Les généraux qui avaient favorisé l'élévation du jeune protecteur furent bientôt mécontents de leur ouvrage. La faiblesse de Richard n'excluait pas une sorte de finesse qui lui fit chercher de préférence ses appuis parmi les hommes de l'administration civile. D'un autre côté, il avait trop de bon sens pour être fanatique, et n'étant pas hypocrite, il prononçait quelquefois des paroles qui scandalisaient les puritains. Mais n'avoir pour soi ni la force militaire ni le fanatisme religieux, c'était renoncer à gouverner. Il ne trouvait même point d'appui dans sa propre famille, et tandis que son frère était en Irlande, il n'avait auprès de lui que son oncle Desborough, son beau-frère Fleetwood et d'autres parents tout disposés à le renverser, ou du moins à ne lui prêter aucune assistance. Le 22 avril 1659, il prononça, contraint par les officiers, la dissolution du parlement, et, à partir de ce jour, tomba dans un tel mépris qu'on oublia même pendant quelque temps, qu'il habitait encore WhiteHall. La justice continua néanmoins de se rendre en son nom, et ce ne fut qu'après deux mois qu'on songea à lui demander l'inutile formalité de sa démission. Il quitta le pouvoir chargé de dettes contractées notamment pour les somptueuses funérailles de son père, et emportant, comme unique fortune, deux malles remplies des adresses et des congratulations qu'on lui avait présentées pendant son petit règne. Le 15 juin, Henri Cromwell, qui gouvernait l'Irlande et à qui on pouvait supposer l'intention, comme il en avait le pouvoir et le talent, de soutenir les prérogatives de sa famille, résigna son autorité avec presque autant de docilité que pacifique Richard. Celui-ci n'eut même plus que de la reconnaissance pour les communes quand il les vit se charger de ses dettes, montant à vingt-neuf mille livres ou sept cent vingt-cinq mille francs. Rappel du rump (du 8 mai au 13 octobre 1659). le Le parlement dissous, Richard tombé, les officiers étaient maîtres de la situation. Après s'être consultés, ils convinrent, d'accord avec le général Lambert, le plus capable, le plus remuant et le plus ambitieux d'entre eux, de rappe ler ces anciens membres du parlement croupion qu'ils avaient eux-mêmes renversés. Quarante-deux membres, parmi lesquels l'orateur Lenthall, Vane, Haslerig, se réunirent en une assemblée qui atteignit peu à peu le chiffre de soixante et dix. Ils commencèrent par nommer un comité de sûreté dont la plupart des membres appartenaient à l'armée, et nul ne pouvait y entrer s'il ne craignait Dieu et s'il n'était pas fidèle à la bonne vieille cause. Fleetwood, au nom des troupes qui étaient à Londres, promit son concours au parlement croupion, et Monk, toujours en Écosse, exprima les mêmes sentiments au nom de ses soldats. Un conseil d'État fut ensuite nommé pour agir au nom du parlement. Ses membres étaient Fairfax, Lambert, Desborough, Bradshaw, Ashley Cooper, Fleetwood, Haslerig, Vane, Ludlow, Saint-John et Whitelocke. Dans les premières réunions de ce conseil, le républicain Scott accusa Whitelocke et Ashley Cooper d'entretenir une correspondance secrète avec Charles Stuart et le chevalier Hyde, son conseiller intime. Mais ces deux membres parvinrent à se justifier. On conçoit, du reste, quelle devait être la défiance de la petite minorité républicaine en présence de deux partis aussi nombreux et aussi puissants que le parti presbytérien et le parti royaliste ou cavalier, maintenant surtout que ces deux partis commençaient à combiner leurs efforts pour rétablir les Stuarts. Les plus ardents adversaires de la république n'eurent même pas la patience d'attendre ce que ferait le rump, et deux insurrections éclatèrent à la fois, l'une dans le Cheshire et le Lancashire, l'autre dans le Worcestershire. Lambert agit contre toutes deux avec vigueur et les réprima en peu de jours. Toutefois, il avait montré de la bravoure et de l'énergie, non par dévouement aux institutions républicaines, mais parce qu'il espérait, après avoir été un des lieutenants les plus serviles de Cromwell, se substituer à lui. Aussi, de graves dissensions éclatèrent-elles entre le parlement et l'armée, sur laquelle Lambert exerçait une grande influence. Le rump, qui ne voulait pas n'être qu'un instrument docile dans la main des officiers, réclamait pour lui l'exercice de l'autorité suprême, et insis tait notamment pour avoir la nomination aux grades et placer l'armée elle-même sous la dépendance du pouvoir civil. Monk, à la tête de l'armée d'Écosse, le républicain Ludlow à la tête de l'armée d'Irlande, dont Henri Cromwell lui avait transmis le commandement, se montraient favorables aux prétentions du parlement, mais ils étaient fort éloignés, tandis que Lambert et ses troupes tenaient Londres. Le 13 octobre, il occupa tous les abords de Westminster, força la voiture de l'orateur Lenthall à rebrousser chemin, et fit si bien qu'un seul député, Peter Wentworth, réussit à se rendre, par eau, à la chambre. Le rump se trouvant ainsi dans l'impossibilité de se réunir, il fut convenu, entre l'armée et les partisans du parlement, pour éviter toute effusion de sang, que le rump cesserait de siéger et qu'une nouvelle assemblée serait convoquée dans le plus bref délai. Monk (1660); parlement - convention. Depuis l'époque (1651) où Cromwell avait quitté précipitamment l'Écosse pour se mettre à la poursuite de Charles II et le battre à Worcester, Monk avait commandé sans interruption dans le nord de la Grande-Bretagne. Là, au lieu de prendre intérêt aux intrigues et aux factions de l'Angleterre, il avait paru ne s'occuper que des devoirs de sa place, de maintenir la discipline de son armée et de retenir les Écossais dans l'obéissance. Ses dépêches à Cromwell forment un contraste frappant avec celles des autres officiers de ce temps: il n'y fait point parade de piété, ne flatte jamais le protecteur et ne sollicite aucune faveur. Elles sont courtes, sèches, ne traitant que d'affaires publiques, et encore de celles seulement qui étaient d'une nécessité indispensable. En effet, le trait distinctif qui caractérisait ce général était l'art de s'envelopper d'un voile impénétrable. Aussi, tous les partis, royalistes, partisans du protecteur, républicains, le croyaient des leurs; mais ces prétentions étaient fondées plutôt sur leurs désirs que sur sa conduite. Charles II avait plusieurs fois été engagé à lui faire les offres les plus séduisantes, qui étaient appuyées près de lui par les sollicitations de sa femme, ardente royaliste, et de son chapelain domestique, et Monk les avait écoutées sans mécontentement; mais il ne s'était jamais assez expliqué avec les agents de ce monarque, pour se mettre en leur pouvoir. Cromwell avait eu vent de ces intrigues; ne pouvant découvrir aucune cause réelle de soupçon, il se contenta de mettre Monk sur ses gardes en le raillant dans le post-scriptum d'une lettre. «< On dit, ajoutait-il, qu'il y a en Écosse un rusé compère, nommé George Monk, qui y attend l'occasion de rendre service à Charles Stuart: usez, je vous prie, de diligence pour le faire saisir et me l'envoyer. »> Monk conserva son immobilité jusqu'à la dissolution du rump par le général Lambert. L'armée d'Ecosse avait, à l'égard de l'armée cantonnée autour de Westminster, toute la jalousie qui animait les légions du Danube et du Rhin contre les prétoriens. Si l'armée de Cromwell, cette armée dont le fanatisme et la bravoure rappelaient si fidèlement les soldats de Gustave-Adolphe, ne s'était pas divisée, les Stuarts n'auraient pas revu de sitôt l'Angleterre. A la nouvelle du dernier attentat du parti des officiers, Monk quitta l'Écosse, et lorsqu'il arriva à Saint-Albans, le 28 janvier 1660, le rump avait repris ses séances dans la capitale depuis le 26 décembre 1659. Il y avait été invité par quelques compagnies de soldats, zélés républicains, qui, dégoûtés de l'égoïsme de leurs officiers, ne voyaient plus qu'en lui le représentant de la bonne vieille cause. Jusqu'alors Monk, pendant sa marche à travers toute la GrandeBretagne, avait soigneusement caché ses projets, et quoique les cavaliers déclarassent hautement qu'avant peu le roi serait de retour en Angleterre, les républicains doutaient encore; peut-être que le général lui-même ne savait pas bien ce qu'il voulait. Mais bientôt il subit, ou parut subir l'influence irrésistible du fameux Ashley, qui, après avoir été tour à tour royaliste et parlementaire, avait fait de l'opposition au gouvernement de Cromwell, dès qu'il avait vu la famille du protecteur sans aucune chance de conserver le pouvoir. Bien résolu à assurer son propre avenir en travaillant au retour des Stuarts, le rusé politique profita de son ascendant sur la femme de Monk pour engager cette dame à déterminer le général au rétablissement de la monarchie. Monk n'eut pas l'avantage, mais aussitôt son arrivée à Londres, il intima l'ordre au parlement de recevoir dans son sein les membres presbytériens exclus par le colonel Pride, et ceux-ci vinrent reprendre leurs siéges le 21 février 1660. Il s'était écoulé près de vingt ans depuis la convocation du long parlement. La chambre, ainsi recomposée aux applaudissements du peuple de Londres, qui alluma dans les rues des feux de joie où l'on rôtissait des croupions de toute espèce, vota successivement: que Monk serait nommé commandant en chef des forces d'Angleterre, d'Écosse et d'Irlande; que tous les actes parlementaires adoptés depuis la purge de Pride seraient annulés; que le presbytérianisme serait la seule religion de l'État. Le 16, elle ordonna sa propre dissolution et la convocation d'un nouveau parlement qui s'assembla le 25 avril. C'est ce nouveau parlement, réuni sans convocation royale et demeuré célèbre sous le nom de parlement-convention, ou de parlement réparateur, comme les cavaliers l'appelèrent, qui rétablit la chambre des lords dans ses droits et rappela les Stuarts. Le 29 mai 1660, jour anniversaire de sa naissance, Charles II faisait son entrée solennelle à Londres. En Angleterre, on aime beaucoup la liberté, très-peu l'égalité, et un peuple dont les mœurs sont encore aujourd'hui tout aristocratiques ne pouvait s'accommoder, surtout au XVIIe siècle, des formes républicaines. Le génie niveleur des indépendants n'était pas celui de l'immense majorité de la nation, et ne pouvait avoir, par conséquent, qu'une domination éphémère : l'ascendant de ce parti eût même été encore bien plus fugitif s'il ne s'était personnifié dans un homme supérieur, dans Cromwell. |