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- Au coin de la rue, répondit Eugène. Vous allez remonter? j'imagine.

- Mais je vais faire porter votre lettre au commissionnaire, interrompit Claire; donnez-la-moi.

Et la jeune femme étendit la main vers l'artiste. Non, répondit celui-ci; j'ai quelques recommandations à faire au porteur; je préfère descendre moi-même. Je suis de retour dans cinq minutes.

Pendant la courte absence de Lazare, Eugène et sa maîtresse restèrent embarrassés en face l'un de l'autre. Une vague inquiétude flottait encore dans l'esprit de Claire, dont le visage supportait difficilement le masque de la dissimulation, et Eugène, qui l'observait, attendait avec une inquiétude égale le retour d'un indice rassurant qui lui vînt annoncer que cette fois du moins il en serait quitte pour

la peur.

-Quel temps fait-il dehors? demanda Claire avec indifférence en s'approchant de la cheminée et en appuyant son brodequin sur la barre du foyer pour l'exposer à la chaleur de l'âtre.

Comment! fit Eugène, tu viens de dehors, et tu me demandes le temps qu'il fait? A quoi donc penses-tu?

Cette naïveté échappée à la jeune femme devenait pour lui une preuve que tout n'était pas fini; il se mit donc à tout hasard sur la défensive, et chercha à deviner de quel côté viendrait l'attaque. Ce fut la franchise naturelle de Claire qui le lui indiqua par l'obstination de son regard, arrêté depuis un moment sur une lettre à moitié dépliée qu'elle venait d'apercevoir sur le marbre de la cheminée. Le soupçon de Claire' était tombé en arrêt sur ce billet, dont la présence lui avait été dénoncée par une forte odeur d'ambre.

Diable! pensa Eugène; on ne songe jamais à tout. Ce chiffon de papier serait beaucoup mieux placé, pour mon repos, dans la cheminée que dessus.

Il se rassura cependant en faisant la réflexion que cette lettre, à laquelle Lazare portait une réponse, ne pouvait fournir aucune accusation directe contre lui, puisque son nom ne s'y trouvait pas. Son plan fut vite conçu, et il avait une réponse toute prête en cas d'interrogation. Claire de son côté dévorait des yeux la lettre qu'elle supposait, par son contenu, devoir mettre fin à ses incertitudes. En faisant courir ses doigts sur le marbre de la cheminée comme sur un clavier, il lui arrivait de temps en temps d'effleurer le billet, dont le contact lui causait une tentation de curiosité aussitôt contenue par l'attitude indifférente d'Eugène. Cette insouciance apparente était une ruse du jeune homme, qui avait compris que le moindre signe d'inquiétude qu'il laisserait paraître confirmerait le soupçon de Claire, et rendrait plus difficile l'explication qu'il comptait lui don

ner. Il la laissa donc se livrer à son petit manége, et se mit tranquillement à rouler une cigarette. Comme il l'allumait au verre de la lampe, quelques débris de tabac brûlé tombèrent sur la tablette de la cheminée. Prends donc garde! s'écria Claire, tu vas brûler le velours. - Et elle se baissa un peu pour chasser avec son souffle les cendres tombées de la cigarette d'Eugène.

Dans cette position, elle put jeter un rapide coup d'œil sur la lettre; mais celle-ci n'étant pas ouverte dans le sens de l'écriture, elle ne réussit pas à saisir un mot de nature à justifier ou à détruire ses présomptions. Un grain de cendre rebelle fournit à Claire un prétexte de souffler un peu plus fort. La lettre s'envola et vint tomber sur le tapis. La jeune femme se baissa avec précipitation, ramassa le billet et fit une moue de dépit, lorsque, l'ayant retourné du côté où se trouve ordinairement la suscription, elle ne vit aucune adresse. -Elle sera venue sous enveloppe, pensa-t-elle en replaçant la lettre à l'endroit où elle se trouvait. Quelque désir qu'elle eût de fixer ses doutes, Claire reculait devant une brutale indiscrétion. De là tous ces détours, toutes ces subtilités qui n'échappaient point à Eugène, et dont il souriait intérieurement, ce qui ne l'empêchait pas de rendre justice aux allures discrètes de cette jalousie en éveil, qui chez bien d'autres femmes, et en pareille circonstance, n'eût pas montré les mêmes scrupules. Eugène s'approcha de Claire. Qu'est-ce qui se passe là-dedans? lui demanda-t-il en lui frappant sur le front du bout des doigts. Et pourquoi la sage Minerve a-t-elle les yeux de Junon?

Claire secoua la tête et ne répondit rien. Eugène s'éloigna d'elle, prit la lettre restée sur la cheminée, la plia en petit carré et se disposa à la mettre dans sa poche. C'est cela qui t'inquiète? fit-il en montrant le papier.

Dam!...

-

Sancta simplicitas! reprit le jeune homme; comment, tu ne comprends pas?... C'est pourtant aussi clair que de l'eau de roche. L'ami Lazare a reçu tantôt à notre porte un message fort galamment ambré, comme tu peux en avoir la preuve, ajouta-t-il en faisant passer le billet parfumé devant le visage de la jeune femme. C'est à ce message qu'il était en train de répondre quand tu es entrée, et c'est cette réponse qu'il porte en ce moment.

Mais, dit Claire en observant son amant, ne trouves-tu pas singulier que M. Lazare reçoive chez nous sa correspondance?

Surtout quand elle est ambrée, fit le jeune homme. C'est à la fois singulier et indiscret; mais voici comment j'expliquerai le fait. Lazare attendait cette lettre quand je suis allé le prendre dans son atelier. L'ayant pressé de me suivre, il aura laissé notre adresse à son concierge pour qu'on lui expédiât ici le message attendu. Le mes

sager est arrivé derrière nous; il a rattrapé Lazare à la porte et a fait sa commission.

Comment ce commissionnaire aurait-il reconnu M. Lazare dans la rue? continua Claire avec cette persistance qui rend l'inquisition féminine si périlleuse.

C'est probablement son messager ordinaire... Un rien t'arrête!...

Ce n'est pas comme toi : tu as réponse à tout, dit Claire; mais, ajouta-t-elle, si ce commissionnaire connaît M. Lazare, comment se fait-il que ce soit d'abord à toi et non pas à lui qu'il ait remis cette lettre?

Cette fois Eugène, ne se trouvant pas prêt à la parade, prit le parti de rompre :-Eh! eh! dit-il, si vous avez vu cela, vous n'étiez donc pas dehors! Menteuse et curieuse dans un seul jour! Je vous marque deux mauvais points, Minerve! - Et il appliqua doucement ses mains sur chacune des joues de Claire.

-Tu ne m'as toujours pas répondu, dit-elle.

Eugène pensa qu'une preuve d'extrême confiance ferait peut-être diversion dans l'esprit inquiété de la jeune femme : — - Aimes-tu les pommes? lui dit-il gravement... Oui, tu dois aimer celles-là.

Claire l'écoutait sans comprendre.

-Eh bien! reprit Eugène en lui présentant son bras élevé audessus de sa tête, eh bien! fille d'Eve, voilà un pommier, secoue la branche, et partageons le fruit défendu.

Claire aperçut la lettre tant convoitée dans la main d'Eugène, qui s'amusa deux ou trois fois à la lui retirer au moment où elle allait s'en emparer. Il finit par la laisser tomber à ses pieds. Claire la ramassa avec précipitation et se mit à lire. C'est d'une femme! dit-elle entre ses dents.

- Je ne cacherai pas que je m'en doutais, répondit Eugène. Lazare voulait me persuader que c'était de son notaire, mais je n'ai accepté son dire que sous toutes réserves. Ce garçon-là est un puritain de la pire espèce. C'est un hypocrite. A l'entendre, il menait une vie auprès de laquelle l'existence des anachorètes les plus vénérés n'était qu'une saturnale. Tu sais que tu m'as promis que je serais de moitié dans l'indiscrétion, continua le jeune homme. Est-ce que nous devrons toujours offrir à Lazare un bouquet de fleur d'oranger pour sa fête? N'en est-il qu'à la préface? lui fait-on espérer un dénoûment? que dit cette lettre?

- C'est la lettre d'une femme qui a de l'esprit et pas de cœur, murmura Claire pensive.

Il y en a tant qui n'ont ni l'un ni l'autre, répondit Eugène en faisant un mouvement qui échappa à Claire préoccupée de sa lecture.

-Tiens, lis, dit-elle à Eugène quand elle eut achevé.

Celui-ci prit la lettre, et parut la lire avec attention. Tu as raison, fit-il avec une ironie dont l'accent pouvait être suspecté; ce billet a été écrit au coin d'une table de toilette, entre le pot de rouge et la boîte à poudre de riz, pendant qu'un créancier battait le rappel avec ses grosses bottes dans l'antichambre. Cependant, comme il y a trois pages, il y avait peut-être bien trois créanciers. Il n'y a pas un mot de cette lettre qui ne soit un chiffre tordu en hameçon, avec une niaiserie sentimentale au bout pour amorce: c'est une facture en style de romance.

-Oh! dit Claire, ce pauvre Lazare sera-t-il en état de l'acquitter? Eugène releva la tête : - Fais-lui la leçon, dit-il à Claire. D'après cette lettre, je le crois en mauvaises mains.

- Il faudrait d'abord qu'il me fit sa confidente, répondit Claire. Puis elle ajouta en regardant le jeune homme jusqu'au fond des yeux N'as-tu pas remarqué dans cette lettre une contradiction singulière? On y fait allusion à une soirée passée avant-hier avec M. Lazare.

-Eh bien? fit Eugène.

- Eh bien! affirma Claire, M. Lazare a passé la soirée d'avanthier avec moi.

- Pendant que je passais la mienne chez mon père, dont c'est le jour, répliqua vivement Eugène. Qu'est-ce que cela prouve? Il y a un certain monde où la soirée ne commence qu'après le coucher du gaz.

Au même instant, Lazare rentra. Son retour ne laissa pas d'alarmer Eugène. Il craignait qu'une brusque interrogation de Claire ne vînt à embarrasser l'artiste, qui, n'étant pas prévenu, pourrait bien ne pas prendre l'initiative du personnage qu'il devenait utile de lui faire jouer. Claire ne les perdait pas de vue ni l'un ni l'autre, et se promettait bien de les surveiller pendant le dîner; mais comme on allait se mettre à table, la femme de chambre vint la demander pour un détail d'intérieur. Voici une lettre qui m'a fait mettre à la question depuis une heure, dit rapidement Eugène à son ami en lui remettant le billet. Elle vous appartient, ajouta-t-il avec un accent significatif. Vous êtes amoureux, et il est nécessaire que Claire soit votre confidente.

Nécessaire pour vous, dit Lazare.

Pour elle aussi, puisque cette ruse lui rendra la tranquillité. Je comprends. Allons, j'accepte le rôle; mais je ne sais pas trop comment je le jouerai.

Chut! voici Claire.

Eugène s'attendait à ce que sa maîtresse lancerait pendant le dî

ner quelques phrases qui fourniraient à Lazare l'occasion d'entrer en scène; mais elle s'abstint de toute allusion à ce qui s'était passé. En quittant la table, Eugène annonça qu'il allait sortir. Me restezvous? demanda Claire à l'artiste.

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Oh! fit Eugène, je crois qu'il est imprudent de compter ce soir sur l'ami Lazare. Il a reçu certaines dépêches...

-Je n'ai affaire que dans une heure ou deux, répondit l'artiste.

- Eh bien! fit Eugène en s'adressant à Claire, comme je serai peut-être rentré avant le départ de Lazare, tu ne passeras pas la soirée seule. Toi qui aimes les romans, ajouta-t-il tout bas en lui désignant l'artiste, fais-lui raconter le sien.

Resté seul avec Claire, Lazare demeura fort contrarié du personnage qu'il avait accepté. Quelque chose dont il ne se rendait pas bien compte le blessait dans ce rôle. Pour qu'il atteignît le but que son ami s'était proposé en le lui confiant, il fallait qu'il mît dans ses révélations une conviction qui leur retirât toute apparence mensongère; mais saurait-il tromper la finesse d'une femme ayant l'expé– rience des sentimens que devant elle il devait feindre pour une autre? Son observation assidue n'intimiderait-elle pas le jeu d'un comédien novice? En supposant que Claire devinât la figure sous le masque, quand elle lui aurait retiré le sien, quelle attitude aurait-il devant elle? Une fort ridicule sans doute. Le moins qu'elle pût faire, c'était de se moquer de lui, et dans cette moquerie il était bien difficile qu'elle ne mêlât pas quelque amertume à propos de cette conspiration préméditée qui avait pour but de la tromper... Ce dénouement inquiétait Lazare. Il voyait sa situation compromise dans la maison où la rancune de Claire pouvait aller jusqu'à le mettre dans l'obligation de ne plus reparaître. Et cependant ce qu'il redoutait le plus, c'était que son récit fût accepté, et qu'aux yeux de la jeune femme cette fable eût l'apparence d'une vérité. Cette inquiétude n'était qu'instinctive, il n'en soupçonnait pas la cause précise, mais elle existait. Toutefois il put espérer quelque temps qu'il n'aurait pas besoin de jouer ce rôle qui lui répugnait. Au lieu d'aller au-devant des confidences de Lazare, Claire la première lui fit les siennes. Ce fut l'épanchement déjà pénible, mais non pas encore plaintif, d'une âme qui se sent blessée, et n'ose pas regarder sa blessure dans la crainte de la trouver trop profonde. On voyait dans ce récit que son amour pour Eugène, au lieu d'être l'hôte paisible de son cœur, y brisait chaque jour quelque nouvelle illusion. Elle en rapprochait bien encore les débris, mais ceux-ci devenaient sans cesse plus nombreux, et elle avouait avec découragement que la patience pourrait

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