HISTOIRE D'ANGLETERRE. QUATRIÈME PÉRIODE. LES STUARTS ET LA RÉVOLUTION; CONQUÊTE DÉFINITIVE DES LIBERTÉS PUBLIQUES (1603-1688)1. CHAPITRE XXVI. JACQUES Ier (1603-1625) 2. L'ANGLETERRE ET L'ÉCOSSE RÉUNIES SOUS UN MÊME SOUVERAIN. JACQUES ABANDONNE LE RÔLE DE PROTECTEUR DU PARTI PROTESTANT EN EUROPE; COMPLOTS (1603); CONSPIRATION DES POUDRES (1605). MINISTRES ET FA L'Angleterre et l'Écosse réunies sous un même souverain. Lorsque Henri VII conclut le mariage de Marguerite, sa fille aînée, avec Jacques IV Stuart, roi d'Écosse, les Anglais témoignèrent la crainte que cette alliance ne les fit passer un jour sous la domination des Écossais. Ce prince annonça que le contraire arriverait, et en effet à partir du moment 1. La petite noblesse et la bourgeoisie, fortes des principes contenus dans la grande charte, fortes des tendances libérales du protestantisme, fortes de leurs richesses territoriales et mobilières, défendent contre les Stuarts leurs libertés politiques et religieuses, et triomphent de la monarchie absolue. 2. Harris, Lives of James I, Charles I, Cromwell, and Charles II. où un monarque écossais, arrière-petit-fils de Marguerite, monta sur le trône d'Angleterre, ce fut en réalité la nation anglaise qui décida des destinées de la nation écossaise. Toutefois, bien loin qu'il y eût fusion complète, chaque peuple garda son gouvernement, son parlement, ses lois et sa religion. Nous avons vu ce qu'était la religion anglicane, tâchons de nous rendre un compte exact du presbytérianisme, religion de l'Écosse. Au nord comme au midi de la Tweed on rejetait la transsubstantiation, et les dogmes étaient les mêmes, mais la discipline et l'esprit des deux clergés différaient profondément. Constitué par les efforts successifs de Henri VIII, d'Édouard VI et d'Élisabeth, l'anglicanisme se ressentait de son origine et maintenait la hiérarchie catholique. Le principe d'autorité y était en honneur et le souverain temporel, en qui il se personnifiait, l'exerçait même avec plus d'énergie que le souverain spirituel, qui en était précédemment dépositaire. Il y avait au moins autant de danger à rejeter une décision d'Élisabeth qu'autrefois une décision pontificale. Le presbytérianisme, au contraire, avait une origine et des inspirations toutes démocratiques. Le principe d'autorité y était très-faible, le principe de résistance très-fort. Knox, son fondateur, avait été s'inspirer à Genève du rude génie et de l'esprit d'égalité des calvinistes. Ses disciples l'imitèrent fidèlement. Rien de plus ordinaire que d'entendre les ministres écossais se répandre en invectives contre la mémoire de Marie Stuart, et cela en présence de Jacques VI. Un jour, le roi, perdant patience, commanda à un de ces fanatiques de parler d'une manière sensée ou de descendre de la chaire. Le prédicateur répondit à cette demande qu'il aurait dû trouver fort raisonnable : « Je te dis, homme, que je ne veux ni parler d'une manière sensée, ni descendre de la chaire. Ces farouches partisans de l'égalité n'admettaient point d'évêques et plaçaient tous les prêtres sur le même rang. Tandis qu'en Angleterre il y avait des évêques, nommés par le roi, avec privilége de siéger à la chambre des lords; en Écosse les hommes appelés à répandre la parole divine étaient choisis à la pluralité des voix, et ne connurent d'autre chef que le Christ, au nom duquel le conseil de l'Église d'Écosse était convoqué ou dissous. Un autre crime des anglicans, presque aussi odieux aux presbytériens que le maintien de la hiérarchie romaine, c'était d'avoir gardé le surplis et quelques autres insignes. papistes. Le pasteur André Melville, cité devant le conseil privé, pour avoir tourné en ridicule dans une pièce de vers latins les cérémonies de l'Église anglicane, saisit l'archevêque de Canterbury par le linon de ses manches qu'il déchira, les qualifiant de guenilles de Rome; il l'appela le soutien d'une hiérarchie antichrétienne, le persécuteur de l'Église réformée, et se proclama lui-même le plus mortel ennemi de l'archevêque jusqu'au dernier instant de sa vie. Convaincu de l'incompatibilité du presbytérianisme avec les institutions monarchiques, Jacques n'eut pas plutôt acquis cette augmentation de pouvoir résultant de son avénement au trône d'Angleterre, qu'il s'appliqua graduellement à former un nouveau plan pour l'Église d'Écosse, afin de la modeler autant que possible sur celle d'Angleterre. Mais il essaya vainement de profiter de l'institution de quelques ministres appelés surintendants, auxquels Knox luimême avait assigné, en certains cas, une sorte de préséance, pour les transformer en évêques. Les presbytériens virent clairement quel était son but. « Présentez-nous vos projets aussi simplement qu'il vous plaira, lui dirent-ils, expliquez-nous-les aussi adroitement que vous pourrez, nous verrons toujours les cornes de la mitre. » Or, les cornes de la mitre étaient en Écosse aussi odieuses que celles du diable lui-même. Enfin le roi hasarda un coup décisif. Il nomma treize évêques, et obtint le consentement du parlement pour les rétablir dans leurs évêchés à demi ruinés. Les autres évêchés, au nombre de dix-sept, avaient été convertis en seigneuries temporelles. Ce qui achevait de compliquer les difficultés du gouvernement, c'était que l'Angleterre était loin d'être uniformément anglicane, l'Écosse uniformément presbytérienne. En Angleterre, les catholiques étaient encore nom breux et puissants, surtout dans les comtés du nord-ouest, et le presbytérianisme faisait chaque jour de très-grands progrès dans les comtés plus civilisés du centre et du sud où il commençait même à être dépassé par les puritains. En Écosse, tandis que les habitants des basses terres, parlant l'idiome écossais, dérivé, comme l'anglais, de l'allemand, avaient adopté la réforme, les habitants des hautes terres, parlant le gaël, cet idiome celtique dans lequel chantait Ossian, étaient restés fidèles à la religion de leurs pères. Enfin il y avait, non-seulement une haine héréditaire, mais encore une profonde différence de mœurs entre les Anglais et les Écossais. On trouvait dans le midi de l'Angleterre tout le raffinement de la civilisation moderne, tandis que les populations du border, à telle classe qu'elles appartinssent, avaient conservé toute la férocité des mœurs du moyen âge. Bien que les districts des frontières fussent placés entre deux foyers de civilisation, la basse Écosse et l'Angleterre, il fallut tout le siècle qui suivit la réunion des deux couronnes sur la tête de Jacques pour que le règne des lois fût substitué à celui de la force, pour que des habitudes d'ordre et de paix remplaçassent des habitudes de guerre et de pillage. A la bataille de Dryffe-Sands, la dernière que se soient livrée deux puissantes familles des frontières, les Johnstone et les Maxwell, et heureusement aussi la dernière de toutes ces rencontres qui, depuis tant de siècles, ensanglantaient le border, on vit, sous le règne de Jacques, une Johnstone, la dame de Lockerby, parcourir le champ de bataille, tenant à la main les lourdes clefs de son château, et s'en servir pour briser le crâne de son ennemi, lord Maxwell, blessé et expirant. Dans les hautes terres, et surtout dans les îles, les mœurs étaient encore bien autrement cruelles. Les MacLeod, clan puissant et nombreux, voulant se venger des Mac-Donald, qui habitaient la petite île d'Eigg, une des Hébrides, y firent une descente. La population menacée comptait, en comprenant les femmes et les enfants, environ deux cents âmes; elle trouva un refuge dans les vastes flancs d'une caverne dont l'entrée ressemblait à celle de la tanière d'un renard, et était si étroite qu'un homme ne pouvait y passer qu'en s'appuyant sur les mains et sur les genoux. Après avoir fait de sévères perquisitions pendant deux jours, Mac-Leod était au moment de se rembarquer, lorsque le matin du troisième jour un des matelots aperçut du pont de sa galère un homme au milieu de l'île; c'était un émissaire que les Mac-Donald, impatients de leur emprisonnement dans la caverne, avaient imprudemment envoyé pour voir si les Mac-Leod s'étaient retirés. Quand il se vit découvert, il essaya, en imitant les ruses du lièvre et du renard, d'effacer la trace de ses pas, afin d'empêcher qu'elle ne fût reconnue lorsqu'il serait rentré dans la caverne. Tout son art fut inutile. Les assaillants revinrent de nouveau à terre, découvrirent l'entrée de la caverne, rassemblèrent de la bruyère sèche et entretinrent pendant plusieurs heures un feu immense, dont la fumée, pénétrant dans les retraites les plus profondes du souterrain, étouffa tous ceux qui s'y étaient enfermés. On vient de voir quelles difficultés attendaient le premier prince de la maison de Stuart qui allait régner sur l'Angleterre et l'Écosse : le fardeau de cette double couronne était bien lourd pour un tel homme. Quoique âgé de trente-sept ans, Jacques avait un air gauche et emprunté, une tournure ridicule. Si on ne pouvait lui reprocher aucun vice capital, on ne pouvait louer en lui aucune vertu pure et franche. Sa libéralité n'était que profusion, son savoir que pédanterie, son amour pour la paix que pusillanimité, sa politique qu'astuce, son amitié qu'un frivole caprice. Aspirant, pour gloire première, au titre de roi bel esprit1, il ne fut qu'un 1. C'est ainsi qu'il disait à ses sujets, pour les convaincre de la nécessité de réunir sous une même administration les deux parties de la Grande-Bretagne : « L'Angleterre et l'Ecosse étant deux royaumes situés dans une même île, vous ne souffrirez pas que moi, prince chrétien, je tombe dans le crime de bigamie, en vivant avec deux femmes; que n'ayant qu'une seule tête, je me joigne à un corps double, et qu'étant seul pâtre, j'aie à conduire deux troupeaux différents! >> D'autres fois il faisait un singulier mélange de la Bible, de l'Evangile et de la mythologie, assoCiant ensemble David et Jupiter, Astrée, Bellone et saint Paul. Un de ses discours au parlement commençait par cette phrase: « Je vous ai joué de la flûte, et vous n'avez pas dansé; je vous ai chanté des lamentations et vous n'avez point pleuré!...» Un autre ridicule de Jacques, c'était de s'occuper autant de démonologie que de théologie. Il avait foi dans la sorcellerie, médita longtemps sur la grave question de savoir pourquoi le diable communique' plus volontiers avec les vieilles femmes qu'avec les jeunes, prétendit en avoir trouvé une solution satisfaisante, et laissa Farement passer une année sans faire pendre une vieille femme comme sorcière. |