« Angel! s'écria Alexis, comment ce passage n'a-t-il pas frappé les chrétiens lorsqu'ils ont conçu l'idée idolâtrique de faire de Jésus-Christ un Dieu Tout-Puissant, un membre de la Trinité divine? Ne s'est-il pas expliqué lui-même sur cette prétendue divinité? n'en a-t-il pas repoussé l'idée comme un blasphème? Oh! oui, il nous l'a dit, cet homme divin! nous sommes tous des dieux, nous sommes tous les enfants de Dieu, dans le sens où saint Jean l'entendait en exposant le dogme au début de son Évangile... « A tous ceux qui ont reçu la parole (le logos divin) il a donné le droit d'être faits enfants de Dieu. » Oui, la parole est Dieu; la révélation, c'est Dieu, c'est la vérité divine manifestée, et l'homme est Dieu aussi, en ce sens qu'il est le fils de Dieu, et une manifestation de la Divinité: mais il est une manifestation finie, et Dieu seul est la Trinité infinie. Dieu était en Jésus, le Verbe parlait par Jésus, mais Jésus n'était pas le Verbe. << Mais nous avons d'autres trésors à examiner et à commenter, Angel; car voici trois manuscrits au lieu d'un. Modère l'ardeur de ta curiosité, comme je dompte la mienne. Procédons avec ordre, et passons au second avant de regarder le troisième. L'ordre dans lequel Spiridion a placé ces trois manuscrits sous une même enveloppe doit être sacré pour nous, et signifie incontestablement le progrès, le développement et le complément de sa pensée. » Nous déroulâmes le second manuscrit. Il n'était ni moins précieux ni moins eurieux que le premier. C'était ce livre perdu durant des siècles, inconnu aux générations qui nous séparent de son apparition dans le monde ; ce livre poursuivi par l'Université de Paris, toléré d'abord et puis condamné, et livré aux flammes par le saint-siége en 1260: c'était la fameuse Introduction à l'Evangile éternel, écrite de la propre main de l'auteur, le célèbre Jean de Parme, général des Franciscains et disciple de Joachim de Flore. En voyant sous nos yeux ce monument de l'hérésie, nous fùmes saisis, Alexis et moi, d'un frisson involontaire. Cet exemplaire, probablement unique dans le monde, était dans nos mains; et par lui qu'allions-nous apprendre? avec quel étonnement nous en lûmes le sommaire, écrit à la première page: « La religion a trois époques comme le règne des trois << personnes de la Trinité. Le règne du Père a duré pen<«<dant la loi mosaïque. Le règne du Fils, c'est-à-dire « la religion chrétienne, ne doit pas durer toujours. Les «< cérémonies et les sacrements dans lesquels cette reli<< gion s'enveloppe, ne doivent pas être éternels. Il doit << venir un temps où ces mystères cesseront, et alors << doit commencer la religion du Saint-Esprit, dans la<< quelle les hommes n'auront plus besoin de sacre«<ments, et rendront à l'Être suprême un culte purement «< spirituel. Le règne dụ Saint-Esprit a été prédit par << saint Jean, et c'est ce règne qui va succéder à la reli«gion chrétienne, comme la religion chrétienne a suc« cédé à la loi mosaïque. » « Quoi! s'écria Alexis, est-ce ainsi qu'il faut entendre le développement des paroles de Jésus à la Sama ritaine L'heure vient que vous n'adorerez plus le Père ni à Jérusalem ni sur cette montagne, mais que vous l'adorerez en Esprit et en Vérité?, Oui la doctrine de l'Évangile éternel! cette doctrine de liberté, d'égalité et de fraternité qui sépare Grégoire VII de Luther, l'a entendu ainsi. Or, cette époque est bien grande c'est elle qui, après avoir rempli le monde, féconde encore la pensée de tous les grands hérésiarques, de toutes les sectes persécutées jusqu'à nos jours. Condamné, détruit, cet œuvre vit et se développe dans tous les penseurs qui nous ont produits; et des cendres de son bûcher, l'Evangile éternel projette une flamme qui embrase la suite des générations. Wiclef, Jean Huss, Jérôme de Prague, Luther! vous êtes sortis de ce bûcher, vous avez été couvés sous cette cendre glorieuse; et toimême Bossuet, protestant mal déguisé, le dernier évêque, et toi aussi Spiridion, le dernier apôtre, et nous aussi les derniers moines! Mais quelle était donc la pensée supérieure de Spiridion par rapport à cette révélation du treizième siècle? Le disciple de Luther et de Bossuet s'était-il retourné vers le passé pour embrasser la doctrine d'Amaury, de Joachim de Flore et de Jean de Parme? Ouvrez le troisième manuscrit, mon père. Sans doute, il sera la clef des deux autres. >> Le troisième manuscrit était en effet l'œuvre de l'abbé Spiridion, et Alexis, qui avait vu souvent des textes sacrés, copiés de sa main, et restés entre celles de Fulgence, reconnut aussitôt l'authenticité de cet écrit. Il était fort court et se résumait dans ce peu de lignes : « Jésus (vision adorable) m'est apparu et m'a dit: « Des quatre évangiles, le plus divin, le moins entaché << des formes passagères de l'humanité au moment où << j'ai accompli ma mission, est l'évangile de Jean, de « celui sur le sein duquel je me suis appuyé durant la << passion, de celui à qui je recommandai ma mère en .<< mourant. Tu ne garderas que cet évangile. Les trois << autres, écrits en vue de la terre pour le temps où ils «< ont été écrits, pleins de menaces et d'anathèmes, ou << de réserves sacerdotales dans le sens de l'antique << mosaïque, seront pour toi comme s'ils n'étaient pas. « Réponds; m'obéiras-tu? « Et moi, Spiridion, serviteur de Dieu, j'ai répondu : « J'obéirai. « Jésus alors m'a dit: Dans ton passé chrétien, tu << seras donc de l'école de Jean, tu seras Joannite. « Et quand Jésus m'eut dit ces paroles, je sentis en moi «< comme une séparation qui se faisait dans tout mon « être. Je me sentis mourir. Je n'étais plus chrétien; << mais bientôt je me sentis renaître, et j'étais plus chré« tien que jamais. Car le christianisme m'était révélé, et << j'entendis une voix qui disait à mes oreilles ce verset « du dix-septième chapitre de l'unique évangile : C'est « ici la vie éternelle de te connaître, toi, le seul vrai « Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus le Christ. » Alors Jésus me dit : << Tu recueilleras à travers les siècles la tradition de << ton école. <«< Et je pensai à tout ce que j'avais lu autrefois sur l'é<<cole de saint Jean, et ceux que j'avais si souvent appelés « des hérétiques m'apparurent comme de vrais vivants. « Jésus ajouta : << Mais tu effaceras et tu ratureras avec soin les er<< reurs de l'esprit prophétique, pour ne garder que la « prophétie. << La vision avait disparu; mais je la sentais, pour <«< ainsi dire, qui se continuait secrètement en moi. Je <«< courus à mes livres, et le premier ouvrage qui me << tomba sous la main fut un manuscrit de l'évangile de saint Jean, de la main de Joachim de Flore. « Le second fut l'Introduction à l'Évangile éternel, << de Jean de Parme. « Je relus l'évangile de saint Jean en adorant. « Et je lus l'Introduction à l'Évangile éternel en << souffrant et en gémissant. Quand j'eus fini de le lire, << tout ce qui m'en resta fut cette phrase: « La religion a trois époques, comme les règnes des « trois personnes de la Trinité. » « Tout le reste avait disparu et était raturé de mon <«<esprit. Mais cette phrase brillait devant les yeux de << mon intelligence, comme un phare éclatant et qui ne << doit pas s'éteindre. » Alors Jésus m'apparut de nouveau, et me dit : « La religion a trois époques, comme les règnes des « trois personnes de la Trinité. « Je répondis: ainsi soit-il! « Jésus reprit : « Le christianisme a eu trois époques, et les trois « époques sont accomplies. « Et il disparut. Et je vis passer successivement de« vant moi (vision adorable) saint Pierre, saint Jean et < saint Paul. « Derrière saint Pierre était le grand pape Grégoire VII << Derrière saint Jean, Joachim de Flore, le saint Jean << du treizième siècle. << Derrière saint Paul était Luther. « Je m'évanouis. >> Plus loin, après un intervalle, était écrit de la même main: « Le christianisme devait avoir trois époques, et les << trois époques sont accomplies. Comme la Trinité divine <<< a trois faces, la conception que l'esprit humain a eue « de la Trinité dans le christianisme devait avoir trois «faces successives. La première, qui répond à saint <«< Pierre, embrasse la période de la création et du déve<«<loppement hiérarchique et militant de l'Église jusqu'à Hildebrand, le saint Pierre du onzième siècle; la se<«< conde, qui répond à saint Jean, embrasse la période << depuis Abeilard jusqu'à Luther; la troisième, qui ré<< pond à saint Paul, commence à Luther et finit à Bos |