tous les lieux consacrés au culte public; que, dans un terme fixé, tout ecclésiastique jouissant d'un bénéfice serait tenu d'y lire le service divin, et, à la fin, de déclarer dans une formule toute dressée son consentement sincère à tout ce qui était ordonné dans son contenu. » Il fut ordonné, pour frapper au cœur toutes les sectes non conformistes, que si cinq personnes au-dessus du nombre dont une famille était composée s'assemblaient pour quelque exercice de religion, chacun des acteurs et des assistants subirait, pour la première offense, trois mois de prison ou cinq livres sterling (cent vingt-cinq francs) d'amende; pour la seconde, six mois ou dix livres sterling (deux cent cinquante francs), et que, pour la troisième, il serait transporté aux colonies pour sept ans, ou qu'il payerait la somme de cent livres sterling (deux mille cinq cents francs). Les ministres et les professeurs qui n'avaient pas prêté le serment imposé par l'acte d'uniformité ne pouvaient s'approcher à plus de cinq milles des lieux où ils avaient prêché ou enseigné, à peine de cinquante livres sterling (douze cent cinquante francs) d'amende ou six mois d'emprisonnement. Telles étaient les lois imposées par la restauration à cette Angleterre presbytérienne qui avait fait la révolution de 1640. Toutefois ce joug était léger auprès de celui que Charles II fit peser sur l'Écosse, où une population de dix-huit cent mille âmes présentait seulement trente-deux mille épiscopaux, cinquante mille catholiques, et tout le reste covenantaire. De même qu'en France, sous la restauration, la chambre des pairs combattit souvent les tendances réactionnaires de nos ultras de la chambre des députés, de même la chambre des lords essaya, mais en vain, d'arrêter les communes dans leur marche rétrograde. Celles-ci votèrent encore deux clauses insérées également dans le bill d'uniformité et qui blessèrent cruellement les esprits par l'une, il était dit que nul ne pourrait administrer le sacrement ou prétendre à aucune promotion ecclésiastique, s'il n'avait reçu l'ordination épiscopale; par l'autre, que tous bénéficiers, dignitaires, membres des universités, maîtres d'écoles publiques ou précepteurs particuliers seraient tenus de souscrire une renonciation au covenant, et une déclaration portant que, sous quelque prétexte que ce pût être, il n'était permis de prendre les armes contre le roi. L'obéissance passive devenait ainsi un des dogmes fondamentaux de l'Église anglicane. Le 24 août 1662, jour de la Saint-Barthélemy, deux mille ministres presbytériens qui avaient refusé de se conformer à l'acte d'uniformité furent destitués, et cette persécution est demeurée tristement célèbre sous le nom de SaintBarthélemy des presbytériens. Voilà comment Charles II entendait sa déclaration de Bréda. Le triomphe de l'Église anglicane fut alors complet : les évêques avaient déjà repris leurs places au parlement et les cours spirituelles étaient établies de nouveau. Néanmoins, les cavaliers n'étaient point satisfaits; ils regardaient leur triomphe comme incomplet tant que deux illustres victimes, Vane et Lambert, ne perdaient point la tête sur l'échafaud. Bien qu'ils n'eussent point voté la mort du roi, bien que le parlement-convention lui-même les eût recommandés à la clémence royale, bien que la recommandation eût été favorablement reçue, ils furent mis en jugement au commencement de 1662. Lambert, qui avait si souvent bravé l'ennemi sur le champ de bataille, trembla à la vue d'une cour de justice; Vane, qui n'avait jamais tiré l'épée, affronta avec intrépidité les regards menaçants et la partialité de ses juges. Condamnés tous deux à mort, ils furent envoyés, Lambert dans l'île de Guernesey, où il se consola parla culture des fleurs et de la peinture; Vane, à l'échafaud. On ne pouvait pardonner à celui-ci d'avoir été, après Cromwell, le plus grand homme d'État du parti républicain. En Écosse, où le haut commissaire, Middleton, soutenait qu'on n'avait pas le droit d'invoquer l'amnistie de Bréda, spéciale, suivant lui, à l'Angleterre, le rétablissement de l'anglicanisme fut également cimenté par le sang d'une illustre victime. La tête du fameux marquis d'Argyle, connu dans les hautes terres sous le nom d'Argyle le Sombre, parce que l'obliquité de ses yeux donnait quelque chose de sinistre à sa physionomie, fut coupée par la vierge, instrument fort semblable à notre guillotine, et fixée sur la même pointe de fer qui avait soutenu celle de Montrose, que l'on regardait comme sa victime. Mais en même temps que Charles II imposait à l'Écosse le joug de l'Église anglicane, il flattait, pour la dédommager, son esprit d'indépendance nationale, retirait toutes les garnisons anglaises établies par Cromwell au nord de la Tweed, et faisait démolir les fortifications, marques de l'esclavage des Écossais. Caractère et politique de Charles II; son ministre Clarendon. En 1660, Charles II était âgé de trente ans. Il avait reçu de la nature une vigoureuse constitution, une taille bien prise, une figure mâle, un air gracieux, et, malgré une certaine rudesse dans les traits, toute sa contenance avait quelque chose de fin et d'engageant. Suivant Hume, cet ardent partisan des Stuarts, Charles II joignait à la vivacité de l'esprit, à la pénétration un jugement solide et l'avantage d'avoir observé de près le caractère des hommes et la nature des choses. Suivant la vérité, Charles II avait des vues étroites, nulle grandeur dans l'esprit, peu de franchise, un caractère essentiellement égoïste et vain; en un mot, il avait tous les défauts que l'on reprochait à son père, défauts qui le rendaient incapable de gouverner avec prudence et fermeté l'Angleterre, surtout après les crises qui venaient de la bouleverser. Il ne semblait même pas avoir conscience des difficultés de sa position. Le souverain des trois royaumes d'Angleterre, d'Écosse et d'Irlande passait volontiers le jour à faire manger ses chiens et ses canards, à assister aux combats de coqs ou aux luttes des boxeurs. Ses soirées étaient consacrées au théâtre, au bal, à des mascarades, ou à donner un thé, ce dont il fit venir la mode. La grande préoccupation du nouveau monarque fut, avant tout, de se procurer de l'argent, non pour dédommager les cavaliers ruinés au service de son père, non pour tirer de la misère ces fidèles serviteurs qui avaient, par dévouement au parti royal, coupé leurs chênes séculaires et fondu l'argenterie de leurs familles; mais pour tenir sa maison sur le pied le plus dispendieux et combler ses favoris et ses maîtresses des plus riches présents. Sa préférée était alors une femme des plus rapaces, mistriss Palmer, comtesse de Castlemaine, puis duchesse de Cleveland. Il ne craignit pas, pour remplir ses coffres, de contracter (31 mai 1662) un mariage impolitique avec une princesse catholique, avec dona Catarina, infante de Portugal, sœur du roi Alfonse VI, qui lui apporta en dot une forte somme d'argent (huit millions sept cent cinquante mille francs), plus les deux villes de Tanger et de Bombay, dont la première ne tarda même pas à être abandonnée par l'Angleterre. En effet, malgré l'importance de cette acquisition pour la protection du commerce anglais dans la Méditerranée, lorsque la place de Tanger devint plus tard un prétexte pour lever des troupes, et que le parlement, d'abord si dévoué à Charles II, eut conçu contre lui de justes ombrages, il aima mieux l'abandonner que de fournir les subsides nécessaires à son entretien. Vers la même époque (27 novembre 1662), Charles II, toujours poussé par le besoin d'argent, se dégrada bien autrement aux yeux de son peuple en vendant à Louis XIV, moyennant quatre cent mille livres sterling ou deux millions huit cent mille francs, la ville de Dunkerque et le fort de Mardick, ces précieuses conquêtes de Cromwell. Il ne devait pas en rester là: il allait se faire, lui, roi d'Angleterre, le pensionnaire du roi de France; lui, le chef du protestantisme en Europe, le soutien non pas seulement de l'anglicanisme, mais de la faible minorité catholique si odieuse à son peuple. Évidemment la race des Stuarts se détrônait elle-même comme à plaisir. Charles II avait cependant un conseiller capable de lui inspirer, sinon des résolutions bien héroïques et une bien sincère fidélité à ses promesses, du moins des mesures prudentes et une conduite réservée; mais il ne l'écouta que pendant les premières années de la restauration, et finit par le sacrifier aux rancunes de ses maîtresses beaucoup plus qu'aux attaques du parlement. Edouard Hyde, que le roi, peu de temps après son retour, créa comte de Clarendon et qu'il avait nommé, dès 1657, grand chancelier d'Angleterre, appartenait à une famille de jurisconsultes. Admis de bonne heure au parlement, il se fit re marquer, dès ses premiers discours, par son talent et sa modération. Animé d'un certain esprit d'indépendance, il compara un jour les ministres du roi à ces lions qui soutenaient le trône de Salomon : « Oui, disait-il, ils doivent être sous le trône de l'obéissance, mais ils doivent s'y tenir dans l'attitude qui convient à des lions. » Membre du long parlement, il se déclara pour Charles Ier, et quitta l'Angleterre lorsque le sort des armes eut trahi la cause royale. Il séjourna deux ans dans l'île de Jersey et y commença, sous le titre d'Histoire de la rébellion, le récit des discordes civiles dont il se trouvait victime. Il passa successivement en Espagne, en France, en Hollande, et contribua plus que tout autre, après la mort de Cromwell, au succès des négociations qui replacèrent Charles II sur le trône. Il obtint dès lors la confiance entière de ce monarque, qui le combla de faveurs, et Clarendon allait même avoir un honneur auquel il semblait qu'un sujet ne dût pas s'attendre. Le grand chancelier avait une fille, Anne, dont le duc d'York, frère de Charles II, et plus tard roi lui-même sous le nom de Jacques II, s'était épris en Hollande. Elle était très-laide, avait la bouche extraordinairement fendue, et les yeux fort éraillés, mais rachetait toutes ces imperfections par sa grâce et son esprit. En vain le prince tenta de la séduire ; il ne put rien obtenir d'elle qu'en l'épousant secrètement le 4 novembre 1659. Cette union resta ignorée jusqu'au rétablissement de Charles II; mais peu de temps après le retour de toute la famille royale à Londres, Anne Hyde devint enceinte et exigea que son mariage fût rendu public. En vain le duc d'York la menaça-t-il de toute sa colère; en vain Clarendon, se conduisant cette fois en lâche courtisan, voulait-il sacrifier l'honneur de sa fille à ce qu'on appelait l'honneur du trône, elle persista courageusement. Le roi seul fit son devoir. Nonseulement il reconnut Anne Hyde comme duchesse d'York, mais il engagea son frère à lui rendre tout son amour, et il déclara que cet événement n'altérait en rien ses sentiments pour son chancelier. De cette union d'Anne Hyde avec le duc d'York naquirent deux filles, Anne et Marie, destinées toutes deux à régner sur l'Angleterre. |