Esprit ferme, droit et pénétrant, dit M. Guizot, ami sincère de l'ordre légal et moral, attaché avec courage à la constitution et avec passion à l'Église de son pays, plein de respect pour les droits, écrits ou traditionnels, du peuple comme du prince, Clarendon détestait la révolution à ce point que toute nouveauté lui était indistinctement suspecte et antipathique. Premier ministre, il fut plus hautain que fier, manqua de largeur dans les idées et de générosité sympathique dans le caractère, et jouit de sa grandeur avec faste en exerçant le pouvoir avec roideur. Auprès du roi, qui lui portait une estime pleine de confiance et mêlée de quelque attachement, il était tour à tour sévère et humble, passant des remontrances aux complaisances, disant et soutenant la vérité en honnête homme, mais inquiet de l'avoir dite, et cherchant des appuis contre la cour sans vouloir puiser sa force dans le parlement. Il prétendait maintenir à la fois la couronne dans le respect des anciennes lois du pays et la chambre des communes, cette chambre, dont les membres avaient déjà, au début du règne de Charles Ier, un ensemble de revenus triple de celui des lords dans la modestie de son ancienne situation; il se flattait qu'on pourrait astreindre la prérogative royale à la légalité sans lui imposer envers le parlement aucune responsabilité nécessaire. Mais il devait échouer dans cette chimérique tentative de fonder, au sortir d'une révolution populaire, un gouvernement qui ne fût ni arbitraire ni limité. Après Clarendon, les deux hommes qui exerçaient le plus d'influence dans les conseils de Charles étaient le duc de Portsmouth, lord trésorier, vieillard vénérable, qui avait rempli les mêmes fonctions dès le règne de Charles Ier, et le marquis d'Osmon, vice-roi de cette Irlande, qu'il avait essayé en vain de défendre contre Cromwell. Guerre avec la Hollande (1665); peste à Londres (1665); incendie (1666). La nation anglaise, jalouse du commerce et des forces navales des Hollandais, laissa entrevoir l'ardent désir de ruiner par la force ces redoutables rivaux. Le roi, qui après les plaisirs n'avait de goût que pour la marine1, prêta une oreille attentive aux suggestions des négociants de la cité. On a dit que ce ne fut point par patriotisme, mais pour détourner à son profit une partie des subsides qui lui seraient accordés. Ce qui est certain, c'est que Clarendon lui remontra que l'Angleterre n'avait à attendre des hostilités que de nouvelles dépenses, et qu'il serait déplorable de mettre aux mains les deux principales puissances protestantes. Le roi ne voulut rien entendre. Il oubliait que la Hollande était la terre hospitalière qui l'avait accueilli, tandis que la France, pour plaire au protecteur, le rejetait de son sein. Il ne voyait plus dans les Hollandais que des partisans de Jean de Witt, le chef du parti républicain, l'heureux antagoniste de la maison d'Orange, et en l'année 1664, sans aucune déclaration de guerre, sans aucun grief qui justifiât une telle perfidie, il envoya secrètement à la côte d'Afrique le chevalier Robert Holmes, à la tête d'une flotte de vingt-deux vaisseaux. Holmes chassa les Hollandais du cap Corse, à la côte des Dents, sur lequel l'Angleterre avait des prétentions; se saisit des établissements du cap Vert, de Gorée, et de là, faisant voile vers l'Amérique, il se mit en possession de la Nouvelle-Belgique, appelée depuis la Nouvelle-York, ou New-York, pays que Jacques Ier avait donné au comte de Stirling, mais où l'on n'avait jamais vu que des établissements hollandais. Le parlement, loin de blâmer une si injuste agression, y applaudit avec enthousiasme, et récompensa la coupable conduite de son souverain par le plus ample subside qu'un roi d'Angleterre eût jamais obtenu : il monta à deux millions et demi de livres sterling, ou soixante-deux millions cinq cent mille francs. C'est à cette occasion que le parlement établit, sur des bases inébranlables, un principe qui avait déjà été posé sous Richard II et sous Henri IV, mais qui ne fut plus contesté à partir de 1664, à savoir que les subsides accordés par les 1. Il donnait même personnellement une attention toute spéciale à la construction des navires, parcourait les chantiers, proposait ses plans. Il avait appliqué quelques inventions qui lui étaient propres, notamment à deux corvettes qu'il prétendait meilleures voilières que toutes les corvettes françaises. communes ne devaient jamais être consacrés qu'au but spécial qu'elles-mêmes auraient déterminé. Le gouvernement était dès lors obligé de soumettre au parlement les comptes les plus minutieux, et, en réalité, de partager avec lui la direction des affaires. C'est également dans le bill par lequel était accordé cet énorme subside, que furent insérées des clauses qui substituèrent à l'ancienne manière de percevoir les revenus par des concessions de subsides, de dixièmes et de quinzièmes, le mode, plus sûr et moins embarrassant, de lever des contributions payables tous les mois par les comtés. A cette occasion eut encore lieu un changement important dans le mode de lever les taxes sur le clergé. Depuis la création des deux chambres, le clergé avait, sous le nom de convocations, ses assemblées distinctes, dans lesquelles il s'imposait lui-même. Les prélatures et les autres bénéfices, dont la nomination appartenait au roi, lui donnant plus d'influence sur l'Église que sur les laïques, il arrivait que les subsides accordés par la convocation étaient ordinairement plus considérables que ceux qu'il tirait du parlement. L'Église, en 1664, crut trouver de l'avantage à se départir tacitement du droit de se taxer elle-même, et ne se fit pas presser pour consentir que la chambre des communes réglât l'imposition sur les revenus ecclésiastiques comme sur le reste du royaume. En récompense, deux subsides, que la convocation avait ordonnés, lui furent remis, et le clergé paroissial obtint le droit de suffrage aux élections. Ainsi l'Église anglicane fit un marché dont tout l'avantage fut pour elle; et les convocations étant devenues inutiles à la couronne, finirent par tomber en désuétude. Cependant le grand pensionnaire, Jean de Witt, n'était pas homme à laisser insulter impunément la république hollandaise. Par ses ordres, Ruyter fit voile à son tour pour la côte d'Afrique, reprit aux Anglais tout ce dont ils s'étaient emparés, à l'exception du cap Corse, et captura un grand nombre de leurs bâtiments. Dès lors la lutte s'engagea avec le plus opiniâtre acharnement. Le 22 février 1665, le roi d'Angleterre publia sa déclaration de guerre, et à la fin d'avril, Jacques, duc d'York, frère de Charles II, et créé par lui lord grand amiral, fit voile pour les côtes de Hollande, avec la flotte la plus formidable qui fût encore sortie des ports britanniques, avec quatre-vingtdix-huit vaisseaux de ligne et quatre brûlots. Ce prince, qui devait faire un si pauvre roi, se distingua comme marin. Il montra du courage et de l'habileté. Prenant sous ses ordres lord Sandwich, ainsi que le prince Rupert, ce neveu de Charles Ier, dont la bouillante valeur avait été, il est vrai, aussi souvent nuisible qu'utile aux cavaliers, il écarta tous les seigneurs qui n'avaient d'autre recommandation que leur titre, et eut le bon esprit d'admettre dans les rangs les officiers républicains qui déjà, sous le long parlement, avaient vaincu la Hollande. Introduisant sur mer un ordre qu'on n'avait observé jusque-là que dans les armées de terre, et perfectionnant, ou plutôt même créant la science des signaux, il divisa sa flotte en trois escadres : la rouge, sous ses propres ordres; la blanche, sous ceux du prince Rupert, et la bleue, sous lord Sandwich. Il décida, en outre, qu'on formerait la ligne pour se préparer au combat, et qu'il serait enjoint aux différents capitaines de conserver les postes qui leur seraient assignés par leurs chefs respectifs. La flotte hollandaise présentait, elle aussi, un spectacle magnifique et imposant. Cent treize vaisseaux de guerre manœuvraient sous les ordres d'un de ces officiers formés dans la lutte héroïque soutenue par ce petit peuple pour son indépendance. Toutefois Opdam ne partageait pas toutes les espérances de ses compatriotes. L'incapacité de plusieurs de ses capitaines, et la mauvaise composition de leurs équipages, offraient à son œil expérimenté des motifs de douter de l'issue d'un combat, et il dit à quelques personnes qui possédaient sa confiance : « Je sais ce que la prudence prescrirait; mais il faut que j'obéisse aux ordres que j'ai reçus, et demain, à cette heure, vous me verrez couronné de lauriers ou de cyprès. Les deux flottes s'abordèrent le 13 juin 1665, à une assez grande distance de l'île du Texel. Pendant quatre heures la victoire fut incertaine. Le comte de Falmouth, lord Muskerry et Bayle, fils du comte de Burlington, furent tués tous trois par le même boulet1, aux côtés de Jacques, et leur sang rejaillit jusque sur lui. Mais le prince fit redoubler le feu contre l'Endracht, que montait Opdam. Le vaisseau hollandais finit par sauter, et l'amiral, avec cinq cents hommes, périt dans l'explosion. Le vice-amiral Cortenaer avait à peine arboré le pavillon amiral, qu'il fut tué sur le tillac de son navire; les Hollandais, intimidés, prirent la fuite. La mer engloutit dix-neuf de leurs vaisseaux, avec environ six mille hommes. A toute autre époque, la nouvelle du plus beau succès naval que les Anglais eussent encore remporté, aurait été reçue avec les démonstrations de la joie la plus vive; mais elle arriva dans un moment où l'esprit de la nation était accablé sous le poids du plus épouvantable fléau. Du mois de mai au mois de décembre 1665, la peste enleva cent trente mille habitants de Londres. De la métropole, le mal étendit son empire destructeur sur la plus grande partie du royaume, et au mois d'août 1666, il se montra très-violent à Colchester, Norwich, Winchester, Cambridge et Salisbury. Heureusement il borna ses ravages à la terre; la flotte demeura intacte, et aussitôt que les vaisseaux endommagés dans le dernier combat eurent été réparés, le duc d'York se prépara à de nouvelles luttes; mais son empressement fut ar par une prohibition du roi, qui avait été sollicité par la reine mère, de ne plus exposer la vie de l'héritier présomptif aux chances des batailles. Il fut remplacé dans le commandement en chef, d'abord par le comte de Sandwich, puis par le prince Rupert et le fameux Monk, devenu duc d'Albemarle, qui se le partagèrent, mais la plupart du temps sans pouvoir s'entendre. Le restaurateur des Stuarts ne supportait que difficilement les hauteurs du fils de l'électeur palatin, du cousin germain du roi. Au commencement de 1666, le roi de France, qui voyait avec plaisir les deux marines rivales s'entre-détruire, et qui ne voulait pas laisser l'Angleterre écraser trop promptement la Hollande, déclara la guerre à Charles II, mais en protestant qu'il ne le faisait qu'à regret. On conçoit en effet que ce 1. Ce combat fut un des premiers où les Hollandais employèrent les boulets à chaines, invention de Ruyter. |