne servent qu'à l'enfoncer plus profondément dans le gouffre. On essaye par des sophismes indignes de l'Europe et de la France de représenter les efforts infructueux de la diplomatie comme des actes pouvant satisfaire la consience publique! Pense-t-on seulement, en le disant, à la portée définitive qu'ont eue ces efforts? Ils ont fait faire à l'Europe entière, nous l'avons d'ailleurs dit, un acte plus honteux que celui de 1815. Par son action diplomatique, l'Europe a reconnu sans conditions le partage de la Pologne. Et la Russie prouve qu'elle ne l'entend pas autrement, puisqu'elle vient d'aborder résolûment le plan du démembrement et de l'incorporation à l'empire du royaume érigé en 1815, en détachant de celui-ci le palatinat d'Augustow. En vérité, si nous avions un conseil à donner à la diplomatie, nous ne l'engagerions pas à réclamer contre

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cette violation des traités. Elle fournirait au prince Gort chakoff une nouvelle occasion d'exercer l'ironie et l'insulte. De même que pour les << institutions représentatives et nationales » abandonnées selon lui au bon plaisir du tsar, il répondrait peut-être que c'est ainsi que la Russie applique ce passage du traité, où Alexandre s'était « réservé de donner au royaume l'extension qu'il jugerait convenable. Le ministre russe n'a-t-il pas déjà établi en principe le droit de chacun d'interpréter et d'appliquer les traités à sa convenance, sauf à être couvert par les ambiguïtés de la lettre?

Tel est, à côté de la recrudescence de barbarie dans la répression, le fruit des efforts de la diplomatie. Y a-t-il là de quoi se faire un mérite devant l'opinion? L'Europe entière se laissera-t-elle persuader que la France puissante comme elle est, ne peut pas venir à bout des réticences de ses alliés? Croira-t-elle que la France n'a pas de garanties à leur donner contre l'esprit de conquête qu'on lui suppose, et contre le prestige malsain qu'exerce sur elle l'alliance de la Russie, avec ses perspectives de domination, d'absolutisme et de profits? Eh non! le sentiment public le proclame : l'initiative dans cette grande question appartient exclusivement à la France. Car seule elle est à même de pouvoir ne pas se soucier du courroux des tsars, en même temps qu'elle a de puissants intérêts dans cette cause, et des obligations d'honneur envers la Pologne. Si la France abdique le rôle qui lui appartient, elle portera, malgré tous ses efforts, la plus grande part de responsabilité dans la perte que subira la civilisation par le désastre de la Pologne.

XXV.

Des trois puissances intervenantes l'Angleterre semble être celle qui a le moins d'intérêts directs dans la question polonaise. Isolée par l'Océan, assez puissante pour souffrir patiemment l'insulte, elle peut se borner, dit-on, à n'éprouver pour les malheurs des autres que des sympathies platoniques, dont l'effet se réduit à une bienveillance stérile. C'est là du moins ce que l'on se représente généralement. Eh bien! dans le fond, il n'en est pas ainsi. Dans le fond, ce qui se passe sur le continent n'est pas indifférent à l'Angleterre, et c'est, croyons-nous, une bien misérable voie que celle où l'engage sa politique actuelle, toute couronnée de succès qu'elle puisse paraître pour le moment. Non, il ne lui est pas indifférent de voir une France animée de l'esprit de conquête comme elle l'était sous Napoléon Ier, ni une Russie entreprenante et dominatrice comme sous Nicolas. Lorsqu'au lendemain de la chute de l'empire, l'Angleterre signait contre la Russie un traité défensif qui pouvait amener une coalition et la guerre, elle ne risquait pas, alors non plus, son sang et son or pour une idée; elle le faisait pour des intérêts. Seulement, alors, elle les entendait beaucoup mieux qu'aujourd'hui, et il est à présumer que lorsqu'elle aura retrouvé des hommes d'État de la trempe des Pitt et des Wellington, elle cessera de mesurer à l'aune ses intérêts de l'ordre le plus élevé ainsi que ceux de l'humanité.

On conçoit l'attachement de l'Angleterre pour un traité qui est son œuvre, mais on ne comprend pas que des hommes d'Etat s'obstinent à maintenir en Europe un organisme pourri, devenu impossible et condamné même par l'opinion de leur pays. En se plaçant au point de vue

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