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L'ESCORTE DU GENERAL LORIS-MELIKOF: TCHERKESSES, KARA PAPAKS ET KURDES

Vous avez derrière vous le glorieux passé de l'armée du Caucase, devant vous des plaines et des montagnes rougies du sang de vos pères et de vos frères !

En avant, avec Dieu, pour la patrie et pour notre grand Souverain!

Le commandant en chef de l'armée du
Caucase, feldzeugmestre général.
MICHEL.

Et les quatre corps d'armée passèrent la frontière.

Opérations du corps d'Erivan.

Au moment de la déclaration de guerre, le corps d'Erivan était campé à Igdyr, à 26 kilomètres de la frontière, et à une distance à peu près doub'e de Bayazid, son premier objectif.

Les Tures ont longtemps prétendu que ce corps n'avait pu franchir les montagnes de l'Ararat, et qu'il était arrivé à Bayazid par le territoire persan. Il ne faut voir dans cette assertion qu'un ingénieux mensonge par lequel le patriotisme essaie de couvrir la faute commise en ne défendant point les défilés de la frontière. Rien n'était cependant plus facile, mais les officiers turcs ne s'étaient pas donné la peine d'explorer le pays. Il n'existait à leur connaissance qu'un défilé situé entre le grand et le petit Ararat; d'énormes blocs de trachyte y barrent quelquefois complétement le sentier qui grimpe péniblement surles éboulements de rocs, et laisse place, là où il se présente dans les meilleures conditions, à peine à deux hommes de front. Le terrain est partout recouvert de scories, de masses de lave refroidies depuis des sièc'es, ce qui le rend extrêmement pénible, et il est absolument impossible qu'une colonne munie d'artillerie, puisse déboucher par une pareille voie. Confiants dans l'impraticabilité de cette route et dans la neutralité de la Perse, les Turcs n'avaient donc laissé qu'une garnison insignifiante à Bayazid, et cette garnison, qui ne s'occupa pas même de remettre les remparts de la ville sur le pied de guerre, attendait les événements dans une parfaite sécurité.

Les Russes n'avaient garde de s'aventurer dans le col de l'Ararat, et ils songeaient encore moins à se créer volontairement des embarras en empruntant le territoire persan alors qu'ils n'en avaient pas besoin. Il y a, en effet, à l'ouest du chemin de l'Ararat une autre route beaucoup plus accessible, et qu'ils avaient fait préparer depuis longtemps pour le passage de l'artillerie par des détachements expédiés tout exprès dans ce but.

Le général en chef Tergoukassof, arménien

comme Loris-Mélikof, et célèbre dans le Caucase par sa conduite à l'assaut de Gounip, la dernière forteresse de Schamyl, ayant reçu avis de la déclaration de guerre, ébranla, le 27 avril, son avant-garde qui se porta dans la direction de Bayazid, et bivouaqua, la nuit, dans les monts Tchonghil. Le reste du corps, divisé en deux colonnes, se mit en marche le lendemain, et arriva en une étape jusqu'à la frontière, la colonne de droite à Koudjak, sur la route des caravanes, et celle de gauche au pont d'Orga.

Ces deux points sont à l'entrée du défilé par lequel l'armée devait descendre dans la vallée du Mourad-Sou, et les troupes s'y engagèrent le 29. Malgré les travaux préparatoires dont nous avons parlé, les routes étaient si mauvaises, qu'elles ne purent faire que quinze kilomètres ce jour-là : l'artillerie et les bagages éprouvèrent des difficultés inouïes. Les soldats furent obligés de s'atteler eux-mêmes et de pousser aux roues. Ils le firent gaiement, car l'entrée en campagne causait une allégresse générale. Les peselniks chantaient en tête des compagnies, et tout le monde reprenait au refrain avec enthousiasme.

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Les peselniks. Comment un simple paysan, l'an 1864, sauva la vie d'Alexandre Nicolaïévitch...

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par des bravades, il faisait dire qu'il était de son devoir de se défendre jusqu'à la dernière extrémité.

A la suite de cette déclaration et d'autres informations portant que les Turcs avaient la ferme intention de défendre Bayazid, le général envoya dans la nuit du 29 au 30, lorsque l'avant-garde fut à Karaboulak, à 6 kilomètres au delà de la frontière, une reconnaissance sur la place.

Le 30, à trois heures du matin, deux sotnias du 2o régiment de Sounja, commandées par le colonel Philippof, chef d'état-major du corps d'Erivan, et accompagné d'officiers d'état-major, d'artillerie et du corps des topographes, se mit en marche afin d'être au lever du jour devant la ville, éloignée de 18 kilomètres du bivouac de l'avant-garde.

A l'aube, le détachement déboucha du mont Samsou dans la plaine et ne tarda pas à apercevoir des piquets d'infanterie et de cavalerie ennemis, établis à 3 kilomètres de la place, sur la ligne du village de Zanghezour. Après avoir examiné le terrain et ne voyant pas d'ouvrages de défense, le détachement s'approcha, au grand jour, à portée de fusil de Zanghezour; les avantpostes turcs se retirèrent immédiatement, sans tirer un coup de fusil, au delà des hauteurs rocheuses qui entourent Bayazid à l'ouest et à l'est. Après avoir occupé Zanghezour, le détachement vit à un peu plus d'une portée de canon deux bataillons turcs, qui se retiraient de la citadelle par un sentier de montagne conduisant aux monts Ala-Dagh au sud-ouest de Bayazid. C'était les 2,000 hommes de la garnison (1) qui se sauvaient sans avoir essayé même un simulacre de défense. Quelques semaines plus tard, on vit arriver à Trébizonde Ali-Kiamali, le pacha de Bayazid avec son harem et ses richesses. Cet estimable Turc avait jugé à propos de mettre toute l'épaisseur de l'Arménie entre l'ennemi et lui. Quand on lui demanda ce qu'il avait fait de la caisse du gouvernement, il répondit qu'elle était tombée entre les mains des Russes.

Après la retraite des troupes, les employés de l'administration municipale (médjilis) promirent de livrer la ville dans les deux heures; mais avant même l'expiration de ce délai, la population exprima sa soumission, et des troubles qui avaient éclaté dans la ville furent réprimés par la municipalité, lorsque le chef du détachement eut menacé d'envoyer des cosaques pour rétablir l'ordre. Informé de la situation par le colonel Philippof, le général Tergoukassof se dirigea sur Baya(1) 800 nizams, 700 rédifs, 500 cavaliers.

zid avec l'avant-garde. Arrivé à Zanghezour, le chef du corps d'Erivan fut reçu par les notables de la ville, le clergé chrétien et musulman, et la population. On lui remit une lettre du pacha. Ali-Kiamali disait qu'il remettait les habitants de la ville et les militaires malades à la générosité des troupes russes. Après avoir lu cette missive à haute voix devant la population, le général déclara que l'armée russe ne combattait que contre des ennemis en armes, et qu'elle protégeait les habitants sans défense.

On trouva dans Bayazid 12 canons, 50 malades, et des approvisionnements considérables consistant surtout en farine et en riz. Le médecin attaché à l'hôpital, un sujet autrichien nommé le docteur Hofman, était resté auprès des malades. Le premier soin des Russes fut de remettre les remparts en état et de les garnir de bonne artillerie, en sorte que la place fût à l'abri d'un coup de main.

Le lendemain 19 mai, le général Tergoukass of nomma le lieutenant-colonel Kovalevsky commandant de la ville et de la citadelle, et le chargea de siéger au conseil municipal qui fut maintenu pour l'administration intérieure. Le même jour il y eut sur la place publique une grande parade des cosaques de la colonne, et leur fanfare joua l'hymne. russe pendant qu'on hissait sur le bâtiment destiné au gouverneur le grand aigle à deux têtes des czars. Cette prise de possession impressionna vivement la population.

L'occupation de Bayaz'd ne peut être appréciée ayec justesse qu'en tenant compte de la position topographique de cette ville. Quelque incomplète que soit nécessairement la carte que nous avons mise sous les yeux de nos lecteurs, s'ils veulent bien suivre la ligne qui sert de frontière entre la Russie et l'Empire ottoman et la Perse, ils remarqueront qu'à l'extrémité méridionale de cette ligne la Turquie a vers l'Est une sorte de saillie. Les eaux qui s'écoulent du versant du grand Ararat et du petit Ararat au Sud, descendent une vallée resserrée dont le haut appartient à la Turquie, mais dont le bas est à la Perse. Cette vallée ne dépend que par un lien politique et administratif de l'Arménie; elle en est géographiquement séparée par un col assez élevé.

Bayazid, située au milieu de cette vallée, cheflieu d'un district, avait une grande importance autrefois comme station commerciale entre la Perse et l'Arménie. Les Arméniens allaient chercher à Tauris les marchandises de l'Inde et de la Perse, et les apportaient à Bayazid par Marand, Choï et l'Assbudagh. De Bayazid, ces mar

chandises étaient portées à Erz roum, à Trébizonde, d'où elles étaient expédiées à Constantinople et sur tous les rivages de la mer Noire. Plusieurs circonstances ont changé cet état de choses. La Turquie, en maintenant des tarifs de douane très-élevés, a détourné le transit des marchandises de l'Orient par l'Arménie. La Russie, au contraire, a, par l'absence des droits de douane, attiré le commerce vers Erivan et Elisabethpol. La route russe offre d'ailleurs au commerce une accélération notable dans ses expéditions, par suite de l'établissement d'une route excellente d'Erivan à Tiflis, et du chemin de fer de Tiflis à Poti. Les beaux tapis des fabriques persanes, comme les tapis plus grossiers du Khorassan, qui autrefois étaient apportés à Trébizonde, n'y paraissent plus aujourd'hui, et Bayazid a perdu l'importance qu'elle avait comme entrepôt.

Au point de vue militaire, elle en a peu dans une lutte contre la Russie, puisqu'elle se trouve en l'air, et que les communications entre Bayazid et le reste de l'Arménie peuvent être très-facilement coupées. Cependant, au point de vue des Russes, elle a cet avantage qu'elle fournit une base d'opération contre les Kurdes qui errent autour du lac de Van, et qu'elle assure le flanc du corps d'Erivan. Il semble donc que les Turcs auraient au moins dû essayer de la défendre. Nous devons dire pourtant qu'il s'est trouvé beaucoup de militaires qui estiment que Mouktar-Pacha, à cause de l'étendue de la ligne qu'il a à défendre, a bien fait d'abandonner une position détachée, fort avancée et fort exposée. Nous ajouterons simplement qu'il semble ressortir des faits que cet abandon ne saurait être attribué comme un mérite au général turc, car l'occupation de Bayazid nous paraît avant tout être le résultat d'une surprise.

Après avoir compté jusqu'à 50,000 habitants au temps de sa splendeur, cette ville en est réduite à une population masculine de 1,300 âmes, dont 800 Turcs, 400 Kurdes et un petit nombre d'Arméniens. Ces habitants sont profondément dégradés physiquement et intellectuellement, et pendant l'intervalle qui s'écoula entre l'évacuation par les troupes turques et l'occupation par les troupes russes, Bayazid fut le théâtre de désordres sans nom. Abandonnés par l'autorité, les malades furent dévalisés par les habitants, qui se livrèrent à de nombreux actes de désordre et de pillage; tous les magasins de l'Etat furent pillés, les édifices publics, la maison du pacha et d'autres habitations furent saccagés.

Après avoir occupé la ville, le général Tergoukassof y laissa son avant-garde et établit le gros de ses forces à Arzib, à 22 kilomètres au nordouest de Bayazid; la colonne de droite, aux ordres du lieutenant-colonel Schinschew, ful laissée entre Myssoun et Karoum, à quelques kilomètres du détachement principal. Les troupes du corps d'Erivan, arrêtées par des pluies qui transformaient les défilés des montagnes en lits de torrents, gardèrent ces positions pendant plusieurs jours, qui furent employés à organiser l'administration du pays occupé. Le général Tergoukassof, conformément aux instructions du général Loris-Melikof, mit tous ses soins à cette dernière tâche; il n'admit que des employés connaissant bien le Caucase et ses mœurs, et sachant au moins l'une des langues du pays. Par égard pour les Kurdes, fort nombreux autour de la ville, il institua comme gouverneur civil du district l'un d'eux, le musulman Chevich-Oglou. C'était la meilleure manière de prouver aux populations que les Russes n'entendaient point faire une guerre de religion.

Le 8 mai, le corps d'Erivan laissant une garnison de 2,000 hommes à Bayazid, se remit en route. Après avoir traversé un plateau presque désert, où le sol parsemé de rocs de basalte rendait la marche excessivement pénible, il arriva devant Diadine, chef-lieu d'un district (kaza), qui compte de 15 à 18,000 habitants kurdes pour la plupart, et s'en empara sans rencontrer de résistance.

Diadine a une grande importance stratégique, parce que c'est de là que part le seul chemin praticable qui conduise par les hautes crêtes du başsin de Van dans la ville du même nom. Par cette route on peut à volonté pénétrer au cœur des tribus kurdes de Heideranly et les tenir en respect. Le général Tergoukassof eut du reste à l'utiliser immédiatement. Apprenant qu'un détachement d'une quinzaine de mille hommes, turcs, bachi-bouzouks et kurdes mêlés, se réunissait au bord du lac dans l'intention d'attaquer la garnison qu'il avait laissée à Bayazid, et de couper les communications de son corps d'armée, il envoya une forte colonne de cosaques sous les ordres du prince Amilochvarof pour le disperser. Les Kurdes furent surpris à la vue de ces hardis cavaliers bondissant avec tant d'agilité le long des affreux précipices qui bordent de toutes parts ce sentier de montagne, ils n'osèrent les attendre et s'éparpillèrent, et l'expédition dut revenir sons avoir pu joindre l'ennemi.

L'effet moral n'en avait pas moins été produit.

officiers turcs avaient obtenus des habitants du pays par voie de réquisitions forcées. Le général Tergoukassof pouvait se les approprier comme une prise légitime; mais fidèle à la politique de séduction que les Russes suivent en Arménie, il rendit généreusement à tous ceux qui réclamèrent ce que les Turcs leur avaient enlevé. Il fit plus encore, les exactions des troupes ottomanes ayant

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BAYAZID ET LE MONT ARARAT

Abandonnant leurs projets sur Van, les troupes ottomanes s'en allèrent à travers les montagnes rejoindre sept bataillons installés dans un camp retranché près de Karakilissa, et devancèrent ainsi. la colonne russe dans la plaine du Mourad-Sou. Rassuré par ces résultats, le général Tergoukassof laissa un fort détachement à Diadine pour garder la route de Van, et continua sa marche.

Le corps d'Erivan suivit dès lors la vallée du Mourad-Sou. La route était plus facile, bien que resserrée parfois dans des gorges au caractère alpestre, le pays était plus fertile et plus peuplé. En deux étapes il arriva à Sourp-Ogannès, autrement dit Outchkilissa, où les Arméniens présents sous les drapeaux purent aller saluer le monastère de Saint-Jean-Baptiste, fondé en 312 par SaintGrégoire, l'apôtre de l'Arménie, et fameux dans leur religion. On trouva à Outchkilissa, qui avait été précipitamment abandonné par les Turcs, des approvisionnements considérables de blé que les

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complétement ruiné une partie de la population qui n'avait plus même de grain pour ensemencer les terres, il fit distribuer des semailles et bénir ainsi le nom russe.

Les Russes restèrent pendant une douzaine de jours dans leurs positions de Sourp-Ogannès. Bien qu'ils ne fussent encore qu'à 50 kilomètres de Bayazid, il leur fallut tout ce temps pour achever le transport de leur matériel à travers les mauvais chemins et les pénibles défilés que l'armée venait de parcourir. Le général Tergoukassof mit le délai à profit pour organiser ses approvision e

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