CHAPITRE XXVIII. RÉPUBLIQUE ANGLAISE (1649-1660). HIS PROCLAMATION ET ORGANISATION DE LA RÉPUBLIQUE (FÉVR. 1649). Proclamation et organisation de la république (févr. 1649). Le jour même de la mort du roi, avant qu'aucun courrier fût parti de Londres, la chambre des communes avait fait publier une ordonnance qui déclarait traître quiconque proclamerait, à sa place et comme son successeur, « Charles Stuart, son fils, communément appelé le prince de Galles, ou toute autre personne, à quelque titre que ce soit. » Le 17 février, après un long débat et malgré une opposition de vingt-neuf voix contre quarante-quatre, elle abolit formellement la chambre des lords. Enfin, le lendemain 18, un acte fut adopté en ces termes : « Il a été prouvé par l'expérience, et cette chambre déclare, que l'office de roi est, dans ce pays, inutile, onéreux et dangereux pour la liberté, la sûreté et le bien du peuple; en conséquence, il est dès ce jour aboli. » Un grand sceau fut gravé, portant la carte d'Angleterre et d'Irlande sur une face, avec les armes des deux pays, et sur le revers une image de la chambre des communes en séance, avec cet exergue : « L'an premier de la liberté restaurée, par la bénédiction de Dieu, 1648 » (vieux style). La royauté décapitée avec Charles Ier, l'aristocratie supprimée avec la chambre des lords, la chambre basse, sous le nom de parlement d'Angleterre, concentra dans son sein tous les pouvoirs du gouvernement. La mesure que prirent de ensuite les communes fut la création d'un conseil d'État composé de quarante et un membres. La durée de leurs pouvoirs était limitée à un an ; ils étaient chargés du maintien de la tranquillité publique, de l'organisation des troupes de terre et de mer, de la surintendance du commerce intérieur et extérieur, et des négociations avec les puissances étrangères. On remarquait parmi eux les comtes de Pembroke, Salisbury, de Denbigh, de Mulgrave, que leur haute naissance n'empêchait pas de figurer dans les premiers rangs du parti républicain; Whitelocke, qui, après avoir présidé la commission chargée d'instruire le procès de Strafford, conserva dans le parlement, par sa modération et son intelligence, un grand ascendant, et avait eu soin de se retirer à la campagne pendant le procès du roi; Saint-John, républicain exalté, bien que trois de ses parents eussent trouvé la mort en combattant pour Charles Ier, et dont la famille, alliée par le sang aux Tudors, devait être illustrée surtout par le célèbre Bolingbroke; Fairfax, qui conservait le commandement de l'armée, malgré le vif intérêt que sa femme et lui avaient témoigné au tyran; Cromwell; Skippon, l'un des officiers les plus dévoués au futur protecteur; sir Arthur Haslerig, l'un des hommes qui repoussaient le plus hautement toute idée de monarchie comme condamnée par la Bible, la raison et l'expérience; Henri Martyn, l'un des intimes de Cromwell qui, dans un de ses fréquents accès de bouffonnerie, et au moment de signer la sentence de Charles Ier, pour mieux affecter la gaieté, lui avait barbouillé d'encre le visage, ce que Martyn lui avait rendu à l'instant; Vane, un des hommes d'État les plus distingués du long parlement, le véritable auteur de l'acte de navigation, et le créateur des flottes à l'aide desquelles l'illustre Blake en assura l'exécution; Ludlow, le plus sincère, le plus pur de tous les républicains; Bradshaw, le président de la haute cour qui avait condamné Charles Ier. Nommé également président de ce conseil d'État, dont toutes les dépêches relatives aux affaires étrangères étaient rédigées en latin, Bradshaw lui donna pour secrétaire l'immortel Milton, son parent et son ami. une L'armée, ainsi que nous venons de le remarquer, resta sous les ordres de Fairfax. Quant à la flotte, ses chefs furent changés. On en retira le commandement au comte de Warwick pour le donner à un grand homme de mer improvisé, à Blake, transformé, dans l'espace de vingt-quatre heures, de colonel en amiral, et auquel furent associés Dean et Popham. On nomma ensuite un conseil d'amirauté de trois membres, dont Vane fut élu président. Enfin, haute cour de justice fut constituée pour juger les royalistes. Tous les lords qui comparurent devant elle furent condamnés. La chambre, désormais unique pouvoir et juge suprême de l'État, reçut les demandes en grâce présentées par leurs parents. Lord Norwich, lord Goring, le chevalier Owen furent graciés, mais les lords Capel, Hamilton et Holland furent décapités. Trois victimes, c'était trois fois trop, sans doute, mais avouons que ce petit nombre a lieu d'étonner si l'on songe aux atroces persécutions dirigées contre les puritains, maintenant maîtres du glaive de la loi, si l'on songe qu'il y a bien peu d'annales qui présentent autant d'exemples de répressions sanguinaires que celles de l'Angleterre. Lord Holland même était peu regrettable, car il avait trahi tour à tour les deux partis. Mais on pleura avec raison lord Capel, homme du plus beau caractère, et Hamilton, chef des presbytériens écossais et commandant de l'armée battue par Cromwell à Preston. Après avoir ainsi frappé, dans trois de leurs chefs, les partisans des Stuarts, plus irrités qu'intimidés de ces exécutions, après avoir dépouillé beaucoup de grandes familles de leurs propriétés, converties en biens nationaux, le gouvernement républicain comprit qu'il ne cesserait d'avoir tout à redouter des cavaliers qu'après la soumission de l'Irlande catholique et royaliste, et tourna aussitôt son attention de ce côté. 1. Ces biens, proposés d'abord au prix de dix années de leur affermage annuel, s'élevèrent avec les succès de la république au taux de quinze, seize et dix-sept années de leur revenu net : on vendait les bois à part. Beaucoup de royalistes dont les biens avaient été séquestrés ou confisqués, en obtinrent la restitution ou la mainlevée moyennant une somme plus ou moins forte payée argent comptant. La république subvenait à tous ses besoins avec ces ressources éventuelles et une taxe de 120 000 livres sterling ou 3 000 000 de francs par mois. Histoire de l'Irlande' depuis la conquête jusqu'à Cromwell (1171-1649). Nous avons raconté, en exposant le règne de Henri II, comment les Anglo-Normands avaient pris pied au milieu de la population celtique de l'Irlande. Mais l'éparpillement des forces sociales, divisées à l'infini dans cette malheureuse île, après avoir facilité les commencements de la conquête, devait être un obstacle à son achèvement. Un pays où le pouvoir central est fort est tout à la fois le plus difficile à envahir, et celui dont, après l'invasion, la conquête est le plus facile. C'est tout au rebours dans un pays où la force nationale n'est point centralisée on l'envahit sans peine, mais on parvient très-difficilement à le conquérir. Les Anglo-Normands s'emparèrent sans beaucoup de peine, dans les années 1171 et suivantes, d'une partie de l'Irlande; mais ils firent ensuite, pendant plusieurs siècles, de vains efforts pour achever leur conquête. Jusqu'au règne d'Élisabeth, l'espace conquis n'excéda jamais un tiers de toute l'île, et fut souvent moindre. On l'appelait the Pale, à cause des palissades ou fortifications dont ses limites étaient quelquefois entourées. Le Pale se composait d'une partie du Leinster et du sud du Munster; tantôt une victoire gagnée sur les tribus irlandaises, tantôt un habile traité conclu avec quelqu'un de leurs princes, avançaient les bornes du Pale, qui, d'un autre côté, se rétrécissaient à chaque revers essuyé par les Anglo-Normands. Les conquérants s'efforcèrent souvent d'agrandir le Pale par des invasions dans les provinces d'Ulster et de Connaught; mais, pendant quatre siècles, ils en furent toujours repoussés. Même dans cette partie de l'île que nous appelons le Pale, leur puissance ne cessa pas, durant ces quatre siècles, d'être contestée, et l'histoire nous y montre une suite non interrompue de rébellions irlandaises, éclatant tantôt sur un point, tantôt sur un autre, et ne laissant pas aux conquérants, dans le sein même de leur conquête, un seul instant de repos et de sécurité. En 1406, près de trois cents ans après l'invasion, on vit les Irlandais guerroyant aux 1. Voy, l'Irlande de M. G. de Beaumont. portes de Dublin et ravageant impunément les faubourgs de cette cité. Au milieu du règne de Henri VIII, quand ce prince est à l'apogée de sa puissance, le Pale de la colonie est réduit à un rayon de trente kilomètres1. Mais ce que l'intérêt politique n'avait pu faire dans l'espace de quatre cents ans, l'intérêt religieux l'accomplit dans le cours de quelques années. L'Angleterre, devenant protestante, dut vouloir que l'Irlande le devînt aussi. Néanmoins, tandis que Henri VIII et Élisabeth établissaient à leur gré la religion réformée en Angleterre, tous leurs efforts pour la fonder en Irlande n'aboutirent qu'à trois ou quatre insurrections de ce pays, auxquelles sans doute le sentiment national ne fut pas étranger, mais qui prenaient cependant leur principale source dans cette nouvelle cause de haine que la religion venait de faire naître. Sous Élisabeth en particulier l'Irlande devint le foyer des intrigues de Philippe II, qui y fomenta les révoltes d'O'Nial, d'O'Donnell et du comte de Tyrone. A la vérité, l'Irlande fut domptée par d'énergiques efforts, car Élisabeth, en moins de dix années, y dépensa quatre-vingt-six millions de francs, somme énorme pour ce temps. Toutefois, le résultat de cette soumission fut la cessation de la guerre et non l'adoption du culte anglican. Il ne resta, chez les Irlandais, que le souvenir de la tyrannie : ils se rappelaient que, pour les conquérir et changer leur culte, Élisabeth leur avait infligé une guerre cruelle, suivie de famines affreuses et des fléaux les plus meurtriers. Les Stuarts ayant remplacé les Tudors sur le trône d'Angleterre, les Anglais devinrent d'autant plus protestants, 1. L'histoire de l'Irlande dans les quatre siècles qui suivent la conquête peut se résumer en quelques lignes : 1315, soulèvement des Irlandais qui offrent la royauté à Edouard, frère de Robert Bruce. Édouard livra dix-huit combats aux Anglais et périt au dernier, près de Dundalk. 1337, grande défaite des Irlandais du Connaught par les barons anglais. 1367, statuts de Kilkenny promulgués par le parlement d'Irlande, dans le but machiavélique de rendre plus profonde encore la ligne de démarcation entre les deux populations. On a vu durant la guerre des deux roses, l'Irlande soutenir la maison d'York, puis appuyer Lambert Simnel et Warbeck contre Henri VII qui eut presque à reconquérir le pays une seconde fois. 1534, Henri VIII ayant voulu obliger l'Irlande à rejeter la suprématie romaine, l'ile des Saints y répondit par des insurrections multipliées qu'un système de tolérance et l'habile gouvernement de lord Grey firent disparaître, sans toutefois avancer d'un pas la conquête définitive du pays. |