Il m'en souvient, et je vais vous le dire: ils coururent aux armes, ils formèrent quatre régiments, ils arrachèrent Louisbourg aux vétérans de la France. Mais, me crie-t-on encore, ils se sont portés à de graves excès! cela est vrai, et je ne veux pas me faire leur panégyriste; mais je veux du moins relever les erreurs fatales que l'obstination a fait prévaloir. N'a-t-on pas fermé à ces colons tout accès à la miséricorde et à la justice? On peut encore les prendre au mot sur leurs premières protestations. Savez-vous quelle est l'importance de l'Amérique? C'est un double marché où vous trouvez à la fois des consommateurs et des fournisseurs. Et ce double marché, si riche en productions navales, vous êtes au moment de le céder à votre rival héréditaire! si vous n'y prenez garde, l'Amérique, qui déjà vous a conduits à une guerre de quatre ans, vous conduira à la mort. C'est le propre du sage que de savoir s'arrêter à temps. Vous avez dépeuplé toute la Basse-Saxe, mais croyez-vous que quarante mille mercenaires allemands soient en état de tenir tête à dix mille Anglais libres? Ils peuvent ravager leur pays; le conquérir, jamais. Mais c'est vous qui dites: Nous voulons conquérir. Quoi? La carte de l'Amérique. Je me sens fort sur ce point, et me voici prêt à entrer en lice avec tout homme de guerre. Qu'avez-vous fait lorsque vous n'avez plus été assistés par vos flottes? Si vos troupes se rassemblent dans leurs quartiers d'hiver, elles y meurent de faim; si elles se dispersent, l'Américain les enlève. J'ai appris ce qu'il faillait penser des espérances du printemps et des promesses de l'hiver. Je connais les discours fastueux des ministres. Mais surviennent enfin les tempêtes de l'équinoxe. Les ministres vous disent que vous aurez une armée aussi forte que celle de l'année dernière, qui n'était pas assez forte. Vous n'avez encore acquis dans l'Amérique, que des cantonnements. Vous avez enseigné pendant trois années consécutives, l'art de la guerre aux colons. Ils se sont montrés d'habiles écoliers, et j'ose affirmer à vos seigneuries qu'il y a en Amérique un nombre suffisant d'officiers capables de commander les armées de tous les potentats de l'Europe. Vous avez envoyé trop de troupes dans vos colonies pour y faire la paix; pas assez pour y faire la guerre. Je suppose que vous en acheviez la conquète: qu'en résultera-t-il? Ferez-vous qu'ils vous respecteront? Ferezvous qu'ils vous aimeront? Ferez-vous qu'ils ne s'habilleront que de vos étoffes? Jamais. Ils vous rendront pour prix de cette guerre cruelle une haine irréconciliable. Il vous en coùtera douze millions de 1. sterling par an, pour donner l'Amérique à la France. Tous les avantages, tous les bénéfices seront pour elle, et la vieille Angleterre payera pour tous. Votre commerce languit, vos impôts s'aggravent, vos revenus diminuent: et pendant ce temps, la France accroît ses forces; elle attire à elle ce commerce qui formait vos matelots, qui alimentait vos îles, qui était le principal fondement de votre richesse, de votre prospérité et de votre puissance. On a tenté l'asservissement absolu: que l'on tente l'entier redressement des griefs. Le parlement fera voir ainsi que son esprit est incliné à la paix; et la voie de la conciliation sera ouverte. Les ministres affirment que les insurgés n'ont pas encore traité avec la France: je veux le croire; leur honneur est à couvert. Mais si demain l'on apprend que ce traité existe, demain il faut déclarer la guerre à la France, n'eussions - nous que cinq vaisseaux dans nos ports. Mais la France prolongera les délais autant qu'il sera en son pouvoir, pour nous voir nous consumer. Nous voilà donc à la merci de toutes les petites chancelleries de l'Allemagne! et les pretentions de la France croitront chaque jour jusqu'à ce qu'enfin elle jette le masque, et devienne partie principale ou dans la paix ou dans la guerre. On parle de la dignité de la couronne: mais n'en perdra-t-elle pas moins en révoquant ses lois qu'en se soumettant aux demandes des chancelleries germaniques? Nous sommes les assaillants: nous avons attaqué les colons aussi réellement que l'Armada espagnole voulait attaquer l'Angleterre. La compassion et la clémence ne peuvent nuire. Le trône du roi sera consolidé par l'amour des peuples: des millions d'hommes qui aujourd'hui le maudissent et s'arment contre lui, invoqueront le ciel en sa faveur. La révocation des lois, l'amnistie, produiront des dissensions en Amérique, la concorde en Angleterre. Mettez donc l'Amérique dans la possibilité de faire un choix: jusqu'à ce jour elle ne l'a pas eue. L'Angleterre lui a dit: Rends les armes; elle a répondu comme les Spartiates: Viens les prendre. Ni' l'autorité d'un tel homme, ni la force de son discours, ni les maux présents, ni la crainte même de ceux dont on était menacé, ne purent faire adopter la proposition du comte de Chatam. Au reste, que la marche des ministres en cette conjoncture, fût libre ou forcée, lord North, dans la séance de la chambre des communes, du 25 février 1778, prononça un discours très-étendu sur les circonstances actuelles, dans lequel il disait entre autre: que la fortune s'était montrée tellement contraire, qu'il avait été impossible de s'assurer les avantages que l'on s'était cru en droit d'espérer; et finit, en faisant remarquer que, bien que la Grande-Bretagne fût très en état de continuer la guerre, tant par le nombre de ses troupes et la force de sa marine, que par les ressources de ses finances, que l'on pouvait encore accroître par un emprunt à de légers intérêts, cependant, d'après le désir dont tout bon gouvernement de-` vait être animé, de mettre fin à la guerre, et surtout aux guerres civiles, le ministère s'était déterminé à soumettre aux délibérations de la chambre certaines propositions d'accommodement, dont il attendait les plus heureux résultats. L'attention générale se manifesta par un profond silence; aucun signe d'approbation ne fut donné par l'un ou l'autre parti. Quelques-uns étaient saisis de crainte, tous d'étonnement; tant était différent le langage actuel des ministres de ce qu'il avait été jusquelà. On en concluait qu'ils y avaient été forcés par quelque cause grave. M. Fox saisit ce moment pour s'écrier que le traité d'alliance entre la France et les États-Unis, était déjà signé: l'agitation et le tumulte devinrent alors extrêmes. Lord North fit la motion que le parlement ne pût, à l'avenir, imposer aucun impôt ou taxe dans les colonies de l'Amérique septentrionale, sauf ceux qui seraient jugés avantageux au commerce; et que, dans ce cas, le produit en serait perçu sous l'autorité des colonies respectives, pour être employé à leur usage et profit. Il proposa en outre, qu'il fût nommé cinq commissaires revêtus de la faculté d'applanir avec toute assemblée ou personne, les différends survenus entre la Grande-Bretagne et ses colonies, sous la réserve toutefois qu'aucun de ces accords ne pourrait avoir son effet, que lorsqu'il serait ratifié par le parlement. Ces commissaires devaient être également autorisés à publier des armistices, partout où ils le jugeraient à propos, à suspendre les lois prohibitives, et généralement toutes les lois promulguées depuis le 10 février 1763, et à délivrer des amnisties à quiconque leur en semblerait digne. Ils devaient enfin avoir la faculté de nommer les gouverneurs et les capitainesgénéraux des provinces pacifiées. Les bills proposés passèrent presque sans opposition dans le parlement; mais au dehors ils excitèrent un mécontentement presque général. Ce fut au milieu de cette complication d'événements et de révolutions nouvelles, tandis que toute la nation britannique en attendait impatiemment le résultat, que la cour de Versailles, ne pouvant cacher plus longtemps les engagements politiques qu'elle venait de contracter avec les États-Unis, fit remettre le 15 de mars 1778, par le marquis de Noailles, ambassadeur près la cour de Londres, à lord Weymouth, secrétaire d'État pour les affaires étrangères d'Angleterre, la déclaration suivante, qui fut en quelque sorte le signal de la guerre. N. VI. Déclaration remise par le marquis de Noailles, ambassadeur de France près la cour de Londres, à lord Weymouth, secrétaire d'État de S. M. Britannique; du 15 mars 1778. „Les États-Unis de l'Amérique septentrionale, qui sont ,,en pleine possession de l'indépendance, prononcée par leur acte ,,du 4 juillet 1776, ayant fait proposer au roi de consolider „par une convention formelle les liaisons qui ont commencé ,,à s'établir entre les deux nations, les plénipotentiaires ,,respectifs ont signé un traité d'amitié et de commerce, ,,destiné à servir de base à la bonne correspondance mu,,tuelle." ,,S. M. étant résolue de cultiver la bonne intelligence ,,subsistante entre la France et la Grande-Bretagne, par ,,tous les moyens compatibles avec sa dignité et avec le ,,bien de ces sujets, croit devoir faire part de cette démarche |