pour ainsi dire l'ancienne Pologne de ses trois copartageants, sous le rapport commercial, et à recomposer l'unité nationale au moins dans ces termes, en garantissant « la liberté la plus illimitée en faveur du transit dans toutes les parties de l'ancienne Pologne » . Passons maintenant au sens du mot « constitution .. Bien que le traité de Vienne n'ait pas indiqué expressément le genre de constitution qui devait être octroyé au nouveau royaume de Pologne, l'esprit de ce traité, les négociations qui précédérent sa conclusion et les actes qui la suivirent ne laissent aucun doute à cet égard. C'est en vain que la Russie soutient que le mot de constitution n'est employé, dans l'article 1er, que dans le sens d'organisme politique, et qu'il s'y est introduit par inadvertance, ce dont il ne serait pas permis d'accuser même des élèves en diplomatie. Si le passage qui dit que le royaume sera lié à la Russie « par sa constitution » n'est pas tout à fait clair, il ne s'ensuit pas qu'il ne signifie rien. Que voudraient dire alors les expressions de régime constitutionnel ou de lien constitutionnel que l'on rencontre tantôt dans la proclamation d'Alexandre du 25 mai 1815, tantôt dans les dépêches de Razoumoffsky et de Nesselrode, et dans tout le cours des négociations ne se serait-il agi que pour la forme d'une constitution dans le sens politique de ce mot? Non, une constitution pour le royaume, et des institutions nationales pour les provinces polonaises de la Russie avaient été exigées par l'Europe comme compensation des avantages territoriaux que l'empereur Alexandre acquérait en s'attribuant le duché de Varsovie, ainsi que de l'avantage politique qui résultait pour lui par rapport aux autres copartageants, de ce qu'il se proclamait roi de Pologne. Il avait été question, en effet, de constituer trois royaumes de Pologne dans la crainte que s'il n'y en avait qu'un seul, il ne servît de centre d'attraction aux provinces polonaises de l'Autriche et de la Russie (1). On n'abandonna ce projet que parce que la constitution et les institutions que l'empereur promettait de donner au royaume et aux provinces semblaient devoir diminuer le danger en affaiblissant la force militaire de la Russie sur sa frontière occidentale par l'établissement de la liberté. C'est ce que confirme le passage suivant de la note du prince de Metternich au plénipotentiaire prussien, datée du 10 décembre 1814, où il est dit : « L'empereur n'ayant rien trouvé dans la note verbale de Votre Altesse sur la question constitutionnelle de Pologne, ni sur celle de la réunion des anciennes provinces polonaises réunies aux nouvelles acquisitions de la Russie, Sa Majesté me fait un devoir d'appeler l'attention du cabinet prussien sur un objet si essentiel. Les demandes que nous avons le droit de former à cet égard envers la Russie, résultent des engagements que l'empereur Alexandre a pris spontanément et de lui-même vis-à-vis de nous, pour compenser en quelque sorte le plus de prétentions à des acquisitions territoriales. » Le mot de « constitution » dans l'article 1o n'est donc ni un lapsus linguæ, ni une expression vague, empruntée au langage philosophique, et ayant besoin d'être définie par les mots « institutions nationales et représentatives », qui ont trait aux provinces. Mais alors quelle est cette constitution? Doit-elle être en tout point semblable à celle de l'Angleterre, ou doit-elle se modeler sur quelque type inférieur ? Dans toute législation, le plus simple et le plus juste moyen de dissiper les doutes qui peuvent s'élever sur le (1) Voyez le mémorandum du prince Metternich annexé à sa dépêche au prince Hardenberg, du 2 novembre 1814, sens précis d'une loi, est de s'en rapporter à l'intention du législateur, et dans toute jurisprudence cette intention a force de loi. Le législateur, dans le cas présent, c'est l'Europe, qui confia à Alexandre le soin d'interpréter ce point du traité, et qui avait, bien avant sa conclusion, contrairement aux affirmations du prince Gortchakoff, des données positives sur le sens de cette interprétation. En effet, l'acte final ne fut signé que le 9 juin, et dès le 13 mai, c'est-àdire quatre semaines auparavant, Alexandre avait signé les bases de la constitution future du royaume en instituant la commission chargée de l'élaborer (1). Alexandre fit donc de ce mot de « constitution » un commentaire contre lequel l'Europe n'éleva pas d'objections, et qu'elle considérait par conséquent comme le sens véritable du traité. Ce commentaire c'est la charte du 15/27 novembre 1815. En admettant même qu'il fût possible avant cette date d'attribuer des sens divers au passage du traité qui stipule une constitution, le doute, depuis, n'est plus permis. Depuis ce jour ce passage acquiert un sens précis : il signifie que le royaume sera lié à la Russie par la charte constitutionnelle du 27 novembre, et pas autre chose. C'est aussi la conclusion à laquelle arrive lord Russell dans sa dépêche du 11 août : « Une fois promulguée, dit-il, elle doit être (1) Ce fait si important, parce qu'il relie directement la charte du 27 novembre au traité de Vienne, est rapporté ainsi par un écrivain polonais: « Ces bases, dit-il, reposaient sur 37 articles, dont chacun contenait en quelque sorte une garantie qui devait être développée dans la charte elle-même. On y remarque la déclaration générale : que la charte sera assimilée autant que possible à celle du 3 mai 1791... On y remarque également cette clause importante qu'on ne voit plus dans la charte même que le grand livre de la constitution doit être regardé comme un lien unique et sacré qui unira dorénavant le royaume à l'empire de Russie. >>> (Coup d'œil sur l'état politique du royaume de Pologne, de 1815 à 1830, par un Polonais. Paris, 1832, p. 39.) réputée la constitution qu'avaient en vue les rédacteurs du traité de Vienne (1). » XI. En ce qui concerne les provinces lithuano-ruthéniennes, l'esprit du traité n'est pas moins explicite. Il accorde, il est vrai, une trop large confiance à la Russie comme aux autres copartageants, en les laissant juges suprêmes des formes qu'il leur conviendra de donner aux institutions (1) On nous permettra de rappeler à ce sujet le remarquable raisonnement de lord Palmerston dans sa dépêche du 23 novembre 1831 à lord Heytesbury: « Le traité de Vienne, y est-il dit, a déclaré que le royaume de Pologne serait lié à la Russie par sa constitution. En conséquence, l'empereur de Russie a donné cette constitution, et ce n'est certainement pas donner une interprétation forcée à l'esprit du traité, que de considérer cette constitution accordée, comme existant dès lors sous la sanction du traité. Mais on prétend que la même puissance qui a donné peut modifier ou même reprendre tout à fait. C'est là une assertion qui ne repose sur aucune preuve. La constitution une fois donnée a été l'anneau qui, d'après le traité, lie le royaume de Pologne à l'empire de Russie, et comment cet anneau peut-il rester intact si la constitution n'est pas conservée ? >> Si la constitution avait réservé au souverain le droit de la changer ou de la modifier, il n'y aurait alors aucune objection à faire à l'exercice d'un pouvoir qui lui aurait appartenu légalement. Mais la constitution se met en garde contre de tels actes de l'autorité exécutive. Elle déclare (art. 31) que la nation polonaise aura à perpétuité une représentation nationale qui consistera dans une diète composée d'un roi et de deux chambres. Elle déclare (art. 163) que les statuts organiques et les codes des lois ne pourront être modifiés ou changés que par le roi ou par les deux chambres; elle exige (art. 45) que chaque roi de Pologne prêtera serment devant Dieu et sur les Écritures saintes de maintenir et de faire exécuter de tout son pouvoir la charte constitutionnelle, et le 27 novembre 1815, l'empereur Alexandre octroya formellement cette constitution et déclara qu'il l'adoptait pour lui et ses successeurs. Telles sont les dispositions de la constitution qui indique l'autorité par laquelle les changements ou modifications peuvent être faits, représentatives et nationales garanties à ces provinces. Mais ce pouvoir n'est pas aussi limité que le pense la diplomatie russe; il trouve des bornes dans la nature même des choses. Si on laissait le geôlier juge de la nourriture qu'il doit fournir au prisonnier, cela ne voudrait pas dire, pensons-nous, qu'il serait libre de l'empoisonner ni même de le faire mourir de faim, surtout si on lui imposait l'obligation expresse de prolonger la vie du captif. Or le traité ne fait pas autre chose. Tout en abandonnant la forme des institutions au jugement de la Russie, il insiste sur le fond, et tout changement effectué arbitrairement par l'autorité exécutive seule, serait évidemment une violation de la constitution. >> Il paraît que plusieurs personnes supposent au gouvernement russe l'intention d'abolir la présente forme de gouvernement en Pologne, consistant dans une diète composée d'un roi et de deux chambres, et de substituer aux chambres des états provinciaux semblables à ceux qui ont été établis en Gallicie et dans quelques-unes des provinces de Prusse; et l'on prétend qu'un pareil changement laisserait à la Pologne encore une constitution suffisante pour satisfaire aux stipulations du traité de Vienne! Mais pourrait-on avec équité, et d'après la lettre et l'esprit du traité de Vienne, considérer qu'une semblable forme de gouvernement placerait la Pologne dans la position qu'elle avait en vue? Ce traité paraît indiquer clairement une différence marquée entre le système de gouvernement à établir dans ces parties de la Pologne qui avaient été annexées comme provinces à l'Autriche, à la Prusse et à la Russie pour être incorporées à leurs États respectifs, et la portion qui devait former le royaume séparé de Pologne, pour être placé comme tel sous le même souverain que la Russie, avec l'assurance de jouir de droits et priviléges distinctifs. Dans les premières provinces, en conséquence, l'octroi d'états provinciaux élait en parfaite conformité avec les droits à exercer par le souverain sur les provinces qui étaient incorporées à ses propres États, tandis que la constitution donnée au royaume de Pologne était appropriée à la position distincte et séparée dans laquelle il était placé vis-à-vis de l'empire de Russie. » (Extrait de la dépêche diplomatique de lord Palmerston à lord Heytesbury, ambassadeur d'Angleterre à Saint-Pétersbourg, du 23 novembre 1831, dans Recueil des traités de D'Angeberg, p. 892.) |