Aussi, pour assurer au gouvernement et à ce grand corps luimème une double garantie de force et de dignité, une disposition précise de l'art. 9 avait fixé d'une manière rigoureuse le nombre des membres du conseil d'État. Cependant, tout en fixant à trente le nombre de conseillers en service extraordinaire, et aussi à trente celui des maîtres des requêtes, la loi n'avait pas voulu porter atteinte à des droits acquis, à des positions existantes: il avait été écrit dans l'art. 28 que, par une disposition transitoire, l'art. 9 ne serait pas applicable aux maîtres des requêtes en service extraordinaire nommés avant le 1er janvier 1845. Une disposition spéciale portait que, après la promulgation de la loi, il n'y aurait plus qu'une nomination sur deux vacances. Or, qu'avait-on fait? On avait, au mépris de la loi, fait une fournée de 23 maîtres des requêtes, et porté par là le chiffre de 64 alors existant, chiffre que la loi trouvait exagéré, à celui de 80. M. le garde des sceaux répondit que rien dans la loi ne disait que le cadre du service extraordinaire doit être composé des maîtres des requètes nommés avant la promulgation : il y était dit seulement qu'il ne pourrait être nommé à ce poste que des hommes ayant rempli ou remplissant des fonctions publiques. La loi frappait un grand nombre d'auditeurs qui avaient sept, huit et neuf années de service: il n'avait pas été possible de briser leur carrière. Cette tolérance ne pourrait avoir aucune conséquence fâcheuse. Mais, d'ailleurs, ajoutait M. le ministre, il ne pouvait y avoir dans cette affaire qu'une différence d'interprétation. Or, on n'accusait pas le gouvernement d'erreur dans l'application de la loi, mais de mauvaise foi. M. Vitet, rapporteur de la commission, fit remarquer que peut-être on avait eu la pensée d'enlever un vote. Si on avait l'intention de blamer le gouvernement de la mauvaise exécution d'une loi, l'amendement était intempestif et il fallait attendre la discussion du budget; mais si, comme le pouvaient indiquer les expressions vagues de l'amendement, on voulait blåmer l'exécution générale des lois, alors il n'y avait ni justice ni loyauté dans cette attaque couverte, et d'ailleurs la question avait déjà été vidée par le rejet de l'amendement de M. Odilon Barrot. La Chambre s'associa à cette opinion en rejetant par 208 voix contre 181 l'amendement de M. Feuilhade-Chauvin. Le premier paragraphe fut ensuite adopté à une forte majorité. Le deuxième paragraphe était relatif aux grands travaux de défense et d'utilité publique. M. Lherbette saisit cette occasion pour exciter l'attention de la Chambre sur les adjudications de chemins de fer (24 janvier). L'honorable député signalait un mal qu'avait aggravé la tolérance du gouvernement, l'immixtion de fonctionnaires, d'hommes politiques, dans des entreprises à l'égard desquelles il y avait encore à intervenir la décision des Chambres ou du gouvernement. Il y avait un grave abus dans ces noms recommandables placés ainsi comme des amorces et dans ces influences achetées à primes. L'orateur se plaignait ensuite de ce que la prescription de la loi qui prohibait la vente d'actions et de promesses d'actions avant l'adjudication des chemins de fer avait été ouvertement violée. M. Lherbette s'élevait encore contre les opérations de la commission chargée de l'examen des listes de souscripteurs, qui, au lieu d'exiger les listes de chaque compagnie, s'était contentée de la souscription en masse de chacune d'elles. La hausse avait eu lieu : bien des souscriptions étaient restées sans réponse, et cet acte que la police correctionnelle ne pouvait atteindre, ce scandale venait de la mesure prise par la commission d'examen, mesure dont la responsabilité devait tomber sur le ministère qui l'avait tolérée. Ce n'était pas tout, ajoutait l'orateur. Quand il avait vu la hausse énorme des actions avant l'adjudication, le ministre n'aurait-il pas dû, dans ses billets cachetés, diminuer la durée de la concession, bien sûr malgré tout de trouver un adjudicataire? Ainsi la ligne de Fampoux à Hazebrouck était infiniment moins bonne que celle du Nord: pourtant M. de Rothschild avait offert une réduction de trente-sept ans sur soixantequinze, et n'avait pu l'obtenir. Le ministre aurait done pu obtenir une diminution sur la ligne du Nord, et s'il ne l'avait obtenue faute de concurrence, il n'avait qu'à différer l'adjudication. On avait, au contraire, donné le maximum et livré les intérêts de l'État qu'on était chargé de défendre. Si on n'avait pas cherché une concurrence quand il s'agissait d'une ligne où la prime était de 400 francs, on avait cru devoir organiser une lutte à l'occasion d'un chemin où la prime n'était que de 70 francs, le chemin de Lyon. Pour cela, M. le ministre des finances avait engagé des fonctionnaires publics à se former en compagnie rivale. Des receveurs généraux, dépositaires des deniers de l'État, s'étaient trouvés transformés en spéculateurs, malgré les intentions formelles de la loi; on avait ainsi porté l'agiotage dans les départements, et, par des rapports nouveaux entre les habitants et ces fonctionnaires publics, on avait fait jouer un nouveau levier électoral. Mais cette concurrence des receveurs généraux n'avait pas même été sérieuse: après les avoir engagés à se former en compagnie, on avait autorisé la fusion de cette compagnie avec d'autres. Sans doute on avait voulu à ce moment qu'ils se retirassent; ils ne l'avaient pas fait, et on en avait destitué un seul. Joué par les receveurs généraux, le ministère n'avait pourtant fixé dans l'adjudication qu'une réduction de quatre ans sur la durée; bien plus, il n'avait pas reculé l'adjudication quand la Chambre allait se réunir quelques jours plus tard. Cette adjudication n'avait pas eu lieu; alors on avait fait la concession à un banquier, en donnant une entorse à la loi, qui a permis, il est vrai, la concession directe en l'absence d'adjudicataires, mais seulement quand il s'agit de marchés et de fournitures. L'adjudication sans concurrence du chemin de fer du Nord fut aussi, pour M. Gaulthier de Rumilly, le texte d'un blâme contre l'administration, qui, selon l'honorable député, avait, par sa faiblesse, produit une effroyable crise commerciale et perverti la morale publique. M. le ministre des travaux publics avait à défendre l'administration; il le fit en reprenant depuis le commencement. l'histoire des chemins de fer. En 1842, l'exécution de ces lignes avait fait peu de progrès en France; tentée dans tous les systèmes, elle n'avait réussi dans aucun. Le jour où parut la loi de 1842, la France ne comptait encore que 1,000 kilomètres de lignes de fer; lorsque fut présentée la loi du 11 juin 1842 (voyez l'Annuaire, p. 116), on n'était pas encore fixé sur les moyens d'exécution: les uns réclamaient l'exécution par l'État, les autres voulaient des compagnies. Le premier de ces systèmes fut écarté, dans la crainte qu'il ne donnat trop de prépondérance à l'État; quant au système des compagnies, il n'avait pas été heureux jusque-là; la compagnie d'Orléans ne marchait que péniblement. La loi du 11 juin 1842 consacra un système mixte, dans lequel les charges de l'exécution étaient partagées entre l'État, les localités et les compagnies; 3,490 kilomètres de chemins de fer furent classés, et la dépense afférente a l'État dans les travaux fut évaluée à 591 millions. En 1844, le gouvernement proposa de voter l'exécution de plusieurs des chemins classés en 1842, et des difficultés graves s'élevèrent sur le tracé; en même temps, de nouvelles réclamations locales amenèrent des classements nouveaux, notamment celui de la ligne de l'Ouest. Après la session, les chemins classés présentaient une longueur de 4,580 kilomètres, et la dé pense à la charge de l'État s'élevait à 778 millions. Ce fut alors qu'on conçut la crainte qu'en entreprenant un réseau si étendu on ne pût le continuer jusqu'au bout; ce fut alors que l'industrie privée, encouragée par le succès du chemin d'Orléans et du chemin de Rouen, vint demander à exécuter des lignes telles que celles de Boulogne et du Havre. Le réseau s'élevait ainsi à 4,998 kilomètres. Si l'exécution totale par le gouvernement avait été décrétée, le pays se fût trouvé engagé dans une dépense de 1 milliard 600 millions au moins, et l'État se fût trouvé forcé de concentrer ses efforts sur l'exécution d'une ou deux lignes principales. Il avait donc été indispensable d'appeler l'industrie privée à concourir à cette entreprise générale. La conséquence de ce système, c'est que le réseau tout entier serait terminé dans six ans et qu'il n'aurait coûté que 407 millions à l'État. La loi était donc bonne : avait-elle été exécutée? Quand l'adjudication de la ligne du Nord avait été annoncée, plusieurs compagnies s'étaient présentées; un certain nombre avait réuni des souscriptions pour la totalité du fonds social; les chefs des principales compagnies étaient venus consulter le ministre pour savoir s'il consentirait à une concession directe; mais la loi prescrivait de procéder par adjudication, et M. Dumon avait répondu que, s'il ne se présentait qu'une compagnie, il n'en déposerait pas moins, au jour fixé, le billet contenant l'indication du maximum de jouissance, et que la concurrence s'établirait entre ce maximum et l'offre de la compagnie. Des fusions avaient eu lieu. Dans la discussion de la loi sur le chemin du Nord, dans la session dernière, une proposition avait été faite pour qu'il fût décidé qu'une fois les titres déposés au ministère, l'engagement pris entre une compagnie et ses souscripteurs serait irrévocable; de cette manière, les fusions eussent été impossibles; mais aussi il y aurait eu cet immense inconvénient que les fonds versés dans les compagnies qui n'auraient pas méme pu compléter leur fonds social auraient été frappés d'indisponibilité. Si cette disposition eût été adoptée, la crise commerciale eût été bien plus intense encore. Toutes les précautions qui pouvaient être raisonnablement prises avaient été prises par la Chambre quand elle avait voté la disposition proposée par M. Dufaure, qui obligeait les compagnies de déposer au ministère leurs listes de souscripteurs avant d'ètre admises à soumissionner. On n'avait donc pas eu l'intention de s'opposer aux fusions avant le dépôt des titres. En ce qui concernait le chemin de Lyon, on avait reproché à M. le ministre de n'avoir pas prolongé le délai de l'adjudication en présence d'une seule compagnie. Mais avait-on songé aux dangers que présentait à ce moment la prolongation de la crise |