verains. L'ancien équilibre de l'Europe pouvait encore se rétablir avec quelques modifications. L'Angleterre pouvait être attaquée au centre de sa domination commerciale avec moins de danger que sous Catherine II(1). L'énergie combinée de toutes les puissances pouvait assurer leur indépendance maritime, et leur procurer une paix plus durable que celle d'Amiens. L'apparition d'une flotte anglaise devant Cronstadt n'aurait pas ébranlé l'opiniâtreté naturelle de Paul I." Il avait d'immenses moyens de vengeance: sa mort seule pouvait rassurer le gouvernement britannique; le vœu des Anglais l'appelait publiquement (2): elle arriva le 23 mars 1801. N'arrêtons point nos regards sur ce spectacle dont le palais des tzars a déjà offert des exemples inouis dans l'histoire moderne. Ailleurs le poignard d'un assassin ose attenter à la vie des rois, par la surprise et dans l'obscurité; ici, c'est dans son palais, entouré de ses courtisans, au milieu de sa famille, qu'un monarque, luttant contre ses meurtriers, tombe étouffé par leurs efforts, sans que personne vienne à son secours, sans qu'une seule voix réponde à ses cris. Contraignons notre indignation, étouffons les soupçons; laissons le voile épais qui couvre encore cet attentat, (1) Paul Ier était décidé à entreprendre une expédition dans I'Inde. Quarante-cinq mille cosaques étaient déjà désignés pour en faire partie. (Clarke's Travels, ch. XIII.-Note tirée du manusc. d'Heber.} (2) Clarke's Travels, chap. I. puisque la justice souveraine ou la piété filiale ne l'ont pu soulever (1). Jamais la mort d'un souverain n'apporta plus de changement dans le système d'un cabinet, que celle de Paul I." : le caractère de son successeur l'avait fait prévoir (2). er A la haine qui semblait devoir séparer pour toujours les (1) On a hautement accusé le Gouvernement britannique de cet assassinat, d'après l'axiome: Is fecit cui prodest. Cette accusation, qu'il a repoussée avec des marques d'indignation, avait été malheureusement justifiée par la joie indécente que tous les Anglais témoignèrent de cet événement, et par la part que leur Gouvernement prit quelque temps après à une entreprise non moins odieuse... (2) Quoique nous ne puissions nous permettre de porter ou même d'approuver un jugement définitif sur un personnage auguste encore vivant, et que ce soit à la postérité seule à juger ceux que la Providence appelle à gouverner les peuples, nous avons cru pouvoir rappeler à l'attention de nos lecteurs quelques fragmens du portrait de ce prince, tel qu'il a été tracé long-temps avant qu'il montât sur le tròne on pourra fes appliquer aux circonstances déjà connues de son règne : : On trouve presque réalisé dans ce jeune prince cet idéal qui nous >> enchante dans Télémaque.... On pourrait aussi lui reprocher les mêmes défauts que le divin Fénélon laisse à son élève : mais ce » sont peut-être moins encore des défauts que l'absence de quelques qualités qui ne se sont point encore développées en fui, ou qui ont été repoussées de son cœur par les alentours méprisables qu'on lui » a donnés. Il a de Catherine une grandeur de sentimens et une égalité » d'humeur inaltérable, un esprit juste et pénétrant, et une discrétion >> rare, mais une retenue, une circonspection qui n'est point de son Anglais et les Russes, aux vexations dont les premiers se plaignaient d'être victimes, succédèrent tout-à-coup les intelligences, les égards et les complaisances. Ce qu'une flotte redoutable et des menaces insolentes de l'amiral Parker devant Cronstadt n'avaient pu obtenir, la mort imprévue de Paul I. l'opéra sans délai, sans difficulté, sans secousse, comme par enchantement (1). II ne fut plus question ni de la remise de Malte, ni des droits de la neutralité : les Anglais se retrouvèrent, presque sans le demander, en possession de leurs » âge, et qui serait de la dissimulation, si l'on ne devait point l'attri» buer à la position gênée où il s'est trouvé entre son père et sa grand» mère, plutôt qu'à son cœur, naturellement franc et ingénu... » Pauf, devinant les intentions de Catherine en faveur de ce fils, a toujours eu de l'éloignement pour lui: il ne lui trouve ni son carac» tère, ni ses goûts; car Alexandre paraît se prêter par obéissance plus que par inclination à ce que son père exige de lui. La nature fa » doué des plus aimables qualités.... Au reste, il est d'un caractère heureux, mais passif. Il manque de hardiesse et de confiance pour >> rechercher l'homme de mérite, toujours modeste et retenu : il est à > craindre que le plus importun ou le plus effronté, qui est ordinaire»ment le plus ignare ou le plus méchant, ne parvienne à l'obséder. Se » laissant trop aller aux impulsions étrangères, il ne s'abandonne pas » assez à celles de sa raison et de son cœur. Il sembla perdre l'envie de » s'instruire en perdant ses maîtres et sur-tout le colonel La Harpe, son » premier précepteur, à qui il doit ses connaissances. Un mariage trop » précoce a pu amortir son énergie; et malgré ses heureuses disposi>>tions, il est menacé de devenir un jour la proie de ses courtisans.... » (Mémoires secrets sur la Russie, Amsterdam, 1800, vol. I, pag. 270273.) (1) Annual Register for the year 1801, pag. 279, 280. biens et de leurs priviléges (1). Le traité de commerce fut rétabli dans tous ses avantages; et les actes si célèbres de la neutralité armée furent annullés dans la même année, par une convention maritime où le principe essentiel de la convention de 1780, « que le >> pavillon couvre la marchandise », fut tout-à-fait abandonné (2), concession importante que l'Angleterre a regardée comme la sanction solennelle de son droit et le palladium de sa puissance commerciale (3). Dans la même année, un traité de paix fut conclu entre la France et la Russie (4). If ne changeait rien à leur situation positive: il devait même rétablir des rela (1) 18 Mai 1801, ukase portant levée de l'embargo décerné contre les Anglais. (Recueil de Martens, supplément, tom. II, pag. 464.) (2) Convention maritime entre la Grande-Bretagne et la Russie, avec les articles séparés, 17 juin 1801. (Recueil de Martens, supplé ment, tom. II, pag. 482 - 484.) Déclaration explicative de l'art. 3. (Ibid. tom. III, pag. 192.) par une Par cette convention, l'Angleterre cut l'air de faire quelques sacri fices, en bornant le droit de visite aux vaisseaux de guerre armés par le Gouvernement, en désignant les objets de contrebande, en reconnaissant le blocus d'une place maritime doit être effectué que force capable d'en empêcher l'entrée ; mais ces concessions étaient exprimées dans des termes si vagues, qu'elles n'ont défendre les neutres de nouveaux outrages, et qu'elles ont été ouvertement violées. par les ordres du conseil de 1806. pu (3) Les ministres s'en sont hautement glorifiés dans les deux chambres, séance du 13 novembre 1801. (New Annual register for the year 1802, pag. 256-268.) (4) Traité entre la France et la Russie, conclu à Paris, le-8 ocz tobre 1801. (Recueil de Martens, supplément, tom. II, pag. 551.)' tions plus amicales entre deux États, dont l'influence était décisive et dont les intérêts étaient communs. Si le traité d'Amiens eût été fidèlement observé, si les droits des neutres eussent été religieusement respectés, l'équilibre de l'Europe pouvait alors, malgré les changemens énormes qui venaient de s'y faire, être fondé sur des bases non moins solides que celles du traité de Westphalie. La Russie avait pris dans le nouveau système la place de la Suède; une puissance maritime, supérieure à toutes les autres, exerçait une action continuelle sur le Continent: mais l'accroissement territorial de la France avait compensé la diminution de sa force maritime. Impénétrable à ses ennemis, en paix avec l'Autriche et la Prusse, en alliance étroite avec l'Espagne et la Turquie, elle avait repris sa place de puissance prépondérante; elle balançait avantageusement celle qui pesait à l'autre extrémité de l'Europe. Mais le Gouvernement britannique ne voulait lui laisser ni ses conquêtes, ni les sûretés nécessaires à son existence continentale, ni les moyens de relever sa marine : il rompit le traité dont l'Europe avait attendu sa tranquillité. Tandis qu'il travaillait à consommer la ruine de la plus belle des colonies françaises (1) par des pratiques secrètes avec les révoltés, il étendait sourdement son influence sur tous les cabinets. Celui de Pétersbourg, ouvert à ses (1) Saint-Domingue. |